Les baies

My Martin

... Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. ... Arthur Rimbaud- Lettre du Voyant

Dionysos

Joie            Terreur


fils de Zeus et de Sémélé, fille de Cadmos

est la divinité du Vin et de l'Ivresse


Cadmos

-"celui qui excelle" ou "qui vient de l'est"- est un héros légendaire, petit-fils de Poséidon. Fondateur de Thèbes en Béotie (Grèce centrale). Il eut un rôle civilisateur : invention de l'alphabet, du travail des métaux, fondation de villes

Il personnifie l'influence orientale dans la Grèce centrale


Sémélé

-"vient de la terre"- est une divinité chthonienne, en relation avec les divinités infernales, avec la Terre- d'origine thrace

Zeus lui promit d'exaucer son souhait, or elle désira le contempler dans sa gloire divine. Il a donné sa parole, il ne put se récuser. Sémélé fut consumée par le foudre de Zeus

Juste à temps, Zeus arracha son fils au ventre de Sémélé, s'entailla la cuisse et le cousit à l'intérieur, pour qu'il puisse poursuivre sa gestation

Dionysos est né du feu divin. Il est le "Deux fois né"


Dans d'autres textes, Sémélé est une princesse thébaine, humaine. Dionysos -demi-dieu- serait alors né d'une femme et d'un dieu

Dernier dieu de l'Olympe, voire jamais vraiment admis parmi les dieux de l'Olympe


La Thrace est une région de l'Europe orientale, qui comprend

en Grèce, la Thrace occidentale

en Turquie, la Thrace orientale

en Bulgarie, la Thrace du Nord

Sauvage, riche en or et argent, elle fournit des mercenaires à l'armée

La vigne pousse naturellement sur les rives de la mer Noire

Sur ses côtes, les Grecs ont établi des colonies côtières


Dionysos vient de Thrace, son culte comporte des Mystères

Les Mystères -"initié"- sont un ensemble de doctrines ou de pratiques religieuses, que doivent seuls connaître les initiés

Il existait les Mystères d'Éleusis, Dionysos, Hécate, Déméter, Orphée, Isis, Cybèle, Mithra, ... Ces Mystères ont décliné, oubliés, alors que les Mystères de Dionysos ont prospéré, grâce à l'ambiance de fête et à l'art


Dionysos est un dieu complexe

dieu de la Végétation, symbolisé par le pin et le lierre

dieu de la Culture de la vigne et du figuier

dieu de la Génération, souvent représenté par un bouc ou un bélier - Dionysos "Phallen", qui a donné "phallus"


En Asie, la divinité hindoue Shiva -"le bon", "celui qui porte bonheur", dieu de la destruction / création- est représentée par un lingam -"signe", "phallus"-. Il conduit la manifestation à travers le courant des formes


Dionysos est suivi par un cortège délirant de Satyres, Silènes, Bacchantes

les Satyres -possible lien avec "singe" en arabe- sont des demi-dieux rustiques (cornes, jambes de bouc, queue), frères des nymphes

Silène est le génie phrygien des sources et fleuves. Il a des oreilles, des sabots et une queue de cheval. Il a été le père nourricier de Dionysos et le père des Satyres. Il a le don de la sagesse, qu'il cache. Vieillard grotesque, toujours ivre, monté sur un âne

Les Bacchantes sont les prêtresses de Dionysos. Tout d'abord ses nymphes nourrices, puis toutes les femmes de son cortège, Ménades -"agité de transports furieux"-, Thyiades -"furieux, s'élancer avec fureur"-, Éviades -"aller dehors, "s'échapper"-, ...


Le thyrse -"bâton"- est l'attribut symbolique de Dionysos et de ses compagnons, un long bâton surmonté d'une pomme de pin ou d'une touffe de feuilles


Des êtres hybrides, mi-humains, mi-animaux

Comme les dieux égyptiens, Horus (tête de faucon), Anubis (chacal), Bastet (chat), Sekhmet (lionne), ... pour s'identifier à une qualité de l'animal ou totem, ancêtre de la tribu, esprit protecteur


Le cortège est une survivance des temps anciens, les cultes se célébraient dans la nature, sans villes, sans temples. Les hommes s'assemblaient, s'enivraient, emportés par la transe, dans un délire mystique


Du cortège sont issus

la poésie dramatique

le dithyrambe -étymologie en allusion à la double naissance de Dionysos -, chant liturgique en l'honneur de Dionysos,

puis la tragédie -"chant du bouc", chanté au moment du sacrifice d'un bouc-, avec des textes splendides


Le culte de Dionysos a eu une influence considérable en Grèce, sur l'art et sur la religion ; il a contribué à l'instauration des Mystères

Les Dionysies étaient des fêtes en l'honneur du dieu, dans toute la Grèce ; l'occasion de processions grotesques et de banquets souvent orgiaques

A Athènes, ces fêtes étaient célébrées avec éclat. Elles comprenaient


les Oschophories -"je porte des jeunes pousses, des jeunes branches"-


les Anthestéries -"la fête des fleurs"-, surtout à Athènes, en février


les Lénéennes -du mot grec, "pressoir"-


les petites Dionysies champêtres, fêtes du vin en décembre


et les grandes Dionysies

Au cours de ces dernières, au printemps, pendant six jours, étaient organisés des concours de poésie et des représentations théâtrales. Au Ve siècle avant J.-C., chaque poète présentait une trilogie dramatique et un drame satyrique -pièce qui mettait en scène des Satyres)


Les Romains ont donné le nom de Bacchus (de "crier", comme les Bacchantes ou les ivrognes - ou de "Bakkhos", baies) au dieu grec, dieu du Vin et du Délire mystique ; le culte était souvent privé

Dans la religion publique, la personnalité de Bacchus s'est confondue avec l'ancien dieu rustique Liber Pater -"verser", dieu qui verse l'abondance, la prospérité. Dieu fade, Dionysos castré

Liber Pater présidait à la libération des composantes mâles et femelles de la nouvelle génération. Dieu de la fertilité des champs et de la fécondité des animaux. Son symbole est le phallus


Pour le philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900), l'élément dionysiaque représente l'instinct, la vie, la musique (art non plastique)

et s'oppose à l'élément apollinien -la sagesse, la pensée, la beauté de l'art (la plastique)


Les prêtres considéraient Apollon comme la partie immortelle de Dionysos


*


Le mythe de Dionysos


Sur l'ordre d'Héra jalouse, les Titans s'emparèrent du fils nouveau-né de Zeus, Dionysos, un enfant cornu, la tête couronnée de serpents. En dépit de ses transformations -en serpent, lion, taureau, bouc, cerf- ils le coupèrent en morceaux qu'ils firent bouillir dans un chaudron. Puis ils le dévorèrent -sauf le sexe, protégé à temps

Un grenadier surgit à l'endroit où le sang de Dionysos s'était répandu (la grenade est le symbole du sexe et de la cohésion sociale)

Mais secouru et reconstitué par Rhéa à partir du sexe, l'enfant fut réanimé


... la vigne est taillée en hiver - le cep de vigne est nu, comme mort - mais la végétation renaît au printemps

... Dionysos meurt puis renaît. Comme le feu repart depuis les braises

Le corps se corrompt, disparaît mais l'âme est éternelle, incorruptible


... en Égypte, Osiris fut découpé en morceaux par Seth. Isis reconstitua le corps (sauf le sexe, qu'elle façonna avec de l'argile et rendit vivant - puis elle fit l'amour avec Osiris pour recueillir son sperme). Elle momifia et ressuscita Osiris, souverain du Royaume des Morts


Lorsqu'il devint adulte, Héra reconnut Dionysos comme étant le fils de Zeus, en dépit de son allure féminine due à son éducation. En effet, habillé en fille, il fut caché et élevé par les nymphes Hyades -nymphes des pluies-, pour le préserver de la colère d'Héra

Héra le rendit fou. La folie est souvent présente dans le mythe de Dionysos

La jeunesse du dieu fut marquée par le feu -la foudre de Zeus, feu du ciel-, la terre -Sémélé -, les pluies -les nymphes Hyades- ; tout ce qui permet à la vigne de se développer


Dionysos parcourut le monde, accompagné de son précepteur Silène et d'une armée de Satyres et de Ménades vociférants, dont les armes étaient un bâton enroulé de lierre, surmonté d'une pomme de pin, appelé thyrse, des épées, des serpents et des rhombes destinés à semer la terreur

Le thyrse est l'attribut symbolique de Dionysos et de ses compagnons, long bâton surmonté d'une pomme de pin ou d'une touffe de feuilles. Le pin et le lierre, toujours verts, ne semblent pas perdre leurs feuilles ou aiguilles

Dionysos a d'autres attributs, les fruits du grenadier qui mûrissent en hiver, le figuier qui révèle la vie cachée, la présence des sources


Les Ménades, hurlantes, déliraient, folles de vin. Elles mettaient en pièces les animaux sauvages qu'elles croisaient, dévoraient les lambeaux de chair crue, sanglante


 Oh, combien sont doux les chants et les danses sur la montagne

   Et la course folle.

   Oh, combien il est doux de tomber, épuisée sur la terre,

   Après que la chèvre sauvage a été pourchassée et rejointe.

   Oh, la joie de ce sang et de cette chair rouge et crue.


Saisir la proie à la gorge, broyer jusqu'à ce que le corps s'abandonne. Déchirer la chair, boire le sang


XIIIe siècle - Amérique du Nord, Amérindiens - région centrale de Mesa Verde - des traces d'un festin cannibale ont été découvertes (restes de sept corps, sans rites funéraires) - à la suite d'un période de chaos social (pic de violence entre 1275 et 1285), de sécheresse, de famine ?


Jusqu'au XVIe siècle, époque précolombienne - les peuples amérindiens pratiquaient les sacrifices humains : les Mayas, les Aztèques ouvraient la poitrine des sacrifiés avec un couteau de silex ou d'obsidienne et arrachaient le cœur palpitant, en offrande à leurs dieux

La chair du sacrifié était une nourriture sacrée réservée à l'élite (le cœur était mangé par les prêtres, les cuisses par l'empereur, ...)


XIXe siècle - Océanie, îles Marquises et Salomon - les affrontements entre tribus étaient fréquents, les ennemis vaincus de guerre étaient tués et mangés


Dans la religion catholique, lors de la messe, sont consacrés le vin et le pain (eucharistie). Vin -sang du Christ- que boit le prêtre, hostie - corps du Christ- que reçoivent les fidèles


Les rites rassemblent les hommes, façonnent leur identité. Elle se constitue par strates, autour d'un noyau de vide. La personne, le masque


Les rites s'impriment dans la chair ...

par la circoncision,


par le tatouage,


Ötzi, "l'Homme des Glaces" (2700 ans avant J.-C., Âge du Bronze)


les momies égyptiennes (Deir el-Médineh - la prêtresse d'Hathor -la Vache sacrée- ou la magicienne, 1200 ans avant J.-C. - représentations animales)


les Maoris, en Nouvelle-Zélande


Les dieux se sédimentent par les rites, puisant leur énergie dans la dévotion des hommes. Ils naissent, fusionnent, meurent, renaissent sous d'autres formes. Leurs mythes arborescents bourgeonnent, croissent jusqu'à devenir illisibles


   "Ils laissent parfois sortir de confuses paroles"

   Charles Baudelaire


Dionysos est double -comme tous les dieux-, il apporte la joie et la terreur. Comme le vin, qui est un élément de plaisir, de fête mais provoque la dépendance, la violence, la démence


   Lui dont les boucles sont cerclées d'or

   Bacchus empourpré,

   Compagnon des Ménades

   A la torche enflammée.


   Lui qui avec un rire moqueur

   Pourchasse sa proie

   Et avec ses Bacchantes

   La traîne en ricanant à sa mort.


Dionysos voyagea sur son char tiré par des panthères (Égypte, Libye, Inde, ...). Il dota de nombreuses régions de lois et fonda des villes. Il enseigna aux hommes la culture de la vigne et la production du vin


   Lorsqu'avec le vin de Dionysos

   Les soucis qui rongent les hommes

   Quittent tous les cœurs.

   Nous voyageons alors vers un pays qui n'a jamais existé.

   Le pauvre devient riche, le riche devient généreux,

   Les conquérants du monde sont des flèches faites du bois de la vigne.


Partout il fut honoré, hormis de retour dans son pays


"Les Bacchantes" - tragédie d'Euripide, en 405 avant J.-C.

le sujet s'inspire de la mort de Penthée, roi de Thèbes. Il fut mis en pièces par les Bacchantes pour s'être opposé à l'introduction du culte de Dionysos

Les chœurs comptent parmi les plus beaux textes de la tragédie grecque


Dionysos est l'Autre, l'Étranger. Il enseigna la vigne, le vin, que ne connaissaient pas les Grecs. Le vin semble venir de Crète -"oinos", le vin, est un nom crétois.

Dans leurs rites, les Grecs utilisaient la bière, pour s'enivrer, pour provoquer la transe


Rhéa -sa grand-mère, mère de Zeus- purifia Dionysos des nombreux meurtres qu'il avait commis pendant sa folie et l'initia aux Mystères.


Dionysos ira rechercher sa mère Sémélé -qu'il n'a pas connue- aux Enfers. Pour prix de sa liberté, il offrira un cadeau de myrte à Perséphone - épouse d'Hadès, déesse du monde souterrain. Il conduira Sémélé -désormais immortelle- parmi les dieux de l'Olympe (sous le nom de Thyoné -lié à des noms ou surnoms de Dionysos)

Héra se résignera


*


   ...

   Partons à cheval sur le vin

   Pour un ciel féerique et divin !

   ...

   Ma sœur, côte à côte nageant,

   Nous fuirons sans repos ni trêves

   Vers le paradis de mes rêves !


   Charles Baudelaire, « Le vin des Amants »


*


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