Le Douzième Coup

Nathan Perry

Le douzième coup

 

            Ding...  Un coup. Je l'entendrai donc à chaque nuit cette première heure de la journée, annoncée par le vieux coucou qui pourtant se trouve à l'opposé de la maison. Un son sec, froid et sans originalité. Mais je ne me suis jamais résigné à l'enlever. Il fait parti du décor de la maison, un vieux et grand manoir qui appartenait à mes parents avant qu'il ne me soit légué après leurs morts. Comme je suis fils unique et célibataire, j'habite seul dans cette grande demeure ou j'ai passé toute ma vie. Mais cela ne m'empêche pas de ressentir quelques fois un léger frisson lorsque j'arpentais les couloirs sombre tout droit sorti de temps immémoriaux. Ce frisson se transformait parfois en peur irraisonnée lorsqu'au même moment le vieux coucou de la cuisine accomplissait sa tâche en annonçant d'un son puissant et mystérieux qu'une nouvelle heure s'était écoulée.

            Mes nuits d'enfant avaient été peuplés de cauchemars tous plus hideux les uns que les autres. Je rêvais que j'arpentais les couloirs du manoir de nuit, et que des présences malveillantes rôdaient tout autour de moi. Le vieux coucou accomplissait sa funeste tâche et à chaque heure qui passait, je voyais de nouvelles créatures monstrueuses tout autour de moi. Le calvaire durait longtemps, très longtemps. Je sentais mon cœur battre de plus en plus fort dans ma poitrine. Je ne pouvais crier, ne pouvais m'enfuir, mes muscles étaient paralysés, je ne pouvais rien faire, j'observais impuissant tandis que les monstres se multipliaient inexorablement autour de moi. C'est lorsque retentissait le premier des douze coups qui annonçait l'heure la plus sombre que la terreur atteignait son paroxysme, si bien qu'à chaque fois je me réveillais avant que le douzième coup ne retentisse. Que se passerait-il si je tenais jusqu'au dernier coup ? Je ne le savais pas. Encore maintenant, adulte il m'arrive de faire de nouveau ce cauchemar.

            Ding, ding, ding, ding, ding, ding... Six heures, j'ai dormi cinq heures sans interruption, un exploit. Je me levais avec difficulté et me dirigeais vers la cuisine (ou ce trouvais le fameux  coucou), afin de prendre mon petit déjeuner. Une nouvelle journée s'offrait à moi. Une journée interminable, ennuyeuse et froide. Depuis quelques jours une tempête de neige frappait la région  de façon si violente et soudaine qu'il m'était impossible de mettre le pied à l'extérieur. En effet, le manoir est situé en hauteur et dans les bois, isolé du reste du monde, mon premier voisin se trouve à plus de cinq kilomètres. La route de forêt qui menait au prochain village était complètement impraticable depuis le début de la tempête. J'étais donc condamné à rester seul dans l'immense manoir une journée de plus, sans électricité.  Je pris donc mon temps pour savourer mon petit déjeuner, fait d'œufs et de bacon principalement. J'espère que la tempête prendra bientôt fin, j'apprécie quelques fois la solitude mais, comme tout à chacun, j'aime tout de même voir avoir de la compagnie, de temps en temps.

            Le coucou venait de sonner sept coups lorsque je quittais la cuisine et décidais de me rendre à la salle de bain afin de me laver et de m'habiller. Un léger frisson parcouru ma colonne vertébrale lorsque je passais dans le couloir ou était accroché tout les trophées de chasse de mon père. Ce couloir était l'un de ceux que je voyais parfois dans mes cauchemars.

             Il était huit heure lorsque l'ennui commença déjà à s'installer. Afin de passer le temps jusqu'au repas de midi, je décidais de me rendre dans l'immense bibliothèque du manoir, ou était entreposés des milliers de livres en tout genre, ainsi que mes écrits. Je ne suis pas un très bon écrivain mais le fait d'écrire m'aide à tuer le temps. Je m'installais donc au bureau au centre de la bibliothèque et observais les livres qui m'entouraient. Il y avait de tout, des traités scientifiques, des livres d'histoires, des livres sur la criminologie, la psychologie, des livres de médecine, des romans d'auteurs connus tels que Stephen King, Lovecraft, Jules Verne, Edgar Poe et bien d'autre encore, et des tas de romans d'auteurs moins connus comme John Ethan Py ou Marc Dugain. Il y  avait également des recueils de poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo etc. Le manoir appartenait à ma famille depuis de très nombreuses générations, la bibliothèque se remplissait un peu plus chaque années depuis qu'elle existait, ce qui expliquait une telle collection. J'entrepris de relire les poèmes que j'écrivais quand j'étais plus jeune. Je pense que je vais me remettre à en écrire quelques un, à partir de cette après midi. Je me rendais compte que lorsque j'étais adolescent mes poèmes et écrits étaient assez sombres, et évoluaient peu à peu au fil du temps. Je retombais sur un poème écrit lorsque j'avais dix sept ans, écrit le lendemain de l'un de mes cauchemars, et qui résumait bien ce que je ressentais. Je l'avais sobrement intitulé "Cauchemar..." :


"Je suis perdu, je ne sais ou je vais

Je sens mon cœur battre à la mesure de ma peur

Des yeux malsains m'épièrent dans ma frayeur

Je compris alors, un cauchemar se réalisait


Je ne puis sortir de cette transe morbide

Lorsque j'aperçois quelques abominations

Je réalise que ce sont des créatures hybrides

 

La peur grandit de manière exagérée

Je ressens alors un grand frisson

Comparable au souffle des créatures de l'obscurité

 

Je pousse un cri de terreur démesuré

Mais aucun son ne me parvenait

Si ce n'est celui de l'heure qui vient de passer

L'heure la plus abominable approchait"


            Je ne me rappelais plus de ce poème, écrit il y a longtemps, mais je dois bien admettre qu'il décrit de la meilleur manière possible les terreurs que représentent mes cauchemars. Je me surpris également moi même, j'avais oublié que je pouvais écrire quelque chose de si sombre à l'âge de dix sept ans. Et ma surprise grandissait lorsque je parcourais d'autres poèmes, j'avais écrit des choses biens plus sombres encore lors de ma jeunesse. Je relisais également d'anciennes nouvelles, et la encore je me surprenais moi même à avoir écrit des récits d'horreur dès l'âge de seize ans. Nul doute que mes peurs d'enfances ont jouées un rôle très important dans le style de mes récits de jeunesse.

 

            Ainsi je passais quatre heures de ma journée à relire d'anciens ouvrages, la bibliothèque était pour moi un endroit reposant et rassurant car la présence des livres avait quelques chose de protecteur. Mais surtout, c'était l'endroit du manoir ou j'entendais le moins le sinistre son produit par le coucou démoniaque. La cuisine et la bibliothèque étaient situées à l'opposé l'une de l'autre si bien que, le son du coucou était quasiment imperceptible, il m'arrivait même de rare fois de ne pas l'entendre du tout.

 

            Je ne ratai cependant pas les douze coups annonçant midi. Une moitié de journée venait de passer, je descendais à la cuisine pour le déjeuner, en espérant que la seconde moitié de la journée passerait rapidement. Je m'afférais à préparer le repas et commençais à dîner lorsque le Ding annonçant la première heure de l'après midi retentissait. Je ressentais une très étrange sensation à ce moment même, une douleur fulgurante et éphémère, comme un pique de glace me traversa le cerveau en passant d'une tempe à l'autre. Je restai sous le choc quelques secondes et tentais de reprendre ma respiration le plus calmement possible.  J'étais sous le choc, jamais je n'avais ressentis une telle chose. La douleur que j'avais ressentis, bien que très rapide fût très douloureuse, je sentais les battements de mon cœur dans mes tempes, et transpirais à grosses goûtes.  Après cinq bonnes minutes, je repris mes esprit et me décidais finalement à manger mon déjeuner.  Ce fut rapide, je terminais de manger avant que le coucou n'annonce 14h.

 

            Ding, ding... Lorsque le deuxième coup si fit entendre, la même souffrance que celle que j'avais ressentis une heure plus tôt mais multiplié par dix me frappa de plein fouet. La douleur fut si forte que je me retrouvais couché sur le dos et poussais un faible cri. Cette fois ci, il me fallut dix bonnes minutes avant de pouvoir m'en remettre et me relever. Est ce que je devenais fou ? Peut être que la solitude commençait à jouer des tours à mon esprit... J'avais grand besoin de prendre l'air. Impossible de sortir à cause de la neige qui m'empêchait même d'ouvrir la porte de l'entrée.  Aussi, une fois debout j'ouvris une fenêtre opposée au sens du vent (pour éviter de faire entrer la neige)  afin de pouvoir contempler l'extérieur et faire le plein d'oxygène. Ça ne pouvait que me faire du bien.

 

            Sentir l'oxygène sur mon visage me fit le plus grand bien. L'air glacial me fouetta le visage. Au dehors, la neige recouvrait absolument tout, je n'avais jamais vu une telle tempête de neige de toute ma vie, ce n'était malheureusement pas près de s'arrêter, je risquai d'être isolé encore de nombreux jours dans mon manoir. De la fenêtre, je pouvais remarquer que la porte d'entrée qui faisait deux mètres de haut avait complètement disparue derrière la masse gigantesque de neige. Je sentais les battements de mon cœur dans mes tempes chaque seconde depuis la deuxième crise. Les arbres étaient tous entièrement recouverts de neige, le paysage était d'une blancheur immaculée. Malgré la pureté que représente un tel paysage, je ressentais quelque chose de terriblement maléfique dans l'atmosphère, quelque chose que je ne pouvais expliquer, comme si une présence démoniaque me guettait et attendait que quelque chose se passe. Ce sentiment, bien que sans fondements me perturba tellement que je refermais la fenêtre ainsi que le volet, je décidais même de refermer tout les volets du manoir, j'avais la sensation qu'une chose de l'extérieur voulait entrer dans la maison...

 

            Je m'apprêtais à fermer la dernière des fenêtres du manoir quand trois coups annoncèrent  qu'il était quinze heure. Le vent émis un étrange son au même moment, comme si il tentait de me dire quelques chose. Je refermais la fenêtre à toute vitesse et, pris de panique, je me réfugiais sous la fenêtre en regardant le mur d'en face, sans oser cligner des yeux de peur que quelques chose apparaisse sans que je ne puisse le voir. Je respirais bruyamment, et mon cœur battait tellement fort dans ma poitrine que j'avais l'impression qu'il pouvait s'arrêter à tout moment. Le murmure continuait malgré tout, mais il m'était impossible de comprendre ce qu'il me disait, je ne parvenais pas à distinguer le moindre petit mot, je n'étais même pas sur que le murmure parlait dans notre langue. Je ne pouvais supporter ça très longtemps. Prenant mon courage à deux mains, je me levais et ferma les volets, ainsi que la fenêtre du plus rapidement que je le pu. Quel soulagement quand le murmure disparut enfin ! J'allumais des bougies un peu partout dans le manoir, l'électricité étant coupée à cause de la neige et comme la lumière naturelle ne pouvait désormais plus passer, c'était le seul moyen qui me restais pour m'éclairer. L'éclairage des bougies contribuait à rendre l'ambiance plus sinistre encore. Je devais me changer les idées, au plus vite. Aussi, je décidais d'aller prendre une douche, une douche froide pour penser à autre chose car je commençais à me poser des questions sur ma propre santé mental.

 

            L'eau froide coulait le long de mon corps. Je regardais fixement le mur d'en face, en proie a une terrible inquiétude, étais-je devenu fou ? Malgré mes craintes, j'avais ouvert la fenêtre de la salle de bain, les bougies ne pouvaient m'offrir un éclairage efficace. L'eau coulait, et mon regard se perdait dans le vide. Puis, tout d'un coup je vît de la buée autour de moi, chose étrange car l'eau était froide. Au début, je n'y prêtais guère attention jusqu'à ce que la buée soit omniprésente dans la pièce. Je voulais tourner la tête pour constater l'ampleur du phénomène mais je réalisais que je ne pouvais plus bouger, j'étais paralysé ! Impossible de hurler également, bien que ça n'aurait servi à rien. J'étais debout sous la douche, de l'eau glacée coulait le long de mon corps et j'étais  entouré de tellement de vapeur que je ne pouvais plus voir le mur d'en face, et tout cela sans pouvoir faire le moindre mouvement. La condensation commençait à tourbillonner autour de moi, telle une armée de fantômes qui observerait une chose insolite. Puis, au bout de quelques secondes, toute la buée s'éleva et disparut complètement de mon champ de vision. Elle se trouvait au dessus de moi, mais je ne pouvais la voir. Que me voulait-elle, que faisait-elle ? Mon cœur battait tellement fort que j'avais l'impression que ma poitrine allait exploser. Ma respiration se faisait difficile, mes yeux, qui étaient les seuls organes que je pouvais mouvoir, furetaient de droite à gauche à toute vitesse. Pendant plusieurs longues secondes, il ne se passa rien. Puis, quelque chose de tiède et visqueux me frôla l'épaule, je respirais d'une manière exagérée, guidé par la peur. Puis la chose descendit le long de mon corps, j'avais l'impression que les tentacules d'une pieuvre géante m'encerclaient... La chose passa au dessus de mon épaule et je vis que ce n'était rien d'autre que cette buée, une buée tiède et visqueuse s'entourait délibérément autour de mon corps, comme si elle ne voulait pas que je parte. Elle s'enroula autour de mon visage et je ne pouvais plus respirer, pendant plus de vingt secondes je fus étouffé sous une masse de tentacules imaginaire avant de m'évanouir. 

 

            Les ténèbres dansaient autour de moi, je me relevai péniblement. Je n'étais plus dans ma salle de bain, je n'étais plus de mon manoir non plus d'ailleurs. J'étais entouré de noir, je ne savais pas si il y avait ou non des murs autour de moi. La seule clarté se trouvait devant moi, je pouvais percevoir un très faible rayon de lumière blanche loin devant. Mû par un instinct de survie, je me dirigeais sans réfléchir vers la lumière. J'avais beau courir le plus rapidement possible, je n'avais pas l'impression de me rapprocher de la lumière, mais je continuais sur ma lancée.  Je courais, encore et encore à en perdre haleine.

 

            Ding... J'étais tellement habitué au silence du lieu que ce bruit semblable à celui de mon coucou me fit stopper net. Cette horloge démoniaque ne me laissera donc jamais en paix ? Le souffle coupé j'attendais que quelque chose se produise.

 

            Ding, ding, ding, ding, ding... Six coups au total, il était donc dix huit heure, ce qui signifie que deux heures entière s'étaient écoulées depuis l'épisode de la douche. J'avais entendu les faibles coups de seize heure lorsque la buée s'était élevé au dessus de ma tête. Qu'est ce qui allait m'arriver maintenant ? A chaque nouvel heure qui passait depuis treize heure  il m'arrivais quelques chose d'incompréhensible et d'horrible. J'attendais quelques secondes, rien...  Et si après tout rien que le fait de me retrouver dans cette pièce sombre suffisait ? Alors que j'étais en pleine réflexion sur ce qui m'arrivait, quelques chose m'attrapa le mollet et me fit violement chuter. Des lianes surgit du sol m'encerclèrent, m'étouffèrent. Je hurlais, j'étais terrifié, je voyais ma fin qui approchait inexorablement. Mon corps s'enfonçait dans le sol, je poussais des hurlements semblable à celui d'un enfant qui voit des monstres sous son lit, j'étais désarmé, désemparé.

 

            J'ouvris grand les yeux et réalisais avec stupeur que j'étais toujours allongé dans la cabine de douche depuis mon évanouissement. Tout cela n'était donc qu'un rêve ? Je me relevais avec difficulté et m'habillai.  Une question me taraudait l'esprit et il me fallait une réponse. Aussitôt sortis de la salle de bain, je me dirigeais vers l'horloge la plus proche, elle indiquait 18h05. La réalité s'effondrât brusquement autour de moi. Je me rappelais les rêves que je faisais étant plus jeune, lorsque des monstres apparaissaient autour de moi de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les heures passaient. Et si une version légèrement déformé mais tout aussi terrifiante de mes rêves était en train de se réaliser, mais cette fois-ci dans la réalité ? Ou alors peut être que je devenais tout simplement fou. J'espérais ne pas être dément. Dans l'espoir que je fus victime de malédiction ou bien de malchance je devais trouver un moyen de stopper tout cela. Je pensais tout d'abord à quitter le manoir mais la dure réalité me rattrapa lorsque je fus accueilli par un mur de neige compact après avoir ouvert de l'intérieur l'immense porte de l'entrée.  Je pensais également à sauter de la fenêtre la moins haute, la masse de neige amortirait ma chute mais j'abandonnai vite cette idée, mes certitudes d'arriver à la prochaine habitation sans me perdre étaient plutôt mince du fait de la tempête. Je me résignais donc à rester au manoir. Je fis alors ce qui me semblais le plus intelligent sur le coup. Je montais à la bibliothèque et décida de parcourir tout les livres traitant de manière plus au moins lointaine le sujet des malédictions, en espérant trouver une solution à mon problème...

 

            Malheureusement la plupart de ces ouvrages (dont certains sont absolument terrifiants) évoquaient parfois certaines malédictions mais aucun ne proposait de solution pour conjurer le mauvais sort. La plupart d'entre eux proposaient même des invocations terrifiante et étaient profondément pessimiste comme par exemple Le culte des goules de François-Honoré de Balfour Comte d'Erlette ou pire encore le Necronomicon d'Abdul Al-Hazred, bien connu de tous ceux qui s'intéressent aux sciences occultes et aux pratiques de la magie noire. Dans ces livres il était question d'anciennes religions païennes dont les dieux aux noms imprononçables, surnommés les "grand anciens" seraient venu sur Terre il y a des millénaires par erreur, et tenteraient par tout les moyens possible de retourner chez eux.  Malgré le fait que ce genre de lecture ne pouvait m'aider à résoudre mon problème, je me passionnais pour le sujet et oublia tout le reste. Si bien que, alors que je m'attardais à lire la description physique de Shub-Niggurath, l'un des fameux grand anciens dans le Necronomicon, j'entendis un son si familier et si terrifiant, le coucou de la cuisine. Sept petit coup pour annoncer dix-neuf heure.

 

            Un froid envahi  soudainement toute la bibliothèque. J'entendais un son semblable à celui de quelqu'un qui frappe à une porte. Le bruit provenait d'en haut, du grenier et était toujours en trois coups. Toc toc toc... toc toc toc... toc toc toc...

 

            Cette fois ci je ne ressentis aucune menace physique mais juste ce bruit inquiétant et ce froid surnaturelle. Rien ne m'empêchait de bouger, comme cela avait été être le cas lors des deux événements précédents, je décidais donc de sortir hors de la bibliothèque, en espérant que le froid serait moins fort ailleurs.

            En effet le froid disparu une fois la porte de la bibliothèque refermée derrière moi, mais les toc toc toc continuaient encore et encore... Je me dirigeais lentement vers l'escalier menant au deuxième étage, la ou se trouvait le grenier. Plus je m'approchais, plus le bruit était fort et perturbant, plusieurs fois j'ai eu envie de tourner les talons, mais il fallait que j'aille voir ce qui se passait, peut être qu'un indice m'aiderais à comprendre tout ceci se trouvait dans le grenier ? Après avoir gravi les cinquante marches, je me retrouvais devant la vieille porte en bois poussiéreuse. Cela faisait de nombreuses années que je n'avais pas visité cette partie de la maison, je l'évitais autant que possible, l'ambiance sombre et tous ses vieux objets qui y étaient entreposés me mettaient facilement mal à l'aise. Prenant mon courage à deux mains, je poussais la vieille porte poussiéreuse qui grinçait fortement. Le bruit continuait, il provenait du centre du grenier, d'un des nombreux coffres en bois présent dans la pièce. Je m'approchais prudemment du coffre en question. Au moment ou je posa mes mains dessus, le bruit s'arrêta.  Je soufflai un bon coup, et ouvris le coffret. A l'intérieur je vis de nombreux documents, de rapports, de dessins, croquis et même un petit tableau. Voyant qu'il y avait beaucoup de documents et que tout étudier me prendrais certainement du temps, j'emportai le coffret avec moi et allais m'installer dans un endroit plus confortable. Si le froid s'en était allé, j'irai dans la bibliothèque sinon, j'irai dans la cuisine malgré la proximité du coucou.

 

            Malheureusement il faisait toujours aussi froid dans la bibliothèque, je m'installais donc sur la table de la cuisine tout en jetant un regard inquiet au coucou dont les aiguilles continuaient de tourner comme si de rien n'était. Le tableau qui était dans le coffret représentait plusieurs homme de type aborigène en train de danser autour d'un grand feu, habillés comme des indiens d'Amérique. Un autre homme, qui ressemblait à un chaman, ou un gourou levait les bras en direction des flammes et semblait psalmodier quelques chose. Au dessus du feu, si on observait attentivement on pouvait distinguer une forme presque transparente, ressemblant vaguement à une immense créature longiligne, tel un serpent ou un vers. Je frissonnais en repensant aux grands anciens que j'avais vu décrits dans le Necronomicon, et qui ressemblaient vaguement à ce genre de chose. La tableau n'avait pas de titre, ni de signature. J'avais éparpillé tout les documents sur la table et commençais à les étudier.

 

            Tout ce que je voyais n'avait aucun sens, ça ressemblait à une blague de très mauvais goût. La plupart des documents dataient de la fin du XIXème siècle, certains du début XXème. Il était question du manoir et de ses habitants (donc de mes ancêtres), ainsi que de certains habitants de la région.  Si l'on en croyait les lettres et compte rendu de réunion, une assemblée secrète se réunissait ici tout les mois pendant presque vingt ans, et on parlait d'ésotérisme, de théologie, de spiritisme, d'esprits et de démons. Mais cela, bien qu'assez incroyable et surprenant, c'était plutôt plausible. Ce qui me faisait penser à une blague douteuse, c'était certains propos concernant les sacrifices humains, ainsi que la nécessité de faire revenir des divinités destructrice pour que toute l'humanité sache qui est à l'origine de la vie sur terre. Seul un fou comme les auteurs du Culte des goules ou du Necronomicon peuvent penser ce genre de chose. Certaines lettres parlaient même de sacrifices humains qui auraient eu lieu dans le manoir lui même... Curieusement, aucun nom de divinités n'était cité dans les correspondances, ils étaient présentés comme les "divinités", les "anciens", ou tout simplement les "dieux". Il en était de même pour les correspondances de lettres, les noms et adresses étaient brûlées ou déchirés, impossible de savoir qui étaient les auteurs des documents.

 

            Je reposais la lettre que j'étais en train de lire et fixa le mur d'en face. J'étais dubitatif, tout cela était incroyable, incompréhensible. J'entendais le tic tac de la trotteuse de l'horloge  chaque seconde, aussi inimaginable que cela puisse paraitre, ce bruit était presque réconfortant, il était bien réel lui au moins alors que les choses décrites devant moi, je ne savais pas qu'en penser. C'était tellement bien élaboré, bien écrit, et puis surtout qui aurait pu monter un tel canular ? Personne n'était entré dans le manoir depuis bien longtemps, tellement longtemps que je ne me rappelais même plus qui était mon dernier visiteur. Il ne me restait plus qu'une chose à faire, attendre dix neuf heure et voir si quelques chose allait se passer. Peut être qu'avoir ouvert le coffret avait rompu la malédiction ? C'était peu probable mais j'avais un peu d'espoir...  19h45, les quinze prochaines minutes risquaient d'être très longues. J'observais de nouveau le tableau et la mystérieuse forme sombre. Le tableau exerçait une curieuse attraction sur moi, il m'était très difficile de détacher les yeux de celui-ci. J'essayais de deviner ce que pouvait être cette forme, ce qu'elle représentait. Je pensais à Yig, le dieu serpent vénéré par des tributs dégénérées il y a très longtemps, mais je ne voyais pas quel rapport cela avait avec les documents du coffre, il n'y a aucune mention à un quelconque dieu serpent.

 

            Ding, ding... Le bruit du coucou me fit revenir à la réalité, allais-je encore subir un quelconque malheur ?

 

            Ding, ding, ding... A chaque nouveau coup, les battements de mon cœur s'accélérèrent.

 

            Ding, ding, ding... Au dernier coup, je perdis toute mon énergie vitale, j'étais comme vidé, et je ressenti une très grande fatigue, j'avais tellement peu de force que je ne pu me retenir quand mon corps bascula de la chaise. Ma tête heurta le dur carrelage de la cuisine. La douleur fut si forte que pendant quelques secondes je vis 36 chandelles. Lorsque ma vision réapparut, je vis que le plafond s'assombrissait à vue d'œil, je n'arrivais quasiment pas à bouger, je n'étais pas vraiment paralysé, mais je n'avais plus de forces. La tâche sombre apparut sur le plafond se détacha de la surface plane et pris peu à peu une forme en trois dimensions. Elle prit une forme semblable à celle d'un serpent, semblable à celle du tableau ! Je vis, impuissant cette forme se constituer peu à peu. Les bougies qui éclairaient la cuisine commencèrent à s'éteindre peu à peu. J'aurais normalement du être plongé dans l'obscurité la plus totale. Mais c'était sans compter sur les centaines de minuscules points rouge et lumineux à l'intérieur de la forme obscure, ce qui donnait une couleur rouge sombre à toute la pièce, et me permettais de suivre la transformation de cette chose. J'étais tellement faible que je n'arrivais même pas à bouger le petit doigt. La masse ressemblait maintenant à un serpent doté d'une gueule immense pourvue de quatre longs crocs à chaque extrémité de la gueule. Elle s'approchait de moi, les crocs en avant. Dans un réflexe purement inutile de survie, je fermais mes yeux et retenais ma respiration quand la masse n'était plus qu'à quelques centimètres de mon visage.  Je pu sentir un souffle putride l'espace de quelques secondes, puis plus rien. J'ouvris les yeux, la masse avait disparu, les bougies s'étaient éteintes et je commençais à pouvoir bouger mes membres peu à peu.

 

            Je n'y comprenais plus rien, j'avais l'impression que quelque chose était dans cette maison, et que cette chose tentait en vain de m'avoir, mais était de plus en plus puissante à chaque heure qui passait...  Je parvenais difficilement à me rassoir sur la chaise, mes forces revenaient progressivement, je mis vingt bonne minutes pour pouvoir me relever et allumer les bougies qui s'étaient éteintes. La cuisine n'avait pas changée, tout était parfaitement en ordre, comme si il n'y avait rien eu du tout. Je regardais le coucou d'un œil mauvais, comme si il était la source de tous mes malheurs. J'étais peut être destiné à vivre une après midi d'horreur, comme si un dieu ou une force extérieur avait décidé de s'amuser avec moi en me torturant... Cette explication me conviendrait, car cela signifierait que j'aurais une chance que tout se finisse après minuit.

 

            Je voulais savoir (dans le cas ou la maison serait hanté par une divinité ou autre chose), à quoi ou à qui j'étais confronté, je n'avais pas grand chose d'autre à faire de toute façon...  Je me trainais donc avec difficulté jusqu'à la bibliothèque qui était toujours aussi froide, et emportait avec moi le Necronomicon, ou était décrit de nombreuses anciennes divinités et créatures. J'étais tellement fatigué qu'il était presque vingt et une heure quand je pris dans mes bras l'imposant volume. J'arpentais le couloir ou était accrochés les têtes d'animaux empaillés chassés par mon père quand le sinistre coucou sonna neuf fois,  je me trouvais dans la parti la plus terrifiante du manoir. Je fis tomber le livre quand une main invisible m'attrapa l'épaule et me plaqua le dos contre un mur du couloir. Je n'avais pas la force de résister. Les têtes de cerfs, sangliers et renards semblaient m'observer avec leurs yeux de verre. Je m'étais résigné, si la mort devait venir me chercher, j'étais prêt, autant en finir maintenant. Comme si elle avait lu dans mes pensées, la main invisible commença à m'étrangler, je sentais mon souffle diminuer, j'étais serein. Ma seule peine était que la dernière chose que je verrai dans ce monde est le regard sans vie des têtes empaillées qui me fixaient... 

 

            Mais ce n'était pas encore mon heure, la chose qui me faisait subir cette douleur n'était pas assez forte pour m'achever, ou alors elle voulait me torturer encore... Je me réveillais avec une grosse douleur à la gorge, quelques secondes de plus auraient certainement suffit à m'achever... Je récupérai le Necronomicon et me hâta de quitter ce sinistre couloir pour la cuisine.

 

            En entrant de nouveau dans la cuisine, je ressentis une haine sans égale envers le coucou qui continuait de fonctionner normalement comme si de rien n'était. Malgré ma fatigue, je m'emparai avec rage de celui-ci et le balança à plusieurs reprises à travers la cuisine, cassant quelques verres et une vitre au passage. Extenué, je m'effondrai sur le seul fauteuil de la cuisine. Enfin je n'entendais plus le bruit de la trotteuse qui avait le don de m'agacer profondément. J'ouvris le Necronomicon et étudia les différentes descriptions des monstres et dieux présents, en espérant tomber sur quelques chose qui ressemblait même vaguement à ce que j'avais pu voir. Je vis bien entendu Yig le dieu serpent, mais aussi Tak-Ridasci, une créature semblable à un immense vers de terre entouré d'éclairs. Je refermai le livre en soupirant, tout cela n'avait absolument aucun sens pour moi, qui suis quelqu'un de profondément rationnel. Je décidais de retourner à la cave, d'aller fouiller un peu partout, il y avait forcement une explication logique à tout cela. Les deux derniers événements m'ayant beaucoup diminué physiquement, la montée des marches fut très longue. La vue de cette pièce remplie de poussières et de toiles d'araignées, éclairée par ma seule torche électrique, finit de me plonger dans la plus profonde dépression. Je commençai alors mon travail de recherches, sans savoir vraiment quoi chercher, du mieux que le pu. Je ne trouvais rien que de vieux objets, des vieilles photos et des vieux documents sans intérêt. Je fouillais dans le quatrième coffret quand l'improbable se produisit.

 

            Ding, ding, ding Je fus tellement surpris d'entendre ce bruit que je lâchais tout les documents que j'avais en mains.  J'avais pourtant bien détruit ce maudit coucou, comment pouvait-il encore sonner ? A moins que le son ne vienne plus du coucou, en effet le bruit semblait venir de partout autour de moi...

 

            Ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding... La porte du grenier se referma violement, et ma torche s'éteignit, j'étais plongé dans le noir total. J'étais assis sur un des coffrets et j'attendais que quelques choses se produise, j'étais résigné, il était clair pour moi que je ne pourrais pas échapper à mon destin. Tout à coup, une sensation indescriptible parcourra ma tête. Ce n'étais pas douloureux, ni forcement désagréable, mais très étrange. Quand j'ouvris les yeux, je ne me trouvais plus dans le grenier, mais à l'extérieur, sur une des terrasses du manoir, il n'y avait pas de neige, il faisait même très beau, et une vingtaine d'hommes étaient assis autour d'une table et semblaient plongés dans une discussion passionnante. Personne ne me voyait, comme si j'étais un spectateur invisible. Ils étaient habillés avec classe, mais à la mode du début du siècle dernier...

            Je compris ce qui m'était arrivé, je vivais une scène du passé. En m'approchant, je parvins à comprendre de quoi ils parlaient. Il était questions de dieux très anciens, et de la nécessité de tout faire en œuvre pour assurer leur retour dans notre monde. Ce que j'avais vu dans les documents était donc bien vrai, certains de mes ancêtres avaient bien fait partit d'une sorte d'organisation visant à ramener des dieux destructeurs sur Terre... Si j'en croyais ce que j'avais lu, certains d'entre eux avaient même certainement participés à des sacrifices humains. Le nom d'un des dieux revenait plus souvent que tout les autres, il s'agissait de Tak-Ridasci, le dieu oublié comme ils l'appelaient, et ils prétendaient être des descendants des tribus qui vénéraient ce dieu quand celui-ci arpentait encore la Terre. Toujours selon eux, d'autres organisations avaient pour tâche de faire revenir les autres dieux, eux devaient se concentrer uniquement sur Tak-Ridasci. Le chef de l'assemblé, qui d'après ce que j'avais compris était l'ancien propriétaire du manoir, et donc mon ascendant direct, expliqua que le jour le plus propice au retour des dieux serait celui ou les cinq première planètes du système solaire serait parfaitement alignées, soit le 20 février 2016. Et qu'il faudrait qu'au moi une personne se trouve dans le manoir le jour la, afin que Tak-Ridasci puisse se nourrir de la force vitale et du sang de cette personne, pour pouvoir faire son grand retour. Le manoir était déjà hanté par le spectre du dieu après de nombreux enchantements utilisé par les membres de l'organisation, grâce à des formules présentes dans le Necronomicon par exemple.

 

            J'étais sous le choc, nous étions le 20 février 2016, j'étais donc destiné à mourir pour permettre à un dieu destructeur de renaitre ? Je n'eu pas le temps de me poser d'avantage de questions que la même sensation que j'avais ressentis tout à l'heure réapparut, j'étais de retour dans la bonne époque, et j'étais de nouveau dans le grenier.

 

            Je sorti en vitesse du grenier et me hâta de descendre vers la cuisine, il me fallait consulter le Necronomicon et lire tout ce qu'il y avait sur Tak-Ridasci. Malheureusement il ne portait pas le surnom de dieu oublié pour rien, il n'y avait quasiment rien sur lui. Juste une description sommaire, un croquis peu détaillé et un court texte précisant qu'il était idolâtrés il y a très longtemps par des tribus indiennes reculés, si il y avait d'autres informations elles étaient bien cachées. Je décidais alors d'aller jusqu'à la bibliothèque pour aller consulter les autres livres parlant des anciens dieux, à savoir le Culte des goules du comte d'Erlette, ou bien encore le Livre d'Eibon, d'un auteur inconnu. La bibliothèque était toujours froide, mais je pris sur moi, dans la situation ou j'étais je ne pouvais me permettre de perdre du temps pour m'installer ailleurs. Mais je ne trouvais toujours rien, je frôlais la crise de nerf, Tak-Ridasci est, de tout les dieux cités celui a propos duquel il y a le moins d'informations.

 

            Ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding, ding... Il était déjà onze heure. L'échéance était proche, plus qu'une heure pour trouver une solution pour espérer sauver ma peau... Je saisis les deux livres et ma hâtais vers la cuisine, le froid de la bibliothèque me ralentissais dans mes recherches, j'en étais certains. Je dévalais l'escalier menant au rez-de-chaussée, la ou était la cuisine, trop vite.  Je loupai une marche et dévalais tout l'escalier pour finir en me cognant la tête sur la dernière marche. Sonné, je m'évanoui quelques minutes avant de récupérer les deux livres, mais je ne pouvais plus me mettre debout ! Ma jambe droite me faisait affreusement souffrir, comme si elle était cassée... Il fallait que je traverse le couloir ou était accroché les têtes empaillées pour rejoindre la cuisine, et il était long, très long, mais mon instinct de survie me poussa à ramper jusqu'à la cuisine...  Mais de toute évidence c'était perdu d'avance, je vis grâce à une des horloge du couloir qu'en réalité je m'étais évanoui plus que quelques minutes, il était vingt trois heures quarante et j'avançais très lentement, mais je n'avais pas d'autre choix, je devais essayer... Trop faible pour me relever, je continuais à ramper le long du couloir quand le moment tant redouté arriva. Ding, ding, le couloir s'assombrit brusquement. Ding, ding, un froid glacial arriva. Ding, ding, une mélodie macabre accompagnée d'un chant de flûte sinistre commença à s'élever de plus en plus fort. Ding, ding, mes membres s'engourdissaient de plus en plus, il m'était quasiment impossible de bouger. Ding, ding, toutes les bougies s'éteignirent, j'étais désormais complètement incapable de bouger, dans le noir, le froid, et accompagné d'une mélopée mystique et malveillante.  Ding onzième coup, je sentis mon cœur se serrer dans ma poitrine. Ding... Le sol commença à trembler, une lueur rouge sang s'éleva, Tak-Ridasci était assez fort, les planètes étaient alignées, un peu partout dans le monde les grands anciens sont de retour, et l'un d'eux se trouvait devant moi, au moins j'aurais la chance de ne pas voir le monde sombrer dans la folie. L'immense forme entourée d'éclairs s'avança lentement jusqu'à moi, ses longs crocs en premier. Je me demandais alors  si je n'aurais pas préféré emporté l'image des têtes d'animaux empaillées comme dernier souvenir de mon passage sur cette Terre. J'observai mon bourreau une dernière fois et je fermai les yeux, pour toujours...

Signaler ce texte