Le Havre

Camille Catelan

Mon havre.

Ce n'est pas la ville des phrases ni des grands mots. (Peut-être des grands mats, sûrement des paquebots.)

Ici opère la grammaire.
(On touche au nerf de la guerre, de poésie et prose le père et la mère.)

C'est la ville des perspectives composées.

Un précis de conjugaison d'eau et de béton,
de déclinaisons de lumière et de lignes d'horizon.

Un recueil, la vaste cuvette de la plage,
avec pour attelle la digue jetée,
calée en règle sur la page

d'une géométrie orchestrée
par la main du maître Auguste Perret.

Horizontale construction
magistrale étalée de bassins et de quais
de côtes de bitume émincées à souhait

Construction verticale
du vertébré des falaises
où le vent cavale dans les escaliers

Ville de tout âge
au présent particulier
où tout commerce commence
arrive et part

Au Havre

Le port du container est une tradition centenaire.
Les dockers veillent au grain et livrent du lourd
derrière la cloche, au-delà des marées,
des fumées d'usine et des odeurs de café.

Rude hiver ou doux été
les mouettes ouvrent leurs becs dans le bruit des vagues et jettent leurs coquilles sur les galets.

Plus haut que les grues que le sémaphore
le ciel fait des siennes et règne en fête

toile de fond, œuvre d'art
à en avoir palette en tête -
de gris de bleu de blanc de rose
de doré de beige de brun de noir

Les nuages sont les stars.

Un jour assemblés en angles improbables
bouquets de joues d'anges boursouflés

Un autre frôlant l'horizon à narguer le soleil
étirés en cotonneuse traînée

Un autre enfin docilement ordonnés en troupeau avançant comme s'ils suivaient une mère

vers l'entrée du port ou la sortie
par tempête ou accalmie -

Les plus beaux nuages sont ici.


Au bout de la Seine une veine qui dépasse
Au début de la Manche le poignet du géant
qui étend sa main
les yeux et les poumons vides et pleins
de large et de loin.

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