Le hipster est-il (forcément) un homme ?

aurelie-jeanne-paulette

« Dis, on parle toujours du hipster. Mais est-ce qu’il y a des filles hipsters ? Oui, non, je ne sais pas. C’est plutôt pour les mecs. Mais alors, le hipster, il sort avec qui ? Une petite conne. » 


Aïe. Le ton a beau être badin, la conclusion n’en est pas moins inquiétante. L’équivalent féminin du hipster, ce vingtenaire barbu et/ou moustachu qui ne sort jamais sans son fixie, serait donc une « petite conne » ? Le tandem est dissymétrique. En clair, un jeune homme branché refuse la culture de masse, consomme de manière réfléchie et se rattache à un groupe, ce qui suppose, au-delà du style, un style de vie (musique, habitat, habitudes alimentaires, sorties, sport). À côté de ça, une jeune fille à la mode n’est qu’une « modeuse », soit une acheteuse compulsive guidée par la seule tendance. Ça nous a tellement interpellées qu’on a essayé d’y voir plus clair. 

Où sont les femmes ? 


Dans la généalogie du hipster, peu de femmes. Ses ancêtres ? Le hepcat, l’amateur Blanc de musique noire des années 1930-40, le beatnik – barbu lui-aussi – de la décennie suivante et, bien sûr, celui avec lequel il partage son étymologie, le hippie des sixties. Parlons-en, d’ailleurs, de l’étymologie du mot hipster qui hésite entre l’adjectif anglais hip (libéré) et le verbe wolof hipi (ouvrir les yeux). 

Le spécimen ouvre donc grand les yeux (derrière ses imposantes lunettes) et se libère, dans la foulée, du carcan de la culture dominante. Du point de vue du genre, c’est peut-être dès la naissance du phénomène que tout s’est joué pour le hipster. S’affranchir du mainstream, n’était-ce pas, dans la première moitié du XXe siècle, un luxe réservé aux hommes ? 

Un jour, mon hipster viendra 


Qu’en est-il quelques décennies plus tard ? Étonnamment, et contrairement à leurs équivalents pour garçons, les magazines féminins nous engagent peu à nous vêtir et à nous comporter comme des hipsters. En revanche, ils recèlent de tonnes de conseils pour séduire ce garçon si cool. Glamour, particulièrement expert en la matière, met par exemple onze phrases imparables à notre disposition pour l’envoûter, avant de nous proposer un test pour évaluer le potentiel hipster de notre moitié. Même dans le magazine Elle, sortir avec un hipster fait partie des vingt commandements d’une fille de rockstar. 

Alors oui, la « hipster girl » existe bel et bien dans les médias. Mais elle semble calquée sur le modèle masculin, dont elle n’est qu’un dérivé imparfait (on pense ici à l’usage des fausses moustaches). C’est là que l’image du couple hipster, ce produit hautement désirable – bien plus que le hipster lui-même –, fait son apparition, notamment dans la publicité. Et hop, le hipster passe du statut de garçon séduisant à celui de produit de consommation. 

Maudite Hermaphrodite 


Le hipster fait vendre. Dès lors, son sexe importe-t-il vraiment ? Dans notre imaginaire, il n’est plus un individu mais un concept forcément indéterminé sexuellement. Dans la langue, le nom se mue d’ailleurs en un adjectif accommodable à toutes les sauces. Ainsi, comme le fait remarquer justement Olivier Tesquet sur le site Slate.fr, « quand Honda décide de jouer avec l’image du hipster dans une publicité pour une de ses voitures, la voix off ne dit pas « how many hipsters can you pack in a Honda Jazz ? » (combien ?), mais « how much hipster ? » (quelle quantité ?), comme s’il s’agissait d’une dose de farine sur une balance de cuisine. » Hommes ou femmes hipsters, tout le monde dans le même panier. 

Réponse en demi-teinte : le hipster, ou l’idée qu’on s’en fait, a plutôt les traits d’un homme, comme le prouve la couverture choisie par Courrier international pour illustrer son désormais célèbre dossier sur le sujet. De son côté, dans les journaux, les magazines ou la publicité, la fille hipster est plutôt à la traîne. Mais au vu de ce qu’on peut lire ici ou là sur ce cher hipster, sa « rébellion de façade », son comportement réactionnaire, sa culture superficielle ou encore son absence d’idéal, on se dit que ce n’est peut-être pas plus mal d’être une « petite conne ».

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