Le je-m'en-foutisme du XXIème
Anthony Joris
La faculté de l'esprit humain la plus accessible et ce, même à l'être le plus exécrable de tous les temps est selon toute vraisemblance l'aptitude à être indifférent. Cette compétence s'il y a lieu de la qualifier ainsi, odieuse, avilissante, facile et couarde connaît pourtant un essor particulièrement notable. Pour s'en convaincre, il suffit de côtoyer quelques transports en commun et d'oser y traîner ses guêtres sans écouteurs. Vous entendrez alors plusieurs roturiers y prononcer cette phrase qui a tant d'élégance, tant de charme « je m'en fous» quand ce n'est pas une onomatopée qui prend le relais ou une expression bien plus grossière, par renvoi au lexique de la cité. Ce je-m'en-foutisme qui est l'ultime repli de l'impotent de base, celui qui n'a d'autres passions dans la vie que d'extérioriser sa vacuité intellectuelle et cérébrale de cette manière est devenu pour moi un véritable supplice au quotidien. J'irais même jusqu'à dire qu'il s'agit d'une double torture, je m'explique. Premièrement, avancer à quelqu'un que l'on se moque de tel ou tel sujet, c'est de deux choses l'une : soit lui manquer ouvertement de respect dans la perspective où l'on aurait pu faire preuve d'un peu plus de finesse et d'agilité pour lui notifier que le thème ne semblait pas intéressant de notre point de vue, soit dans la plupart des situations, se mentir à soi-même en prétendant qu'une nouvelle ne nous affecte nullement. Deuxièmement, comme je le disais en préambule, il ne demeure pas un seul humain sur terre (sauf à être demeuré) qui ne soit pas capable de recourir à cette expression. Un tel usage devrait même être perçu comme le critère ou le dénominateur commun à toutes les personnes qui sont en général dans l'incapacité d'entretenir une discussion avec des arguments valables. Cette simple phrase, pratique en toutes circonstances car se présentant comme générale et absolue trouve hélas de plus en plus d'audience auprès de ceux dont l'indigence intellectuelle est manifeste. J'appartiens en effet à une triste génération dont j'invite tous ceux qui ne rentreraient pas dans le cadre de la standardisation de l'indifférence à se démarquer des autres bestiaux qui pullulent dans une matrice malsaine entretenue par nos élites, loin d'être des despotes éclairés. Si nous sommes de plus en plus indifférents à tout ce qui nous entoure et in fine, à notre propre sort, c'est à cause de la surinformation, du capitalisme, des médias qui véhiculent des modes de vie en inadéquation avec le bonheur ou l'épanouissement de l'individu et finalement, cela débouche sur la dictature de nos existences imposée par la technique, dans un monde où il sied d'être performant si l'on veut vivre décemment. L'individu lambda est noyé dans l'océan capitalistique moderne, il appelle au secours en tendant la main, mais tout ce qu'on lui tend ce sont des magazines l'incitant à perdre de vue ses passions. Dès lors, comment accorder de l'importance aux thèmes qui apparaissent en périphérie des aspects capitaux de la vie de l'Homme moderne ? C'est ici que ma compassion intervient.