Le jour d'après
joanandmom
Alexandre Jamand, psychiatre et psychothérapeute:
J'ai passé mes 5 premières années de psychiatre dans l'hôpital spécialisé du Valmont (entendez hôpital psychiatrique) à 15 minutes d'ici. En débutant ma carrière, Audrey et moi avons accepté le logement de fonction à l'hôpital, c'était financièrement un soulagement ( crédit d'étudiant à rembourser) et aussi assez pratique avec les astreintes et les gardes. J'ai intégré le secteur 5, et rapidement, les équipes soignantes m'ont adoptés. Le chef de service est parti exercé dans les DOM-TOM sur un cou p de tête après un divorce difficile… Mon arrivée tombait à pic. Beaucoup de travail donc.
Audrey s'est vite senti délaissé, et le fait de vivre au sein d'un hôpital psychiatrique a rapidement été un problème ( ce que Je comprends tout à fait).
Moins d'un an après, Audrey est tombée enceinte. A sa demande, nous avons quitté le logement de fonction et avons acheté une maison dans un village tout proche. Notre fille Carla est née au mois de juillet, et avec elle, le sentiment de plénitude, le sentiment d'avoir réussi, d'avoir construit une famille, quelque chose d'indestructible.
Parallèlement à cela, mon travail me passionne. J'aime être là, voir l'arrivée du patient en crise, totalement délirant, perdu ou euphorique, j'aime m'investir et accompagner. La satisfaction d'avoir participé au rétablissement, au retour à la normal est un sentiment très grisant…En période d'été, je suis sur le front presque en permanence… Dès que j'ai un peu de temps, je le passe avec mon bébé…
Les mois défilent, je me fait happer par mon travail, ma deuxième fille née un peu moins de 2 ans plus tard. La même semaine, j'apprends que tous les lits du secteur 5 vont être délocalisés 40 km plus au sud…Alors que je viens d'accepter le poste de chef de service.
Audrey n'accepte pas de partir et de vendre la maison. Elle s'est bien intégrée ici.
Je crois qu'elle est à bout, hormone post-naissance… Nous nous sommes éloignés, part ma faute, mon absence à ces côtés… La sentence tombe, elle demande le divorce.
Elle me met devant mes responsabilités en me demandant comment est il possible que je puisse m'occuper de mes 2 enfants? Elle demande la garde exclusive. J'ai e droit de les voir 1 week end sur 2… Comment lier une relation avec mon bébé en le voyant si peu?
Les 6 mois suivants sont un véritable enfer, je me débats, comme je peux je ne suis plus vraiment un bon psychiatre, plus vraiment bon à rien…
Plus le choix, je démissionne. Ma priorité: mes filles. Indéniablement elles. J'ai du foutre ma famille en l'air pour comprendre ce qui est essentiel pour moi.
J'ai laissé la maison à Audrey, pour ne pas perturber les petites, et aussi pour me dédouaner un peu de ma culpabilité d'avoir tout foiré. A 35 ans, je me retrouve sans boulot, sans maison, sans mes enfants…
J'achète une maison en ville, avec un petit jardin, assez calme. Mon taux d'endettement donne le tournis… J'ouvre mon cabinet de psychothérapie 2 mois plus tard dans le rez-de-chaussée de la maison. Je ne veux pas être un psychiatre de ville qui se contente de prescrire des médicaments à des patients sans les connaitre vraiment en me contentant de les voir une fois tous les trimestre. Je refait tout l'étage de la maison, avec une entrée indépendante pour ne pas que mes filles puissent croiser mes patients. Une fois les contours de ma nouvelle vie dessinés, je demande la garde alternée, qui est acceptée.
Cela fait 9 mois. Je m'arrange pour être disponible à 17 heures, je ne travaille pas le mercredi la semaine où j'ai mes filles avec moi. La semaine où je suis seul, je bosse jusqu'à 20H00 tous les soirs et le samedi matin aussi…Ma vie s'organise ainsi, quand je suis seul, je prends du temps pour lire et aller au cinéma. Moi qui suis plutôt très actif habituellement, je n'ai pas le gout pour aller me balader ou faire du sport seul ( à part courir, ça j'en ai besoin).
Le lendemain du dernier rdv d'Emma, j'ai essayé de la joindre sur son portable, sans résultat. D'ailleurs sa messagerie avait changée, je lui avais déjà laissé un message une fois pour modifier un horaire de séance. A présent, son message disait : « Vous êtes bien sur le portable d'Emma, désolée de ne pouvoir vous répondre mais je prends quelques jours de pause sans portable. »
Tout au long de la journée, je n'ai cessé de revoir son regard, celui qu'elle avait après m'avoir raconté son histoire. Je suis inquiet pour elle. C'est un mélange de vitalité, un fort caractère qui se dégage d'elle et l'instant d'après elle semble totalement anéantie, sa douleur prends le dessus et la terrasse.
Mes rdv s'enchainent, pas le temps de rêver, je file dès que je peux récupérer mes filles à la garderie… Bain, dîner, et biberon… jeux, histoires du soir… Il est 21 heures, mes 2 merveilles dorment. J'ose un autre appel sur le répondeur d'Emma, sans résultat.
Ma nuit a été courte, Lili s'est réveillée plusieurs fois, au programme: changement de couches, petit massage abdominale, et quelques heures passés à la bercer…
Après avoir déposés les filles à la crèche, je décide de faire un détours chez Emma, j'ai noté son adresse à notre premier rdv.
La maison est une assez grande bâtisse, comme une grande maison familiale, ancienne, elle semble divisée en 2 logements. Une seule voiture garée dans la cour, tous les volets sont clos.
Comment savoir si c'est la voiture d'Emma? Je m'approche de la maison et me met à crier : « mlle Champs? Vous êtes là? C'est m.Jamand? Emma? Je ne veux pas vous importuner. Dites moi que vous allez bien!
Aucun bruit, rien. Je repars, déjà très en retard sur mes rdv du matin…
2 autres messages sur son répondeur dans la journée, en vain. J'ai un mauvais pressentiment…Que faire? Elle est peut-être partie quelque jours à Paris? Elle est adulte, je ne peux même pas signaler sa disparition… Merde, j'ai peur pour elle…
Le lendemain après un énième appel, je repasse chez elle. Rien n'a bougé depuis la veille. Je fais le tours de la maison, à l'arrière certains volets n'ont pas été changés, j'arrive en m'écrasant la main a en forcer un… Par chance la fenêtre elle aussi est ancienne, je prends une pierre et brise le carreau. J'entre. Je paierai les dégâts.
Pour le moment, j'inspecte la maison. Emma m'a dit qu'elle faisait des travaux de rénovation. Si elle a fait ce que je vois seule, je suis impressionné. La cuisine et la pièce de vie sont parfaites, moderne avec le charme de la pierre, le mobilier quand a lui est… dépouillé…Un canapé, une table basse, un meuble tv… Quelques photos cloués sur le mur… Devant la porte d'entrée, au sol, le sac à main d'Emma… Merde, ça veut dire qu'elle est ici, je crie son prénom… J'avance dans la maison, le reste est encore dans son jus, salle de bain, une chambre, vide. Je monte à l'étage, j'ouvre une porte. Emma est là, allongée sur son lit, le matelas est posé sur des palettes, elle porte les mêmes vêtements que lors de notre dernier rdv. J'ai les mains qui tremblent, j'avance maintenant doucement, je suis tétanisé. Je pose la main sur elle, son corps n'est pas froid, au mon Dieu, elle est en vie… je prends son pouls, il bat faiblement, je sais qu'elle n'a rien bu ni mangé depuis 3 jours, depuis notre rdv… Merde… Je passe ma main dans ses cheveux, la supplie de se réveiller, alors que je tourne son visage vers moi, je découvre ses yeux à moitié ouverts. Mon sang se glace. Ses yeux son tellement pâle, clair, le bleu est translucide, je crois qu'elle est partie…Je sors mon téléphone de ma poche, je suis là, assis à côté de son corps… Une feuille de papier coupée en 2 à côté d'elle, je l'ouvre: « C'est trop dur pour moi ici, j'ai essayé, je n'en peux plus. la seule chose que je souhaite, s'est retrouver mon bébé. Papa, maman, vous avez encore un fils et de beaux petits enfants, prenez en soin. Mamie, je t'aime de tout mon coeur, tu m'as donné la force de continuer tout ce temps…Pardonne moi de t'abandonner ainsi. » Je regarde l'écran de mon portable, je compose le 15 tout en me demandant si j'ai le droit de m'opposer à elle de cette façon.
Je demande au secours de faire vite.