Le jour où j'ai choisi le bonheur

francesyl

Récit caustique de la construction d'une femme tourmentée, à travers différents portraits et souvenirs ... (suite, les portraits)

Très certainement que ma ténacité est l'héritage de cette grand-mère maternelle, personnage clé de toutes les périodes de ma vie, qui a eu le seul défaut de « m'engraisser » à grand renfort de recettes toutes plus succulentes les unes que les autres, et pour qui bien manger, était gage de bonne santé. Alors, point positif, j'étais en très bonne santé !

 

Cette femme, pas très grande aux cheveux blancs et au visage poupin (qui n'aurait pas dépareillé dans l'univers des lutins à chapeau rouge), avec un corps tout moelleux où il faisait bon se faire câliner, et cette odeur surannée, mélange d'eau de Cologne et de boule à mites, m'a donné tellement d'Amour.

J'avais comme l'impression qu'elle seule me comprenait, qu'elle pouvait en un instant me rassurer, avec toujours les bons mots, les bonnes attitudes.

Dotée d'un solide caractère elle ne se laissait pas marcher sur les pieds et pouvait sans détour vous dire le fond de sa pensée, même si vous n'aviez rien demandé.

Elle n'avait pas eu d'autre choix que de développer cette armure pour se débattre dans son enfance mouvementée, entre une mère qui l'avait abandonné et une belle mère qui ne savait pas tellement que faire d'elle. Dans le Nord de la France d'après-guerre, il fallait résister pour trouver sa place et construire une famille.

Epouse de mineur, elle menait à la baguette son petit monde pour affronter ce quotidien qui ne lui avait rien épargné, pas même la plus grande des douleurs qu'est la perte d'un enfant. Elle me parlait souvent de cette petite fille foudroyée par la maladie, qui avait laissé en elle une douleur que je ressentais toujours lorsqu'elle l'évoquait; mais jamais elle ne se laissait envahir par le chagrin et avait fait le choix, en son temps, de la joie, de l'optimisme et du Bonheur.

Arrivée au pays des montagnes dans les années 70, elle était l'élément fédérateur de la famille, bout en train des fêtes de famille, garde d'enfants, confidentes, comme un point de repère où il était toujours possible de venir chercher du réconfort.

 

Elle me suivra à chaque étape de mes péripéties, même quand je ne serai plus seul maître de mon esprit où lors de mon exil tropical.

 

***

 

Bizarrement, ma mère était totalement différente d'elle, ayant plutôt décidé de voir les choses en gris, avec un fort potentiel à la bougonnerie. Potentiel que j'ai d'ailleurs largement exploité moi-même, mais qui est visiblement (et ça me rassure) lié à la génétique puisque mon petit N. montre déjà des signes d'excellence dans ce domaine.

 

Finalement je pense être arrivée trop tôt dans sa vie, même si j'étais désirée, je ne crois pas avoir satisfait à son bonheur ; ou peut-être qu'elle avait également des failles trop importantes pour lui permettre de donner de l'Amour ? Car c'est de cet Amour que je crois avoir le plus manqué, l'Amour maternel dont je ne garde aucun souvenir.

Du plus loin que je me souvienne et sans une once de rancœur, ni de reproche à son égard, je n'arrive pas à retrouver des instants de tendresse, des moments où les câlins sont tellement forts, que l'on se sent comme étouffé par les bras qui vous les donnent, des « je t'aime » qui vous rassurent avant de vous endormir, des bisous qui claquent sur vos joues d'enfant ; tous ces moments qui vous prouvent que l'amour est là, car que reste-t-il de l'amour sans preuve d'Amour (arrangement de ma citation préférée de Cocteau).

 

Je n'ai en tout cas jamais compris pourquoi cela avait été ainsi, car bien qu'ayant de gros soucis d'endormissement et autres angoisses nocturnes, je crois avoir été une enfant plutôt facile, pas de grosse bêtises à mon pedigree, une scolarité jusqu'au collège brillante, et qui, de surcroit, mangeait de tout, sans problème !

Paradoxalement, j'ai toujours cherché à rester dans son giron, revenant sans cesse à ses côtés comme retenue par un lien invisible que nous avions créé.

 

Je garde en mémoire ce visage harmonieux, mais souvent fermé, cet air taciturne, ces effluves de tabac qui lui collaient à la peau; jeune femme mélancolique uniquement dans le cadre protégé de la cellule familiale, mais qui pouvait se révéler à l'opposer dans la sphère festive et superficielle du cercle amical.

Car les amies semblaient, à cette époque, être sa priorité, point d'orgue d'une vie réussie, où sorties et fêtes rythmaient les week-ends et autres vacances.

 

J'avais d'ailleurs comme « une grande sœur », en la personne de sa meilleure amie, qui avait fait son entrée dans nos vies comme un virus, qui se propage lentement mais toujours plus profondément afin d'atteindre son objectif : la destruction des cellules.

Cette ennemie, car elle le restera finalement toujours, fait partie de ces personnes qui possèdent en elle une sorte de pouvoir d'attraction, conduisant à l'étourdissement et à la perte de contrôle ; distillant ces charmes sur toutes personnes qu'elle souhaite posséder, indifféremment, de sexes masculin ou féminin.

Sans aucune retenue, ma mère s'est donnée entièrement, totalement conquise par cette personnalité extravagante, allant jusqu'à faire sauter les verrous de ses propres limites.

 

Alors, comment rivaliser ? je n'étais qu'une faible adversaire, du haut de mes quelques années et malheureusement, je ne pouvais trouver en la personne de mon père, beaucoup plus de compassion.

 

***

J'ai cette fois, depuis longtemps compris pourquoi mon père ne me donnait pas ces preuves tant attendues ; car il n'en avait jamais reçu lui-même, cadet d'une fratrie de quatre garçons, il semblait être le vilain petit canard.

Je dis, « semblait » car il a toujours été très discret sur son passé, ne nous racontant que quelques fait marquants de son enfance, dont le plus difficile à supporter, le suicide de son père. Cette disparition tragique qu'il évoque très rarement, l'a évidemment laissé brisé, ne trouvant aucun réconfort auprès de sa mère froide et également effondrée. Alors, comment ouvrir son cœur après de telles douleurs, comment transmettre des gestes de tendresse quand on n'en a jamais reçu ; je crois qu'il n'y est jamais arrivé avec moi.

Pourtant je me souviens de ces sorties de ski ou ces randonnées en montagne, ensemble, sans trop de mots, mais où je me sentais tellement bien à ses côtés.

Mais il fallait travailler, prendre sa revanche sur la vie, prouver qu'il pouvait être quelqu'un de bien, contrairement aux dires de cette mère qui le dénigrait la plupart du temps ; alors il s'est consacré au travail, comme ma mère à son amie, entièrement, totalement, et il a réussi sa vie professionnelle, en n'ayant pas le temps de créer le mince lien qui nous unissait.

Il trouvera pourtant le temps à la naissance de ma sœur, peut-être qu'avec l'âge on prend conscience de l'importance de sa descendance ?

 

***

Il y a des évènements marquants dans la vie, symboles de changements de périodes, où tout bascule, nécessitant une réadaptation complète des comportements ; et bien l'arrivée de la petite E., en fait partie.

Je peux revivre encore aujourd'hui, ce jour d'été de la fin des années 80, où je me suis réveillée seule, comme abandonnée, pour mieux laissé à mes parents la possibilité d'accueillir sereinement cette nouvelle venue ; ce sentiment, mélange de bonheur d'être enfin grande sœur, et de peur d'être reléguée à nouveau au second plan.

Et oui, contre toute attente ma mère donnait naissance à sa seconde fille ; non pas par choix, mais plutôt par défaillance d'une technique ancestrale de contraception, dont je tairai les détails. Et bizarrement cet enfant, non désiré par ma mère, allait devenir le centre d'attention de toute la famille ; certainement parce que personne ne l'attendait et que les surprises sont finalement très appréciables passé le choc des premiers instants, ou simplement parce qu'elle était contrairement à moi plus fragile, plus difficile.

Effectivement, elle s'est très vite révélée dotée d'une capacité à être pénible, pour ne pas dire « chiante » ; refusant de manger, ne cessant de pleurer, de tomber malade, devenant de fait le souci numéro un de mes parents. Et bien que très imposante par mon poids, j'étais alors devenue presque invisible, impuissante et j'avoue lassée de cette cause perdue, qu'était ma quête d'amour.

Je lui ai alors, laissé toute la place, cherchant à l'extérieur ce sentiment d'appartenance qui me manquait.

 

***

C'est à mon tour que je me suis laissé emporter dans le tourbillon de l'amitié, une amitié d'enfant/adolescente, solide, sans mesquinerie, ni arrière-pensées ; et j'ai évidemment choisi mon opposé, CM. camarade de classe et voisine, au physique guère plus avantageux que le mien (elle ne pouvait de fait être une rivale). Cette fille délurée et farfelue me faisait rêver, elle avait à mes yeux la vie parfaite, des parents attentionnés, qui semblaient s'intéresser à chacun de ses faits et gestes, et qui de surcroit étaient propriétaires d'un hôtel, décor parfait pour les histoires naissantes d'adolescentes en quête d'absolu.

Elle m'a entrainé dans sa douce folie, et je me suis laissée portée par sa joie de vivre, pour me lancer à corps et à cœur perdus dans la vie…

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