Le jour où j'ai choisi le Bonheur.

francesyl

Récit caustique de la construction d'une femme tourmentée, à travers différents portraits et souvenirs ... (suite, l'enfer)

Ayant quasiment disparue sous la carapace de mon corps, j'ai rencontré de grandes difficultés à l'approche de cette période critique de la vie, qu'est l'adolescence.

Car les moqueries d'enfants restaient supportables dans le cocon feutré d'un petit village de campagne, où la bienveillance était de mise, mais elles devenaient sordides poison plus l'âge de mes assaillants augmentait, et que la vie me contraignait à intégrer des cercles sociaux toujours plus grands.

Alors, j'ai subi, sans broncher des assauts de moqueries et autres railleries sur mon apparence, sur ce corps trop gros, tout en rondeur qui visiblement ne collait pas aux standards de la société, et pourtant, je me dis que je n'avais rien de monstrueux, juste un surpoids qui aurait pu disparaitre avec le temps. Mais, tellement réservée et peu armée pour affronter ces imbéciles qui n'avaient de cesse de m'affubler de surnoms plus odieux les uns que les autres, je m'enfonçais un peu plus dans ma timidité, dans ce petit monde intérieur que je ne cesserai de me créer, seul rempart à la sévérité du monde réel.

Il faudra également que je supporte tous ces amours « à sens unique », ces sentiments non partagés, ou en tout cas pas de la façon dont je l'aurai espéré, ces copines toujours plus courtisées, alors que personne ne me regardait ; enfin, uniquement pour tenir compagnie, la bonne copine, pas trop conne et sympa, mais bien trop grosse pour pouvoir s'afficher à ses côtés.

Il a alors fallu contrebalancer tous cela, pour garder un certain équilibre et mettre en route la machine à créer du rêve; je m'en suis inventé du Prince Charmant, des histoires d'Amours torturées (mais qui finissaient toujours très bien), des transformations physiques magiques qui vous font devenir la star du collège, des soupirants éconduits par milliers… toutes ces situations que je ne pouvais vivre dans la réalité mais dont j'avais besoin pour me sentir bien, aimée, toujours ce foutu Amour attendu…

 

J'ai donc subi la première partie de cette période, toujours plus profondément enfoui dans ce gouffre intérieur, et malgré tous les efforts mis en œuvre, je ne parvenais pas à me faire accepter parmi les autres ; seule C.M. était mon amie.

Nous nous confions tous nos malheurs, car rien n'était évident pour elle non plus. C'est plutôt l'acné qui lui posait problème ; à la différence que ce problème pouvait être traité à coup de comprimés de Roaccutane, je ne pouvais arrêter de manger…

 

Alors, comme pour défier ces autres qui nous avaient classé dans la catégorie des « moches-infréquentables», nous avons entrepris de tester nos limites, comme pour leur prouver notre supériorité intellectuelle ; il faut bien dire sans prétention aucune, que nous avons toujours été au-dessus des autres, comme avec un temps d'avance sur la compréhension des événements, une rapidité d'esprit qu'il avait fallu développer pour ne pas se sentir totalement nulle, moche et idiote aurait été vraiment insupportable !

 

J'allais également commencer à tester mon corps, après une année de lycée catastrophique, où j'avais de surcroit intégré un internat, qui m'éloignait de force du cocon familiale ; éloignement aux effets dévastateurs, car me sentant déjà transparente, je me sentais dès lors carrément exclue.

Je pense que c'est à ce moment précis que ma mère a pris la mesure de mon problème, mais malgré tous les moments passés a essayer de me remonter le moral, elle ne parvenait plus à se rattacher à moi. En effet, mon père avait décidé de prendre en main mon avenir et essayait de jalonner un chemin vers de brillantes études, signe de sa propre réussite sociale.

Cet enchainement de petits évènements, ajouté à mon mal être grandissant, me conduisit tout droit vers une idée qui m'avait semblée ingénieuse au début, mais qui s'avérerait très rapidement incontrôlable ; ne plus garder aucune nourriture ingurgitée, tout rejeter, systématiquement.

 

***

Mais biensûr, comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? régurgiter chaque repas trop copieux, ou chaque nourriture jugée trop calorique. Très simple, technique facilement accessible et moyen de contrôle de son alimentation idéal (allé hop, un gâteau au chocolat, qui passe au fond de la cuvette des toilettes).

Cet été 1994 marquait le début de ma transformation physique et de la nouvelle vie qui se présentait à moi, dans un premier temps plus heureuse, mais tellement terrible pour ma construction de femme.

J'entrai complètement euphorique dans ce qui allait être un cercle infernal pendant de longues années.

Mais, quel bonheur de voir défiler les kilos sur la balance, de perdre des tailles de vêtements à une allure que ma garde-robe ne pouvait suivre, de sentir le regard des autres se modifier à mesure que votre transformation s'accélère. Alors, j'avoue que je me suis sentie merveilleusement bien malgré le rythme infernal des vomissements imposés à mon corps.

Le processus est vicieux car on croit toujours avoir le contrôle, mais d'un dîner trop lourd rendu en toute discrétion, on passe vite à un systématique passage aux toilettes après chaque repas, et plus les années passent plus le système enclenché se verrouille et devient totalement incontrôlable.

Alors me voilà, quelques temps plus tard avec ce nouveau corps, que je détestais toujours par ailleurs, car je ne me suis jamais sentie mince, dingue comme le cerveau garde en mémoire une image que vous vous êtes mis en tête et qu'on vous a pendant des années renvoyée à la figure. Alors, difficile d'appréhender les choses quand vous sentez subitement que les autres vous voient différemment mais que le miroir vous renvoie toujours cette image de « grosse ». Je laisserai cette préoccupation de côté pour un moment trop pressée de gouter aux joies de la séduction.

Car de fait, les garçons semblaient beaucoup plus enclins à passer du temps avec moi et plus seulement pour discuter mais pour d'autres activités plus comment dire, tactiles…

Notre entreprise de « test de limites » battait alors son plein avec C., mais finalement quel ado n'a pas essayé tout et n'importe quoi pour défier l'autorité, la société, les règles; et bien ne faisant jamais les choses à moitié, nous avons tout essayé !

Chaque week-end était dédié à la fête et à la mise en œuvre de mes nouveaux charmes, car visiblement j'étais devenue charmante, assez courtisée et je comptais bien me laisser tenter par tous ces soupirants. Imaginez, d'un coup ce sentiment de désir qui se présente à vous, sans trop forcer, je ne cherchais même pas à plaire, car la timidité ne s'était pas envolée avec les kilos.

J'enchainais alors les aventures d'un soir, enfin les « gentils aventures » car je n'étais pas prête à dévoiler ce corps bien trop longtemps caché et détesté, et même malgré des litres de GinFizz ! Mais je me délectais de ces doux moments passés dans les bras de jeunes hommes attentionnés, couvertes de baisés, me sentant aimée comme jamais, alors que soyons clairs il n'y avait là aucun Amour, et je m'en rendais compte chaque lendemain de soirées bien trop arrosées. Pas grave, je répétais la manœuvre chaque fin de semaine gagnant ainsi quelques moments où je me sentais aimée, et puis il y a eu aussi du Vrai Amour, entre ces moments de débauches, pas beaucoup, uniquement deux personnes auront fait battre mon cœur de jeune femme.

Le premier était peu original, l'Amour de vacance qui arrive avec sa nouveauté, ce petit accent du Sud, son dédain pour la jeune autochtone de la montagne ; mais qui finalement prendra bien du plaisir à gouter tous les délices de la chair Savoyarde. Alors on s'aimera une semaine durant, sans se quitter, sans se décoller, et c'est là que je remercie C.M. et ses parents pour l'accueil quasi permanent dans leur hôtel, je vous disais que ce décor serait pratique! Je remercie également mes parents, qui cherchant toujours à me voir le moins possible, acceptaient tout.

Mais les vacances ont toujours une fin et c'est sans doute pour ça que ces Amours semblent les plus forts, car ils se terminent brusquement, plaçant brutalement entre vous des centaines de kilomètres, et sans internet ni forfait illimité, de grandes difficultés de communications. Puis le temps efface les sentiments, et les rencontres guérissent le cœur avec leur lot de nouveautés ; et quelle nouveauté que ce second Amour.

Celui qui me collera longtemps au cœur, à l'esprit, comme un goût d'inachevé… et qui aujourd'hui encore alimente régulièrement mes rêves.

Lui je l'ai tellement désiré, avant même d'être débarrassée de mon encombrante enveloppe, nous avons tellement passé de temps à discuter, à philosopher, à se découvrir, que finalement je n'ai pas su l'aimé ; où peut-être que je ne me suis pas rendue compte à quel point je l'aimais ? je l'ai laissé, et je l'ai quasiment aussitôt regretté. Je n'ai toujours pas compris pourquoi cela s'était passé ainsi entre nous, et même bien longtemps après, nos retrouvailles virtuelles ne m'apporteraient pas plus de réponse; il y avait entre nous quelque chose de plus fort, ou peut-être que je l'ai trop idéalisé ? Bref, Amour manqué, qui me poursuivra des années, avec l'envie incessante d'y revenir pour réessayer, comprendre, aller jusqu'au bout ; mais il refusera toujours, même si je sais qu'il n'oublie pas, que lui aussi avait partagé ce sentiment, qui je pense lui faisais peur ; il ne dira jamais rien, se cachera toujours derrière cette apparente façade de jeune « mec branché », bien dans sa vie et n'acceptera jamais de me revoir. Je me demande d'ailleurs toujours pourquoi, mais surtout que serait-il advenu de cette rencontre 20 ans après ?

Mais le temps toujours, fait son office et apaise les douleurs de l'âme ; et puis même si l'Amour reste le point central de ma vie, il a bien fallu commencer à penser à l'avenir, car malgré les efforts de mon père à me pousser vers des études, je ne pouvais me résoudre à étudier et mon seul souhait était de quitter la maison familiale où je ne m'étais jamais sentie acceptée.

Car finalement, entre les semaines d'internat et les week-ends de folies, j'étais peu présente à la maison et c'était préférable eu égard à mes rapports, pour le moins conflictuels, avec mon père. Plus le temps passait, plus il s'échinait à me faire le détester, je ne sais pas pour quelle raison, mais dès que j'étais en sa présence il ne pouvait s'empêcher de me chercher des noises, toutes plus ridicules les unes que le autres, et l'ambiance familiale en était de fait fortement dégradée, ma mère ne réussissant pas à faire front devant ses assauts. Alors, je me réfugiais comme chaque fois dans la nourriture, mais je pouvais maintenant m'empiffrer, puisque ma super technique ne laissait plus de trace sur mon corps ; c'est là que le rythme frénétique de la boulimie s'est enclenché, et qu'il me poussait à ingurgiter des quantités importantes de nourriture, sans cesse grandissantes, pour toujours se terminer par une libération dans les toilettes ; comme un effet salvateur, besoin de vider le trop plein de bouffe, de rage, de haine, jusqu'à 7 fois par jour dans les périodes les plus sombres ; mais comme un bien-être ensuite, un apaisement, pour mieux recommencer plus tard…

Par ailleurs, c'est drôle comme personne ne s'est jamais demandé comment ma transformation avait été possible, comment en se goinfrant de la sorte je pouvais maigrir, pourquoi je m'éclipsais de façons systématiques après les repas ? ou peut-être que si, mes parents se demandaient, mais comme pour ne pas avoir d'ennuis supplémentaires, ils préféraient ne pas voir, se targuant, surtout ma mère, d'avoir une fille belle et mince ! Et moi je me sentais encore plus transparente, car même ça ils ne le voyaient pas, comme ils n'avaient pas vu mon mal être d'enfant, alors jamais ils ne verraient qui j'étais réellement, combien j'avais besoin de leur Amour ! Ou peut-être que tout n'était pas perdu, car il est des rencontres qui changent tout, qui bouleversent votre vie, à jamais.

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