Le jour où j'ai choisi le Bonheur.
francesyl
Il arrive, déambulant entre les tables avec cette aisance du type bien dans sa vie, identique à celui qu'il était au lycée. Et me voilà transportée 20 ans en arrière, quand je passais mon temps à rêvasser en cours, à scruter chacun de ses gestes, à attendre que nos regards se croisent comme une idiote écervelée.
Mais, heureusement que le temps m'a changé, car malgré l'accélération de mon rythme cardiaque, je me sens bien, très à l'aise et sure de moi, quand il se plante enfin devant moi, pour le moins étonné !
- Ah mais alors, tu m'étonneras vraiment toujours, tu es décidée à ne pas me lâcher !, décoche-t-il avec ce sourire ravageur qu'il maitrise à la perfection.
Mais comment peut-il toujours avoir cet effet sur moi, mélange de désir intense et d'agacement. Il se dégage de lui un charme qui me touche en plein cœur, ce regard derrière lequel je ressens la complexité de ses pensées, ce sourire de séducteur, qui ne me trompe plus, cette arrogance pour masquer sa fragilité et son manque de certitude.
Essayant de lui montrer que je n'ai plus 20 ans et que je ne suis pas là pour me laisser malmener, je lui réponds : « - Tu n'as pas changé, toujours aussi direct ! »
Nous conversons brièvement, car son service ne lui laisse pas de temps, mais il me demande de l'attendre pour prendre un verre, rapidement, car il me dit être souvent fatigué après le boulot.
Je n'en attendais pas moins, je savais qu'il ne baisserait pas la garde facilement, et qu'il conserverait ce rôle de Prince Désiré.
Il a sans cesse entretenu cette posture dans notre relation, celui qui est sûr de lui, qui ne vacille pas, qui ne cèdera pas aux assauts de mon cœur. Alors pourquoi ce « nous » existe-t-il encore ? Pourquoi conserve-t-il ce lien ? Uniquement pour le plaisir vaniteux de se sentir désiré ? Je ne m'y résous pas, ayant l'intuition d'un autre schéma, de quelque chose de plus profond qu'il s'échine à enfouir sous ce personnage.
Comme l'impression de le connaitre tellement bien, à force d'échanges, de déceler chez lui quelque chose qu'il n'ose admettre. Mais non, soyons factuelle il s'amuse avec cette relation, il ne peut rien ressentir pour moi qui suis si différente de lui, il cherche uniquement à galvaniser son égo et je ne lui en veux pas.
Je l'attends dans la fraicheur de cette soirée d'automne, à la terrasse de ce petit bar tout proche de son restaurant, je vais bientôt pouvoir avancer dans ma vie, sans ne plus douter sur cette histoire parallèle, quoiqu'il arrive je serais totalement en phase avec mes envies.
Minuit quarante, le voilà qui s'installe en face de moi, je ne sais si ce sont les deux mojitos consommés en l'attendant qui perturbent mes sens mais je suis plus que perturbée par sa présence, envolée la confiante quadra de tout à l'heure.
- Toi non plus tu n'as pas changé, la quarantaine te va bien : me dit-il plus sérieusement, en plongeant son regard dans le mien.
Mon Dieu, je chavire, quel salaud il sait me manipuler à la perfection, lui aussi ayant compris avec le temps les mécanismes de mon système.
Je n'ai qu'une envie, me lever et le serrer dans mes bras, me blottir contre lui que j'ai tant cherché, tant attendu, sentir sa peau contre la mienne et enfin découvrir si l'alchimie sera au rendez-vous.
Mais, j'ai peur de le faire fuir, après tout n'oublions pas qu'il n'a eu de cesse de me répéter qu'il ne voulait pas de moi, de cette rencontre, qu'il était heureux et Amoureux d'une autre.
Alors je le laisse me raconter sa vie, et je suis de plus en plus déstabilisée par la facilité de nos échanges après 20 ans d'absence. J'ai l'impression que nous ne nous sommes jamais perdu de vue, je me sens bien, sans filtre, il me fait rire, il a l'air d'être bien.
Mais, qu'en est-il vraiment, est-ce qu'il joue un jeu, je le sais très gentil et bienveillant, n'ose-t-il pas me dire que je l'ennuie, qu'il ne pense qu'à rentrer retrouver celle qui partage sa vie.
Que c'est pénible ce questionnement perpétuel, il faudra envisager de faire cesser ce travers après cette histoire, la nouvelle moi arrêtera de décortiquer tout et n'importe quoi et se fichera du ressenti des autres.
Presque trois du matin, le temps s'est écoulé si rapidement, il doit évidemment rentrer, et je n'ose pas le toucher, lui demander de me raccompagner, je suis fière et je voulais qu'il vienne à moi ; il propose tout de même de me raccompagner, il est galant et conserve les valeurs surannées des gentlemen du passé.
Le trajet se déroule plutôt silencieusement, chacun occupé à ses pensées, une gêne s'est probablement aussi installée à l'approche du fameux moment des « au revoir » ; quelle attitude adoptée : un simple « salut et à bientôt », une bise de vieux copains, une proposition de dernier verre (je sais, je crois que j'ai un peu abusé des comédies romantiques à l'américaine).
Et ! ici c'est la vie, la vrai, redescend de ton petit nuage tout doux, tu vas rentrer te coucher dans ton lit, tu vas te dire que ouais, il est vraiment sympa Mathieu mais, tu vas te convaincre que vous êtes trop différents, qu'il est trop « parisien » que tu aimes ta vie à la campagne, ton mari, tu es H-E-U-R-E-U-S-E.
- Et bien bonne nuit, ravi de t'avoir revu et si tu reviens sur paris, n'hésite pas à ne surtout pas m'appeler, me lance-t-il le sourire ravageur à nouveau collé aux lèvres.
- Contente de t'avoir enfin revu et pas de crainte, je sais maintenant ce que je voulais savoir, lui répondant tête haute, en me retournant pour franchir la porte de l'hôtel.
Mais quelle nulle j'ai été, comme à mon habitude je rumine, je n'ose jamais faire bouger les choses, mais bordel je suis quand même venue jusqu'ici pour trois heures de conversation, uniquement pour ça, c'est impossible ; alors la vie est vraiment comme chacun, mes parents, ma sœur, mon mari, ma psy, a toujours voulu me le démontrer : attendue, sans étincelle, juste la réalité bien loin des contes de fées.
Je reste complètement désemparée, allongée dans cette chambre qui me semble soudain si glaciale, triste et terne. Comment ai-je pu croire qu'il me désirerait, moi qui me sens à présent si banale, sans goût ni charme, happée par une sensation de déjà vue désagréable.
J'étais pourtant il y a quelques heures, une pimpante femme sexy, sure d'elle, capable de charmer tout prince charmant rencontré ; alors ne pas céder aux affres de cette déconvenue et restée sure de soi, demain je retrouverai mon cocon et mes Amours me réchaufferont le cœur comme il convient.
Je n'arrive pas à m'endormir et il est déjà presque temps de ce nouveau jour, que j'attends impatiemment pour chasser ce qui semble être un mauvais souvenir, mais mon téléphone m'indique un message, mon mari qui prend de mes nouvelles avant son travail ?
Non : « je suis devant ta porte… »
***
06/09/2018
Pour le coup, mon cœur explose, je me lève rapidement enfile un débardeur et me retrouve devant lui, cette fois je n'aurais pas de regret, je le tire vers moi pour l'enlacer de toutes mes forces.
Nous nous abandonnons l'un a l'autre progressivement, après cette étreinte pleine de fougue, je goute enfin à ses lèvres, ses baisers sont doux, et me font vibrer bien plus que je n'aurais pu l'imaginer.
Sa peau contre la mienne me donne l'impression que mon corps trop longtemps endormi se réveille soudain sous ses caresses, que ce corps à corps passionné me fait sortir de mon cocon de mal être, je suis en train de devenir une autre, libre, en pleine conscience de sa vie.
Plus aucune question ne me vient à l'esprit, je suis bercée par la chaleur qui se dégage désormais de cette pièce, je ne veux plus en sortir, je souhaite prolonger le moment à l'infini, demeurer là collée contre Mathieu.
Mais, la journée est déjà bien avancée et je dois quitter l'hôtel, peut-être avait-il raison et après ? Après ce moment merveilleux, ce « nous » que nous avions fait exister, qu'allions nous faire ? Je crois que nous ne nous sommes pas posé de question, nous nous sommes aimés jusqu'à ce que nos vies nous rattrapent, lui son restaurant et moi mon train de 14 heures.
Il est parti sans se retourner et j'ai préféré ne pas le rattraper car je ne pouvais pas faire partie de sa vie, et il ne pouvait pas entrer dans la mienne.
Mon cœur est lourd, je le hais à nouveau, il m'a encore laissé penser que je comptais pour lui, que je n'étais pas qu'une parenthèse divertissante au parfum d'adolescence, mais il me laisse encore sans un mot, sans me demander de tout quitter pour lui.
Est-ce que je l'aurais fait ? Je ne sais pas, peut-être qu'il ne faut y voir ici que cette quête éperdue d'Amour…
Enfin, il va falloir maintenir le cap des objectifs fixés et ne pas rester engluée dans cette histoire d'Amour à sens unique.
7/ SI PARFAITE
Je ne suis effectivement plus la même, plus sure de moi, moins tourmentée, malgré la difficulté à revenir dans les bras de mon M..
Evidemment, on ne peut pas effacer une sensation si brulante que votre esprit en perd la raison à chaque fois que vous y revenez ; alors je me suis contrainte à une discipline drastique, une routine parfaite.
Chaque jour, s'efforcer que tout soit en ordre parfaitement pour les enfants, courir chaque midi pour ne pas penser, adopter une hygiène de vie de sportive de haut-niveau (marrant pour une ex-boulimique), devenir une femme modèle. Et croyez-moi, mais ces habitudes quotidiennes et cette ligne de conduite stricte me permettent de ne pas laisser vagabonder mon esprit.
Il faut impérativement enfermer ce cœur guimauve, l'empêcher de se souvenir, d'y revenir, de rêver à nouveau de Mathieu.
Les bienfaits de ma nouvelle vie se sont rapidement fait sentir physiquement dans un premier temps, mais aussi pour ma famille qui se réjouit très vite de cette nouvelle maman cuisinière hors pair, calme, à l'écoute et si sportive pour son M. fier de sa petite femme.
Par ailleurs, je n'arrivais plus à ressentir de si douces sensations dans le lit conjugale, tous nos moments d'amour me semblaient désormais fades, mais la tendresse était devenue mon rempart, alors je refermais un peu plus la boîte à rêves, me convaincant que chacun devait vivre son lot de frustration.
Mais, bien évidemment, il est impossible de dompter ce qui est son moi profond, et c'est au printemps que les rêves ont recommencé.
Comme à l'habitude, je cherchais Mathieu, je le suivais, je restais à attendre qu'il revienne, en vain toujours réveillée par mon quotidien si bien ordonné.
La mécanique bien huilée de ma routine ne se grippant pas, je m'épanouie chaque jour un peu plus vers le nouvel idéal que je me suis fixé, je suis parfaite et seul l'Amour de mes enfants n'a d'intérêt à mes yeux, et puis je serai ensuite grand-mère et j'aurai encore un peu plus d'Amour, ainsi jusqu'à la fin de mes jours, une vie tranquille, paisible, normale comme je m'y sentais prédestinée.
Mais, en toute honnêteté je continuais à consulter de temps à autre cette messagerie où Mathieu et moi échangions régulièrement, et la petite enveloppe trop souvent restée vide, venait ce jour de se colorer d'un rouge indiquant un nouveau message !
Le cadenas saute, la boîte s'ouvre en grand et mon cœur explose à l'évocation d'un simple mot de Lui.
Je clique sur le message et c'est bien Lui, il prend de mes nouvelles, ironise sur notre moment à Paris, évoque son sentiment partagé, et m'annonce qu'il sera à la montagne dans quelques jours, pas de rendez-vous, pas de demande particulière, il sera là c'est tout.
Impossible de résister, faire l'indifférente, l'ignorer ne pas retomber dans le piège, trop difficile pour moi, et me revoilà totalement repartie à sa conquête.
Je laisse passer un ou deux jour, car on a quand même un rang à tenir, merde ! Si on est parfaite, il faut savoir se contenir, mais je lui réponds comme avant, et lui donne rendez-vous pour la semaine suivante, un après-midi ou quand il voudra.
A ma grande surprise, ma petite enveloppe vira rapidement au rouge, car dès le soir même, j'avais ma réponse et oui il acceptait cette fois, sans résister.
Comment expliquer l'état dans lequel je me retrouvais, mélange d'excitation, de joie, et de terreur à l'idée, de cette fois de tout changer !
Car, ma décision était prise, je changeais de vie, il était celui qui me faisait vibrer et même si ça ne durait pas pour le restant de ma vie, je ne pouvais plus continuer à me mentir.
Mon M. avait été mon grand Amour, mon roc, mon ami le plus attentif et fidèle, mais l'Amour n'était plus le même et mon cœur avait encore besoin de battre la chamade.
Alors oui, je verrais Mathieu et quoiqu'il se passe, il faudrait se résoudre à rompre le lien si solide qui m'unissait à mon M.
Ce jeudi matin de printemps, c'est le cœur léger que je me retrouve dans les ruelles de cette si belle ville de mon adolescence, tout me semble si calme et fluide.
Nous avions si souvent parlé de ce banc sur lequel nous nous étions longuement embrassés pendant nos années lycée, qu'il était évident de s'y retrouver aujourd'hui.
Je m'avance tranquillement, et il m'attend, il ne cesse de m'étonner jamais là où on le pense, ponctuel quand on le croit peu enclin à respecter l'heure, inquiet d'un numéro inconnu sur son téléphone, quand on le pense indifférent à qui peut bien le contacter.
Il est étrangement sérieux, que va-t-il m'annoncer ? Je commence à me sentir moins bien, avais-je idéalisé cette rencontre (comme d'habitude).
Nous nous attirons mutuellement et cette étreinte si familière me rassure, c'est désormais une évidence pour moi, ce sont ses bras qu'il me faut ; mais il s'éloigne et reprend ce regard froid.
Alors il est venu m'annoncer que sa vie changeait, il se projetait dans un avenir stable et il ne voulait plus de moi dans son entourage, il venait gentiment me dire que oui j'avais compté, que oui entre nous tout avait été fort, puissant et beau mais que nous étions trop différents, un peu cliché, mais le rat des villes ne fait pas sa vie avec le rat des champs, fusse le plus beau rat du champs !!!
Alors, il se dit qu'il devait me faire comprendre que définitivement nous n'avions pas d'avenir, que rien ne servait de se torturer avec ce « nous » qui ne pourrait jamais exister. Il allait se marier, il avait besoin que sa conscience soit claire et il ne voulait pas que je continue à me bercer d'illusions, bref on a compris il avait une fois de plus le rôle du preux chevalier venant me libérer de cette histoire bien bien belle, mais bien trop compliquée.
Quoique la démarche soit plus que méritante, il n'en restait pas moins qu'il avait rallumé les étincelles de mon cœur pour rien, pour m'envoyer son bonheur à la figure. Mais, je m'en fichais bien de son bonheur, alors « merci, au revoir » et j'aurai dû depuis longtemps écouter cette petite voix qui me disait que tu étais un égoïste, prétentieux uniquement centré sur son égo. Que tu n'arrivais pas à sortir de ce rôle d'adolescent à qui tout réussi et qui est toujours sûr de lui, bien dans sa vie, bien dans sa peau et qui préfère cacher ses failles et fermer son cœur pour ne surtout pas briser le mythe.
C'est moi cette fois qui partit sans un mot, effondrée mais plus déterminée que jamais à croire en moi.
Ce jour-là, toute ma vie a changé, je suis rentrée chez moi et j'ai longuement discuté avec mon M. pour lui expliquer la fin de notre histoire, il partageait mon point de vue comme je le pressentais déjà ; quel homme merveilleux il était, mais nous ne pouvions plus nous aimer, nos attentes étant désormais tellement éloignées.
Il rêvait de routine tranquille à la montagne, je pensais voyage, découverte, aventure.
Il n'en reste pas moins que notre séparation fut un moment très douloureux pour toute notre petite famille, mais nous sommes arrivés à retrouver un équilibre serein dans lequel chacun a trouvé sa place.
Je ne suis plus en attente d'enveloppe rouge, ou blanche ou de n'importe quelle couleur d'ailleurs, mais je suis heureuse.
Heureuse car chaque matin je me réveil à ses côtés, chaque nuit je m'endors dans ses bras et dans 10 jours nous partons à Rio, il m'emmène faire ce voyage qui me fait rêver.
La vie n'est jamais figée, je me rappelle souvent cette phrase de ma psy et je peux vous jurer que la réalité est bien plus surprenante que n'importe quel film à l'eau de rose.
***
Ce jour-là, après ma discussion avec mon M.je suis partie de la maison pour ne plus voir personne, faire le vide pour tout recommencer ; et mon téléphone à bipé, dans cette chambre d'hôtel où je m'étais réfugiée, un message s'affichait: « je suis devant ta porte… »
Finalement quand on croit avoir fait le bon choix et qu'on laisse s'éloigner la seconde possibilité, notre cœur peut soudainement se réveiller et nous guider jusqu'à ce sentiment que l'on croyait une simple relation parallèle.
Mathieu m'a rejoint, et il a tout quitté pour moi, nous vivons enfin ce que nous nous écrivions…