Le Journal

Hugo Desquennes

Nouvelle écrite en 48h dans le cadre d'un concours ayant pour thème "L'Espoir". Décembre 2015

JOUR 525

R.A.S. La fin approche.


JOUR 526

R.A.S.


JOUR 527

Adieu journal.

      Ce jour marque la fin d'un long calvaire dont je ne peux plus supporter le poids. Aujourd'hui, je ne prendrai pas la peine d'user un peu plus ma plume pour t'affubler d'un énième «R.A.S». Tes pages blanches ne demandant qu'à être noircies m'ont permis plus d'une fois de repousser la date fatidique, mais aujourd'hui, je dois faire face à la vérité. Ces nombreux mois de recherche n'ont finalement rien donné, et il semblerait qu'effectivement, mon âme perdue n'aura plus jamais l'occasion de croiser un regard plein de vie, d'entendre un éclat de rire, ni même de rire elle-même. Me voilà seul, à tout jamais.


    Je pensais que le plus dur était derrière moi, mais je me trompais lourdement. Les premiers jours ne furent pas simples, c'est vrai, mais je serai prêt à tout pour les revivre. Lorsque j'ai commencé mes recherches, il était impossible pour moi de prendre pleinement conscience de ma situation. L'absurde et l'irréel ne faisait qu'un et il m'a fallut quelques semaines avant d'accepter que tout cela était bien loin d'être un rêve, une hallucination ou un canular. Il était inconcevable d'accepter l'idée que je vivais bel et bien le cauchemar le plus effrayant qui puisse hanter les nuits d'un être humain. Je ne sais plus combien de temps j'ai mis avant d'entendre ces mots sortir douloureusement de ma bouche tremblante : Je suis seul au monde.
       J'ai d'abord passé le plus clair de mes jours et de mes nuits à étudier les phénomènes surnaturels, les disparitions de masse comme celles du village esquimau d'Angikuni et du triangle du Nevada. Seulement, j'ai vite compris que je ne trouverai pas de réponse, et que s'il y en avait une, celle-ci ne m'apporterait, de toute manière, aucune solution. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à préparer mon tour du monde.
   J'ai longtemps gardé l'espoir que ce tour du monde me sauverait, que je finirai bien par rencontrer, au détour d'une rue, d'un chemin, au bord d'un fleuve ou d'une forêt, quelqu'un qui, comme moi, aura refusé d'embrasser la mort sous le coup de la solitude et aura trouvé le courage de se dire que tout n'est pas perdu.
     Cependant, à l'instar de la joie, de l'amour et de tout autre sentiment exaltant que ce monde a jadis pu porter en son sein, l'espoir n'est plus. Pourtant, j'ai bien cherché. J'ai cherché l'espoir en moi comme j'ai retourné chaque continent afin d'y trouver la solution à ma folie. Parce que oui, la solitude m'a rendu fou.


    Cela fait maintenant deux semaines jour pour jour que je marche en direction du point culminant de la région, afin d'assister à l'ultime moment qui me permettra de mettre un terme à mon existence de la façon la plus sereine possible. Je viens d'en atteindre le sommet, et me voilà désormais dans l'attente à la fois impatiente et appréhensive d'un coucher de soleil à la chaleur apaisante. Lorsque sa dernière lueur ira se cacher derrière les montagnes dressées à l'horizon, laissant place aux ténèbres glaciales et obscures d'une longue nuit d'hiver à laquelle je ne désire pas prendre place, ce sera le signal irrévocable qui me donnera, j'en suis persuadé, le courage d'ouvrir les bras et d'embrasser le vide pour mieux m'abandonner au néant. Ce lieu qui autrefois me tétanisait d'effroi et m'encourageait à supporter une journée supplémentaire, me semble être aujourd'hui d'un réconfort supérieur à tout ce que j'ai pu vivre ces derniers mois.
      Je ne vais pas te mentir, j'ai, à plusieurs reprises, réussi tant bien que mal à me délecter de ce qu'il reste d'appréciable dans cet environnement hostile. J'ai aimé le vent caressant les dunes de sable d'un désert saharien en mouvement perpétuel, la mélodie des feuilles de la forêt amazonienne, tantôt mezzo, tantôt fortissimo lorsque la brise se faisait bourrasque, la multitude de flocons uniques venant compléter avec grâce et fragilité un amas de neige immaculée. J'ai aimé être le seul témoin de l'harmonie des éléments, même lorsque celle-ci se faisait dans un silence abyssal.
    Mais les outrages du temps m'ont séparé de toute la beauté et la pureté que ces instants pouvaient comporter. Le sable s'est mis à m'érafler les joues, se logeant dans mes yeux et ma gorge les jours de tempête, m'obligeant à prier un dieu auquel je ne croyais pas pour trouver une source d'eau fraîche. La symphonie forestière s'est métamorphosée en cacophonie incohérente au point de me voir espérer devenir sourd, et la neige a progressivement figé chacun de mes muscles, bleuissant mes phalanges, me contraignant à écouter le claquement de mes dents qui résonnait un peu plus à chaque seconde. Même le silence m'est devenu insupportable.

    Je crois que le plus dur aura été de réaliser que mettre fin à mes jours signifiait également l'extinction définitive de l'espèce humaine. Cette prise de conscience m'a empêché de dormir pendant un temps qui m'a parût être une éternité. Moi, qui aurai été incapable d'abattre un chat pour tout l'or du monde, voilà que me prenait l'envie d'achever de plein gré trois millions d'années d'évolution, de traditions et de cultures en tout genre. Je me suis imaginé plus d'une fois que toute la population mondiale disparue me regardait d'en haut en me suppliant de toutes leurs forces de ne pas faire cette erreur, mais j'ai arrêté. S'ils souhaitaient sincèrement sauver l'humanité de sa disparition, ils seraient revenus depuis belle lurette.
    J'ai fini par comprendre que l'Homme n'était pas fait pour vivre seul, que sa capacité à se regrouper, à former une communauté faisait partie de son patrimoine génétique si complexe, car nous sommes naturellement faibles et ne pouvons puiser notre force que dans le nombre et le partage. Voilà pourquoi j'ai décidé de partager mes idées avec toi, mais ce n'est plus suffisant. Et puis, si le destin de sept milliards d'individus repose sur la relation d'un seul être et de son journal, alors cette vie ne vaut pas le coup d'être vécue.

    Le soleil a entamé sa désescalade, c'est donc ici que je te laisse. Je ne saurai pas dire si je me sens bien ou non, mais je sais ce qu'il me reste à faire. L'appréhension semble avoir prit le pas sur l'impatience, mais je me suis résigné depuis plusieurs jours, déjà.

Adieu journal.



JOUR 528

Bonjour journal.

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