Le laveur de vitre

Bernard Delzons

Juste un peu de tendresse


 

Eliot vient d'arriver à l'hôpital de la ville. C'est lui qui lave les vitres à l'extérieur du bâtiment.

Après avoir renseigné toutes les formalités administratives habituelles, il monte sur la terrasse et prépare son matériel. Quand il est fin prêt il monte sur la balancelle qu'il va faire descendre petit à petit du septième au premier étage. Il vérifie qu'il n'a rien oublié : les seaux sont là, le premier rempli d'eau savonneuse, le deuxième d'eau claire, les éponges sont dans leurs boites aussi, et sa panoplie de raclettes est bien arrimée à la balustrade.

 

Il commence son travail machinalement en pensant à ce qu'il a fait le week-end passé. Il est sur un petit nuage, le diner avec sa copine Jacinthe été une réussite, un vrai moment de bonheur. Il se surprend à siffloter comme le rossignol qu'il aperçoit sur l'arbre qu'il a derrière lui. Pendant un petit moment ils se répondent : 

-          Je suis amoureux tu sais ;

-          Moi aussi, c'est le printemps, elle est belle et prépare le nid

-          On n'en est pas encore là, mais ce soir on ira à la plage, puis on dînera au “petit jardin”

-          Je lui apporte des branchages, elle les lie entre eux, c'est une artiste.

-          La mienne aussi, elle fait des jolis tableaux.

-          Bravo, je dois partir, elle m'attend, au revoir l'ami

-          Au revoir, fais-lui la bise….

 Le septième étage est terminé, il descend la nacelle à l'étage inférieur. Cette fois il faut faire plus attention les vitres sont plus sales. Il passe son éponge pleine de mousse, puis une raclette pour le haut, puis il en prend une avec un manche plus court pour le bas. Il aime bien venir ici, c'est calme. Aujourd'hui c'est une belle journée, le soleil brille il voit tout les défauts sur les baies vitrées.

Il peut à nouveau descendre d'un étage. Il est absorbé par son travail, mais tout à coup de petites jambes de pyjamas attirent son attention de l'autre côté de la vitre. Il s'arrête de travailler et observe l'intérieur de la pièce. C'est une chambre d'hôpital, sur le lit un enfant d'une dizaine d'année le regarde, puis se lève et s'approche de la fenêtre. L'enfant n'a plus de cheveux. Eliot se rappelle, ce bâtiment est celui des “cancéreux”. Quel horrible nom ! 

Le petit garçon fait derrière la vitre les mêmes gestes que lui. Alors il lui vient une idée. Il remet de la mousse sur la vitre et adroitement il se débrouille pour lui dessiner une belle chevelure au dessus de la tête. Il prend son téléphone et photographie le garçon qui en se voyant ainsi avec cette tête toute frisée, applaudit à tour de bras. Puis il lui fait signe de la main et disparaît, il vient de quitter la chambre. Eliot est tout ému. Sa journée commence décidément bien.

Il reprend son travail et chantonne cette fois une chanson  de Charles Trenet : “Il y a de la joie…” 

Il arrive au deuxième étage, et barbouille la vitre avec la mousse de son seau. Puis il passe un premier coup de raclette pour découvrir une bonne douzaine d'enfants tous avec  le crâne dépourvu de cheveux. Il reconnaît le petit garçon du cinquième. Quand celui-ci rencontre son regard, il se met à applaudir, immédiatement suivi par ses petits camarades.

Eliot spontanément remet de la mousse sur la vitre et se met à dessiner une coiffe sur celui-là, une moustache sur son voisin, un petit chat entre les deux, un chapeau de gendarme sur le troisième, une coiffe bretonne sur la petite aux yeux bleus… Comme il l'avait fait avec le garçon seul, il fait une photo du groupe, qu'il leur montre. Puis il se barbouille le visage et il fait un selfie aux milieu des enfants. Les enfants rient, applaudissent à nouveaux, puis lui envoient un baiser à travers la fenêtre.

 

Il faut continuer son travail, il est temps de descendre à l'étage en dessous.

 

Quand Eliot sort de l'hôpital, il voit sur l'arbre le Rossignol et sa compagne. L'oiseau se met à chanter. Alors les paroles de la belle chanson “les roses blanches…c'est aujourd'hui dimanche…” lui reviennent en mémoire.

Il se retourne et au deuxième étage, les enfants lui disent au revoir de la main.

 

Eliot est très ému, Partagé entre la joie de retrouver Jacinthe et la nostalgie de ce moment si particulier, partagé avec ce petit monde.

C'est une petite vidéo, racontant cette histoire qui m'a inspiré ce petit texte.

 

Comment peut on imaginer que notre monde puisse à la fois être si tendre et si plein de haine ?

 

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