Le loup et la tortue
nathan
Au sommet d'un col blanc flagellé par les vents,
Siège un pauvre animal, amer et déchirant.
Un loup passait par là et s'étonna de voir
Sur les toits escarpés de son trône d'ivoire,
Animal aussi lent languissant aussi haut.
Avide de savoir, le loup lui tint ces mots :
« Oh noble reptile, j'ai peine à concevoir
Le dessein colossal qu'il vous a dû falloir
Pour aboutir ici, au perron absolu. »
L'ovipare passif lui gémit, résolu :
« Je suis las des efforts vains et des caprices
Dont la vie m'a jonché et j'aspire au délice
D'une mort solitaire abrégeant mon martyre.
Ce tragique abandon m'aide à ne plus subir
La cadence effrénée de tourments tenaces.
L'existence ne m'a rien concédé hélas. »
Le canidé ne peut retenir un bas rire
Qui fâche la tortue et puis la fait frémir.
« Eh mon camarade, la Terre ne te doit rien !
Rétorqua le loup à cet affligeant vaurien,
C'est toi qui crée ta vie, et non pas ton voisin !
Obstacles, embûches... sont le pain quotidien
De tout animal mais certains brisent le sort
Et vont à l'assaut de leurs rêves faire éclore
Le fruit mystérieux de leur volonté profonde.
Ils forment la masse créatrice du monde ! »
La tortue, outrée, n'en revint pas et fila
En un lieu où on ne la contrarierait pas.
Et le loup, acerbe et droit, poursuivit sa voie
Sans s'occuper de l’être laissé aux abois.
Dans cette fable, la morale est ambiguë
Car tous deux pensent être sans failles, perdus
Au sein d'une obsession tortueuse aigrie
Ou dans une confiance à l'opulence nourrie
Mais oublient qu'échanger, partager et entendre
Mènent à l'apaisement, au bonheur sans méandre.