Le Mâââle

My Martin

Louise Weber est une bonne fille


Vers 1880

Après le régime du Second Empire (« la fête impériale »), la IIIe République 1870-1940 commence par un retour à l'ordre et à la morale, entre le premier Président Adolphe Thiers et Jules Simon (gouvernement 1876-1877).

1880. Dix ans plus tard, avec les Républicains opportunistes, la rigueur fait place à une plus large tolérance : liberté de la presse, prostitution en maisons closes et de plus en plus sur le trottoir, non-application de fait de la loi sur l'ivresse publique, etc. Les lieux de plaisir, guinguettes, rues chaudes, se multiplient à Paris et dans les villes.

Les établissements se renouvellent vite à Paris. Le populaire Bal Mabille disparaît en plein ordre moral (1875).

1831-1875 Le Jardin Mabille / Bal Mabille était un établissement de danse fondé en 1831 par un professeur de danse du faubourg Saint-Honoré, Mabille père, sur l'actuelle avenue Montaigne à l'époque presque champêtre, à proximité des Champs Elysées.


1807. L'Élysée-Montmartre, en bas de la Butte, prend la relève et draine une clientèle cosmopolite. Vaste jardin, la façade est décrite par Zola dans "L'Assommoir" 1877.

L'Élysée-Montmartre est une salle de spectacle parisienne située au 72 boulevard de Rochechouart, au cœur du quartier de Montmartre, inaugurée en 1807. Fermée en 2011 à cause d'un incendie. Réouverture le 15 septembre 2016.


Les cafés-concerts, les « beuglants » -café-concert de quartier, à la fin du XIXe siècle-., se multiplient après l'Exposition universelle de 1878. Le café-concert, ou caf'conc est à la fois « une salle de concert et un estaminet. Il réunit dans son enceinte un public qui paie en consommations, le plaisir d'entendre des romances, des chansonnettes ou des morceaux d'opéra ».


2 mai 1869. Le cabaret des Folies-Bergère invente après 1886 la version française du « music-hall ». Spectacle de variétés né vers 1848, composé de tours de chant, de numéros de comiques et parfois, d'attractions.


Le Moulin-Rouge ouvre ses portes le 10 octobre 1889 sur le boulevard de Clichy. Fondé par Joseph Oller (1839-1922) et Charles Zidler (1831-1897). Ouvert en bas de la butte Montmartre, les fondateurs souhaitent offrir un lieu dédié au divertissement populaire, pour un public diversifié.


Les courtisanes, ces « femme[s] de mœurs déréglées qui se distingue[nt] par une certaine élégance de manières, et qui met[tent] à prix [leurs] faveurs », sont surnommées « cocottes », « grandes horizontales » ou « demi-mondaines ». Certaines parviennent à la notoriété et à la fortune, à l'ombre de leurs protecteurs. Elles font carrière de danseuses, sont les reines de la nuit parisienne.

Dont Blanche de Païva, Lionne de Paris 1819-1884, courtisane sous Napoléon III

Esther Lachmann, née Esther Pauline Blanche Lachmann et généralement connue sous le nom « la Païva », aventurière russe de modeste origine polonaise, devenue marquise portugaise, puis comtesse prussienne.


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Louise Joséphine Weber, dite "La Goulue"

née le 12 juillet 1866, à Clichy

morte le 29 janvier 1929 (à 62 ans) à Paris, hôpital Lariboisière (10e arrondissement)

Danseuse, mannequin ; figure mythique du Montmartre de la Belle Époque (1870/1890 à 1914)


Famille d'origine alsacienne ; fille de Dagobert Weber 1828-1873, charpentier, né le 10 décembre 1828 à Geispolsheim (Bas-Rhin),

et de Madelaine Courtade 1835-1877, couturière, née le 4 octobre 1835 à Wissembourg (Bas-Rhin).


Elle passe une partie de son enfance au n° 1 de la rue Martre, dans la maison ouvrière familiale de Clichy, avec son frère et sa sœur.

Sa mère lui donne le goût de la danse.


En 1869, naît une demi-sœur (Louise ne na connaîtra jamais), avec qui Madelaine quitte le foyer conjugal.

1869. Louise a 3 ans. Sa mère abandonne le domicile familial de Clichy-la Garenne (Hauts-de-Seine).

Après la disparition de sa mère, Louise est élevée, ainsi que son frère Joseph (né en 1864) et sa sœur Victorine Madeleine (née en 1868) par leur sœur ainée, Marie-Anne Weber, née Courtade en 1861, qui tient une blanchisserie.


Dans le Paris assiégé par les troupes prussiennes, en 1870, la famille Weber connaît la faim.


Louise est envoyée chez les religieuses par son père, mutilé des deux jambes, à son retour de la guerre de 1870. Il meurt des suites de ses blessures, le 5 janvier 1873 (45 ans).


Son père Dagobert exhibe Louise sur la table des invités de noces ou de banquets, où elle pratique le Chahut. L'art du lever de jambe, premier nom du Cancan.

Le Dictionnaire de la danse de Desrat fait remonter l'origine du Cancan à l'année 1830. Il en donne la définition suivante : « sorte de danse épileptique ou de delirium tremens ; qui est à la danse proprement dite, ce que l'argot est à la langue française ».

Le Chahut-Cancan est une danse inspirée par la cachucha -issue du milieu gitan de Cadix- une danse andalouse pratiquée par Fanny Elssler sur la scène de l'Opéra de Paris, en 1836.

A la manière des Gitanes, les danseuses se cambrent et font voler leurs jupes au-dessus des genoux.


1872 Louise débute au bal public à l'âge de 6 ans, à l'Élysée-Montmartre, pour les enfants d'Alsace-Lorraine, sous la présidence de Victor Hugo et de la comtesse de Chabrillan, Céleste Mogador.

Élisabeth-Céleste Venard, épouse de Chabrillan, née le 27 décembre 1824 à Paris où elle est morte le 18 février 1909, est une prostituée, galante, courtisane, comédienne, danseuse, actrice, autrice, chanteuse, propriétaire et directrice de théâtre, française, connue sous le nom de scène de la « Mogador ». Elle navigue aussi bien dans les hiérarchies sociales que prostitutionnelles, de Paris à Melbourne (Australie), du Poinçonnet (Indre. Château, région de son mari), à Asnières, en passant par le Vésinet.


Jugée osé par la bonne société, le Chahut-Cancan est récupéré par les noceurs parisiens. Les mouvements obscènes, les grands écarts, les levers de jambe frénétiques à hauteur des yeux, affolent les bourgeois. Dans chaque bal, un sergent de ville fait office de « Père la Pudeur ». Il arrête les fêtards, si la danse devient indécente.

Louise devient la mascotte du Chahut-Cancan, popularisé dans les années 1850 par Céleste Mogador, danseuse vedette du bal Mabille, avenue Montaigne. La danse endiablée prend le nom de French Cancan en s'exportant hors de France, dans les années 1860. Le symbole des nuits parisiennes et d'un style de vie, débridé, subversif.


1874. 8 ans. Recueillie par son oncle Georges, Louise part vivre à Saint-Ouen. Maison de correction. Elle s'enfuit.


1877. Louise a 11 ans. Elle vend des fleurs, fréquente les marlous.


1878. Louise se rend à sa communion en tutu et chaussons de danse.


1879. À 13 ans, Louise est blanchisseuse le jour, à la Goutte d'Or (est de la butte Montmartre. Elle "emprunte" les belles robes des clientes pour aller danser). La nuit, égérie des bals musettes.

Journal, décembre 1913. « Je suis née à Clichy. Maman tenait une blanchisserie. Et mon plaisir était d'essayer le beau linge ».


1881. A 15 ans, Louise emménage dans une chambre des Batignolles (17e) avec un amant de son âge, le jeune artilleur lorrain Edmond Froelicher. Puis rue Antoinette, à Montreuil.


"Louise est issue d'un milieu modeste, elle écrit comme elle parle, fait des fautes, et se raconte au jour le jour. Elle a des tics de langage qui reviennent, mais aussi de jolies formules. Par exemple, lorsqu'elle se dispute avec l'un de ses nombreux amants, elle dit avoir quelques petites contrariétés intimes".

Maryline Martin (née en 1967), auteure de la biographie de Louise (2019). Elle a lu le journal intime de Louise Weber, conservé au Moulin Rouge.


Louise devient familière de l'Élysée Montmartre et du Moulin de la Galette (1882) -guinguette en 1830, cabaret dès 1870, et music-hall à partir de 1924.

Elle ne rêve que de danser : « J'ai couru les bals, je dansais à me faire sauter le cœur ». Parallèlement, elle exerce le métier de blanchisseuse.


1882. Louise (16 ans), la reine du Chahut, danse sur scène.


Mènent le « Chahut ».

Louise

En association avec Valentin le Désossé 1843-1907. Squelettique, visage glabre.

Edme-Étienne-Jules Renaudin, dit Valentin le Désossé, Valentin Montagné ou encore Seigneur Valache. Danseur et contorsionniste français. Fils de clerc de Notaire, Valentin est un personnage issu de la « haute », dit sa camarade de quadrille Louise. Il est d'abord négociant en vins, avant de devenir danseur. Sa souplesse exceptionnelle lui vaut son surnom de « Valentin le Désossé ».

Louise rencontre Valentin à l'Elysée-Montmartre. Souliers vernis, pantalons collants et chapeau haut-de-forme. Son compagnon de danse sur scène pendant dix ans 1885-1895

Il arrive à l'heure convenue, danse et repart. Il ne boit pas. Il n'est pas payé (à sa demande. Aisance financière).


Aussi, les partenaires hommes, Fil de fer, Grille -Tout, Tortillard.


Les filles,

la Môme Fromage 1870-19.. L'amour lesbien de Louise

1891-1892, "La Goulue arrivant au Moulin Rouge", par Toulouse Lautrec (selon lui, son meilleur tableau sur le music-hall). Louise encadrée par sa soeur et son amante. New York, Museum of Modern Art

Nini Patte-en-l'Air 18..--1930. De son vrai nom Marie Blanchard, partenaire de Louise

Demi-Siphon. Jeanne Faës ou Marcelle Mignon ? Surnom de Demi-Siphon, par allusion à sa taille 1 m 45. Morte en faisant le grand écart.

Rayon d'Or 1840-18..

Muguet la Limonière

Trompe-la-Mort

Nana Sauterelle, ...


Les peintres, Henri de Toulouse-Lautrec 1864-1901 -plus traditionnels, Jules Chéret 1836-1932. Georges Meunier 1869-1942-, croquent ces scènes audacieuses.


Danse les dimanches et jours fériés au Moulin de la Galette, un bistrot de Montmartre. Louise séduit un public hétéroclite. Apaches et gueuses côtoient ouvriers et bourgeois venus s'encanailler.

Des artistes et des journalistes, à l'affût des nouvelles tendances.

Louise attire leur regard. Elle est la première danseuse qui retrousse ses jupons jusqu'à la taille -à cette époque (XIXe), les culottes des femmes sont fendues à l'entrejambe, pour uriner et baiser tranquille.

Les hommes se bousculent pour entrevoir sa blondeur. Louise fait voler le chapeau des hommes, de la pointe du pied. Elle vocifère, apostrophe, s'exprime dans un argot de charretier.


"Elle n'a pas les mots, les codes. Mais elle utilise ses contacts, les chroniqueurs de la presse. Ils la critiquent, parlent d'elle."

Charles Desteuque, secrétaire des Folies Bergères et chroniqueur dans le journal Gil Blas -rubrique de promotion des demi-mondaines. Il lance Louise dans le Tout-Paris. Charles Desteuque 1851-1897, dit l'Intrépide Vide-Bouteilles.


Louise est la maîtresse d'un certain Gaston Chilapane -surnommé Goulu Chilapane- , un jeune diplomate de son âge, domicilié avenue du Bois / avenue Foch (hôtel particulier). Il l'emmène danser tous les soirs.

Son amant Goulu Chilipane, son habitude de boire dans les verres des clients qu'elle approche lors de ses danses : son surnom, "La Goulue".


Le Figaro du 25 novembre 1885. Louise a 19 ans. « Elle est une Pompadour canaille, rose et joufflue qui vit pour manger. Elle a de l'appétit, des appétits et elle est appétissante. Sa frimousse est comme barbouillée de confiture ».


En 1884, elle s'installe boulevard Ornano (18e) avec son ami Charlot -déménageur à Montmartre- et débute, blanchisseuse rue Neuve-Notre-Dame (île de la Cité, rue disparue). Lavandière comme sa mère, elle continue à pratiquer la danse.


Elle fréquente aussi bien les puissants de ce monde, que les malfrats.

"Elle n'est pas vénale, elle s'amourache d'hommes fortunés, ou d'un déménageur -'Charlot 1er'. Il vit à ses crochets. Elle a besoin d'hommes mais ne dépend de personne".


1889. Louise (23 ans) débute dans "En selle pour la revue", au cirque Fernando. La danseuse-chorégraphe Grille d'Égout (Lucienne Beuze 18..-1929. Dentition incomplète) et Céleste Mogador, lui prodiguent leçons et conseils.

Elles la font débuter professionnellement à l'Élysée-Montmartre en tant que danseuse, ainsi qu'à Montparnasse, au bal Bullier -31 avenue de l'Observatoire, 5e- et à la Closerie des Lilas. Grand écart, hauts levés de jambes.


Louise abandonne son apprentissage de blanchisseuse pour devenir modèle : elle pose nue pour Auguste Renoir, à Montmartre. Il l'introduit dans un groupe de modèles qui gagnent un supplément d'argent, en posant pour des artistes et des photographes.


Modèle pour les photographes, en particulier pour Ernest Salmon, n° 11 de la place Pigalle. Fils de Joseph Jacques Salmon, meunier. Frère aîné de Yvan Salmon, journaliste, alias Victor Noir 1840-1870.

Achille Delmaet 1860-1914, mari de Marie-Juliette Louvet 1867-1930, grand-mère de Rainier III de Monaco (époux de Grace Kelly). Connu pour ses nombreux « nus-photos » de Louise (19 ans).


1889. Louise est engagée par le Catalan Joseph Oller et par Charles Zidler, qui possèdent déjà l'Olympia. 1888, n° 28, boulevard des Capucines, le plus ancien music-hall de Paris.

Ils ouvrent leur bal du Moulin-Rouge, place Blanche. Boulevard de Clichy dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, au pied de la butte Montmartre. Splendide établissement, un cadre féerique pour la danse.

Louise s'y produit pendant six ans 1888-1894.


Louise -chorégraphe- monte une troupe de danse avec ses amies, demi-cocottes : Rayon d'Or, la Torpille, Nana, la Sauterelle, Grille d'Égout, Georgette la Vadrouille, Cri-Cri, Nini-Pattes-en-l'Air, Jane Avril, la Môme Fromage, Demi- Siphon, ...


Elle porte un collier de chien en ruban de satin autour du cou, elle est son seul maître. Elle ne dépend de personne, surtout pas d'un homme. Dans le quadrille -qu'elle invente avec sa condisciple la danseuse Grille d'Égout-, les hommes tiennent le second rôle. Les femmes donnent la cadence, le plus souvent sans cavaliers.


Louise commence par un remuement fiévreux des dessous : jupons blancs garnis de volants, larges pantalons de lingerie, jarretières. Elle exécute une figure du quadrille naturaliste intitulée « la guitare ».

Le coup -de-cul, elle remonte ses jupes sur ses culottes.

Le « quadrille dit réaliste » (le French Cancan) se termine par une séquence appelée le Chahut ; une ou deux femmes tombent en grand écart. Le clou du spectacle.


Grâce à cette danse endiablée faites de jeux de jambes acrobatiques, profondément innovante pour l'époque, Louise devient célèbre. Le succès de son spectacle est immense et ameute le tout Paris.


Frange blonde, chignon en casque et accroche-cœur plaqué sur le front… de Paris à New York, en passant par les bouges et salons chics londoniens, les filles ont la même coiffure, le même ruban noué au cou.


Chroniques du Diable, « Le trottoir au théâtre ». Le poète Octave Mirbeau écrit : « La brutalité radieuse est son seul esprit. »


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1891. Commande par Charles Zidler, pour le lancement de la saison. Toulouse-Lautrec (27 ans) crée la célèbre affiche du Moulin-Rouge.

L'affiche connaît un large développement après la promulgation de la loi du 29 juillet 1881 qui consacre la « liberté de la Presse » et proclame le libre affichage. La première affiche « Moulin-Rouge, la Goulue » commandée en 1891 à Lautrec par Zidler, directeur du célèbre cabaret, est un succès. Elle incite Lautrec à s'engager dans la création d'affiches et plus largement, de lithographies. Entre 1891 et 1900, Henri de Toulouse-Lautrec crée 31 affiches et près de 325 lithographies qui lui permettent de se faire connaître d'un plus large public.


Le peintre représente Louise, éclatante avec ses cheveux jaunes réunis en chignon haut, son caraco rouge à pois blancs. Pivot de l'affiche, la danseuse évolue sur les diagonales du plancher qui rendent la profondeur de la scène.

Coupé à mi-corps, en ombre grisée, ‘'Valentin le désossé'' occupe le premier plan.


A l'Elysée Montmartre, Louise rencontre un drôle d'homme barbu avec un chapeau melon en train de dessiner. Elle l'apostrophe : « T'es trop mignon toi, mon p'tit nain barbu ! ».

Le nom du peintre Toulouse-Lautrec est indissociable de celui de Louise. Son crayon immortalise la célèbre danseuse, ainsi que ses partenaires dans le quadrille du Moulin-Rouge. Le peintre représente Louise de nombreuses fois, illustre la vie des cabarets parisiens.

Collaborateur au Figaro à partir de 1892, Toulouse-Lautrec illustre une étude sur "Le Plaisir à Paris" de Gustave Geffroy, dans Le Figaro Illustré de février 1894 : « des aquarelles étonnantes d'ironie et de vérité » où l'on reconnaît Louise.

Gustave Geffroy, né le 1ᵉʳ juin 1855 à Paris et mort le 4 avril 1926 dans la même ville, journaliste, critique d'art, historien de l'art et romancier français. L'un des dix membres fondateurs de l'académie Goncourt.

« Tous les peintres m'écrivaient, ils voulaient faire mon portrait. Valentin le Désossé me conduisit chez Toulouse-Lautrec, un gars touffu qui travaillait en blouse ». Interview au Journal, le 20 décembre 1913.


Toulouse Lautrec reste l'ami de Louise jusqu'à sa mort. Elle fait une confiance aveugle à son regard bienveillant, sans jugement.


« La Goulue a inspiré Lautrec », dit l'actrice Arletty.


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Le tsar Alexandre III, le grand-duc russe Alexis, le prince égyptien Chérif Amourad Yazi, le baron de Rothschild, le marquis de Biron, ...

Elle se donne en spectacle privé pour le shah de Perse, dans la suite de son hôtel.


Au prince de Galles 1841-1910 -futur Edouard VII, roi d'Angleterre 1901-1910-, elle lance : « Allez, régale-moi de champagne ! Sinon c'est ta mère qui me régalera ! ».

Louise l'appelle « Doudou » en public. "Dirty Bertie", pour les Anglais. Fils de la reine Victoria. Fêtard invétéré, gros appétit sexuel, familier de la maison close haut de gamme "Le Chabanais", n° 12 rue Chabanais (voir sa chaise à bascule, chaise d'amour).


Edmond Heuze, dit “Cocotte”, ancien danseur au Moulin-Rouge, raconte en 1951 pour la RTF sa rencontre avec Louise, et une soirée particulière devant le Prince de Galles :

"On ne pouvait pas la suivre, on aurait dit un papillon. Elle était éblouissante, cette fille-là. Et Valentin Le Désossé avait peine à la suivre. Je n'ai jamais vu d'égale. Franchement, j'ai vu des gens qui dansaient mieux, mais elle, elle était la danse, vous comprenez. Elle n'était pas une danseuse, elle était la danse. Et elle s'est précipitée, elle a souri à la musique comme si elle voulait la mordre, et dans un grand écart éblouissant et glissant, elle est venue mourir aux pieds de l'orchestre. Absolument comme un papillon de nuit. Elle s'est relevée. Et sans saluer personne, elle est montée dans sa loge. Et le Prince de Galles, le futur Edouard VII, lui a fait envoyer des fleurs, et elle eut un geste absolument émouvant : elle a mis la rose entre ses seins."


Edmond Heuze, dit “Cocotte”, danseur au Moulin-Rouge, témoignait à la RTF en 1953 : "Avant, elle s'occupait de blanchisserie. C'est-à-dire qu'il y a un côté peuple en elle, et un côté joie intérieure. Quand elle dansait, elle amenait à la fois le feu du trottoir et une forme de joie intérieure qui faisait qu'elle était très très très spéciale. C'était quelque chose qui brûlait les planches. Ses jambes s'élevaient comme des pistils, quand elle faisait des tire-bouchons, évidemment elle avait l'air d'envoyer dans l'infini des caresses avec la pointe du pied."


Star riche et célèbre, elle choisit librement ses amants, têtes couronnées et gars du quartier. Elle n'est pas cocotte (rare alors) , entretenue par un homme riche.

Louise loue l'hôtel particulier de la Païva (construit entre 1856 et 1865), n° 25 sur les Champs-Élysées. "Le Louvre du Cul" (les frères Goncourt).

Mosaïques, marbres, statues. Escalier d'apparat en onyx jaune d'Algérie.

Salle de bains mauresque, baignoire remarquable : un coffre en onyx blanc recouvre une cuve en bronze argenté et ciselé, avec des robinets de bronze doré, incrustés de six énormes turquoises. La cuve est tapissée de bronze argenté, trois robinets permettent de verser, outre de l'eau, divers liquides exotiques. La marquise de Païva y prenait des bains de lait, tilleul et même, de champagne.

Blanche de Païva meurt le 21 janvier 1884 au château de Neudeck, en Silésie -Prusse Orientale / Allemagne. Son conjoint, le comte Guido Henckel von Donnersmarck 1830-1916, ordonne à sa nouvelle épouse Katharina Wassilievna de Slepzow 1862-1929, de ne jamais se rendre dans l'une des pièces du château. Pièce dans laquelle il s'enferme pendant des heures. Un jour, Katharina découvre la clé sur la serrure et, piquée par la curiosité, entre dans la pièce, avant de s'effondrer au sol dans un hurlement d'effroi : le corps sans vie de la marquise de Païva trône dans la salle, conservé dans une cuve d'alcool. Le comte n'a pu se résoudre à se séparer d'elle.



Louise possède des bijoux, des diamants, Reine de Montmartre. Nombreux procès (malversation morale), on parle d'elle.


« Je gagnais huit cents francs par mois, ça me valait encore des cachets chez tous les princes de Paris et des tournées à l'étranger. Je faisais partie du grand quadrille ».


Elle mène la danse. Elle n'est plus le faire-valoir d'un danseur. Elle danse en cheveux, sans chapeau.


Article 213 du Code civil, la femme doit obéissance à son mari et être accompagnée d'un homme, pour entrer dans un endroit public. Louise se présente à l'entrée du cabaret du Moulin-Rouge avec un bouc tenu en laisse, car il “sent moins mauvais qu'un homme”.

"Voilà mon mââââle !", lance-t-elle de son ton gouailleur.


Louise (27 ans) est la première vedette à inaugurer la scène de l'Olympia, fondé par Joseph Oller en 1893.

Louise défend sa position ; elle n'hésite pas à se battre contre les nouvelles ambitieuses. Elle n'a pas toujours le dessus. Toulouse-Lautrec excite de sa canne, les filles qui roulent dans le caniveau.

Querelle avec la "distinguée" Jane Avril. Pseudonyme de Jeanne Louise Beaudon, née le 9 juin 1868 à Paris 20ᵉ dans le quartier de Belleville, et morte le 17 janvier 1943 à Paris 15ᵉ, l'une des danseuses les plus célèbres du Moulin Rouge.

Enfant naturelle d'une demi-mondaine, Jeanne Louise Beaudon naît à Belleville en 1868. Son père est un noble italien, le marquis Luigi Fontana, un viveur qui ne la reconnut pas et dont elle hérite un tempérament artistique et une certaine élégance. Mauvais traitements, fragilité nerveuse : elle était surnommée « Jane la Folle » ou « La Mélinite » -le nom d'un explosif.


1888-1894, six ans. Louise règne sur le Moulin Rouge, jusqu'à ses 28 ans.


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1895. Riche et célèbre, Louise décide de quitter le Moulin Rouge et de se mettre à son compte dans les fêtes foraines, puis dompteuse.


Louise a plusieurs fois eu recours aux "tricoteuses" ; elles utilisent des aiguilles à tricoter, pour percer la poche des eaux ou ouvrir le col de l'utérus et entraîner une fausse-couche.

Elle est enceinte. Elle se lance dans les arts forains et la danse de ventre orientale (revisitée Cancan, avec levers de jambes). Elle s'exhibe à la Foire du Trône dans une baraque. Le 6 avril 1895, elle demande à Toulouse-Lautrec de peindre des panneaux pour la décorer.

Panneau de gauche. La Danse au Moulin-Rouge, la Goulue et Valentin le Désossé. Souvenir des numéros de danses acrobatiques et endiablées qui ont fait la célébrité de la danseuse et de son partenaire. A l'arrière apparaissent des représentants de la vie nocturne, Jane Avril sous un chapeau à plumes.

Panneau de droite. La Danse mauresque évoque le spectacle de la danse du ventre, librement inspiré des chorégraphies orientales, proposé par Louise à l'intérieur de sa baraque. L'assistance au premier plan, se compose d'amis de Toulouse-Lautrec, Oscar Wilde, de dos, ou le célèbre critique et soutien Félix Fénéon, dans l'angle inférieur droit. Toulouse-Lautrec se représente lui-même dans le public.

Découpés en plusieurs morceaux et dispersés, ils seront rassemblés en 1929 à la mort de Louise, par les Musées nationaux. Aujourd'hui, les panneaux sont conservés au Musée d'Orsay.


Louise s'épaissit, s'alanguit. Elle prend des leçons auprès du dompteur Adrien Pezon. Elle achète deux panthères, quatre lions édentés, une hyène, un ours mélancolique, et se fait dompteuse. Elle ouvre à la fête des Batignolles, une baraque de fauves.

"Une tente modeste dont la décoration intérieure est constituée par une abondance d'andrinople (couleur rouge vif) surchargée, de place en place, par des bouquets de lauriers". Le Temps, 16 septembre 1899.

« Fini, bien fini ; je me donne tout entière aux fauves ». Elle assure connaître « son affaire ».


Décembre 1895, Louise (29 ans) accouche d'un fils, Simon-Victor, de père inconnu (« un prince », disait-elle). Un forain l'adopte et lui donne son nom, Colle.


1898. Louise se produit chez Adrien Pezon, devant l'ambassadeur de Chine.


Le 10 mai 1900, à la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, Louise (34 ans), dompteuse, épouse le prestidigitateur / vendeur de "bimbeloterie" sur les boulevards, Joseph-Nicolas Droxler 1872-1815. Les témoins du couple sont issus du monde des forains. Droxler devient dompteur. Le couple habite 112, boulevard de Rochechouart (18e arrondissement).


"J'avais ma petite ménagerie sans homme et il ne me manquait rien".

Louise doit donner son salaire à Droxler : une femme mariée qui travaille doit remettre son argent à son mari.


Louise tire plusieurs fois sur son mari, à coups de revolver. Il ne porte pas plainte contre elle. Articles dans les journaux.

Juillet 1902, tentative de meurtre au boulevard Rochechouart. Louise tire quatre coups de revolver sur son mari, Joseph Droxler. La « meurtrière » est arrêtée et mise à la disposition de la police du quartier de Clignancourt. La victime, blessée légèrement, refuse de porter plainte, pas de poursuite judiciaire.

« Il y a deux ans, elle m'a déjà tiré deux coups de revolver. Nous nous trouvions alors à la fête du boulevard Ornano. Elle ne m'atteignit pas. Une autre fois six mois auparavant, elle m'avait blessé. »

« Ma femme est une impulsive et une inconsciente. Je lui ai pardonné et j'ai refusé de porter plainte contre elle. »


Louise se produit dans les cirques, les ménageries, Foire du Trône, Fête de Neuilly (Fête à Neu-Neu).


Elle est dompteuse de 1904 à 1907. Le 24 janvier 1904, Louise et son mari sont victimes d'un accident sanglant lors d'une représentation. Attaquée par un puma, Louise frôle la mort, sous les yeux horrifiés des spectateurs. Le puma est abattu.


Louise abandonne le domptage. Elle réapparaît en qualité d'actrice aux Bouffes du Nord et dans de modestes théâtres.


Elle se sépare sans divorcer de Joseph-Nicolas Droxler. Il meurt à la Guerre, en 1915 (âgé de 43 ans).

Son fils Simon-Victor (elle le surnomme « Bouton d'or » - elle a longtemps payé ses dettes de jeu) meurt en 1923, à l'âge de 27 ans. Il laisse une fillette, prénommée Marthe.

Simon-Victor Colle (18ans) eut une liaison en 1913 avec une cuisinière d'origine italienne, Adeline Perruquet, née à Chambave, Val d'Aoste, en 1884. Marthe Perruquet est née à Paris 18e, le 24 octobre 1914. 1914-1993

Louise (57 ans) sombre dans l'alcoolisme.


Amie de Rétoré, chiffonnier et brocanteur au Marché aux Puces de Saint-Ouen, elle vit aux beaux jours dans sa roulotte située à deux pas de là, au n° 59 de la rue des Entrepôts (Saint-Ouen).


Elle revient pour l'hiver vers Montmartre, où elle possède toujours son logement sur le boulevard Rochechouart (n° 112), contre le cabaret La Cigale. Près de l'Elysée Montmartre.


Le corps alourdi, les traits bouffis par l'alcool, la voix "perpétuellement enrouée de trop boire et trop fumer". "Elle ne connaît, ni aigreur, ni jalousie".


Le jour, elle pousse une voiture de marchande de quatre-saisons.


Sur la Butte, "Maman Goulue". Elle vend cacahuètes, bonbons, allumettes, lacets et cigarettes aux passants et aux prostituées de Pigalle.


Pour le plaisir de rencontrer encore « le beau monde », elle va devant l'entrée du Moulin Rouge, où se produit Mistinguett. Elle vend des cacahuètes, des cigarettes et des allumettes.


Après-guerre, elle apparaît encore dans les foires, est tient un emploi de bonne dans une maison de passe.


février 1918. « J' vends des fleurs et des bonbons aux filles qui m'appellent Maman Goulue et je n'ai besoin de personne ».


Dans sa roulotte, elle prépare souvent une soupe populaire, pour plus miséreux qu'elle.

"Moi j'ai toujours été généreuse, mais je n'en veux à personne si on n'en fait pas autant pour moi".


Elle recueille les animaux de cirque malades et âgés, les chiens et les chats. Elle flâne sur la Butte Montmartre et dans les bistrots.

Au hasard de ses virées dans les bars et cafés, elle signe ses photos à ceux qui la reconnaissent. Elle est Madame Louise.


A un journaliste : "Dis-leur que j'ai été une bonne fille".


Jean Gabin et Maurice Chevalier font remonter Louise plusieurs fois sur scène, pour la présenter au nouveau public du Moulin Rouge.


Elle est chiffonnière, mendiante, à Saint-Ouen, dans La Zone -adonné dans le langage courant, la zone, zoner, zonards, .... La biffe -étoffe rayée, chiffon. Biffin -chiffonnier. La biffe désignait une fripe et les biffins, les chiffonniers et par analogie, les personnes mal habillées.

En 1928, Georges Lacombe la filme à l'improviste, dans la Zone. Louise (62 ans) est malade.

La Zone -filmer les chiffonniers- est un film documentaire français de court métrage réalisé par Georges Lacombe, sorti en 1929.

Ceinturant Paris sur plus de 30 km, la Zone est une bande de terre située en avant de l'enceinte de Thiers — les anciennes « fortifs » — construite de 1841 à 1844 sous Louis-Philippe, afin d'empêcher Paris de tomber aux mains d'armées étrangères - voir la bataille de Paris, le 30 mars 1814. Ultime bataille de la campagne de France, elle a opposé l'armée de Napoléon aux forces européennes alliées.

Après la défaite de 1870, cette zone non ædificandi (non constructible) est abandonnée par l'armée. Le plus vaste bidonville de France s'y développe. Misère, maladies (tuberculose, ...). Il disparaît progressivement à partir de 1956, lors de la création du boulevard périphérique de Paris, construit sur la Zone.


Louise souffre de la faim ; elle préfère "se priver de manger pour nourrir son chat ".


L'actrice Arletty, autre figure du Paris populaire, se souvient, en 1987 dans une émission de France Culture, de ses rencontres avec Louise : "Nous allions en mai avec mes parents à la Fête à Neuilly. Elle ne dansait pas, là elle était dompteuse. En 1916-1917, je la rencontrai dans le métro. J'avais une admiration pour cette femme. Elle était infiniment sympathique. Dompteuse, elle n'avait pas peur hein, déjà. Oui, c'est un de mes souvenirs, La Goulue. Après, elle a fini au pont de Neuilly, dans une baraque. Grandeur et décadence, ça c'est la vie. Mais c'est… cruel."


Louise (62 ans) souffre de rétention d'eau et fait une attaque d'apoplexie.


Après dix jours d'agonie, elle décède à l'hôpital Lariboisière à Paris, le 29 janvier 1929.

Paris-Soir au lendemain de sa disparition. Louise souhaitait mourir dans sa roulotte et « rêvait de ne point se séparer jusqu'à la mort de sa dernière affection : son chien, bâtard, Rigolo ».


2 février 1929. Les obsèques de Louise. Le char funèbre de la plus modeste classe est suivi par de rares amis, des admirateurs et une délégation de forains, jusqu'à sa dernière demeure au cimetière de Pantin.

En présence de Pierre Lazareff, attaché à la direction artistique du Moulin-Rouge.


Louise Weber 1866-1929... son fils, Simon-Victor Colle 1895-1923... sa fille, Marthe Perruquet 1914-1993/ Paul Souvais... leur fils, Michel Souvais 1946-2012


Grâce à son arrière-petit-fils Michel Souvais (1946-2012), Louise est exhumée en 1992 et le maire de Paris, Jacques Chirac, ordonne le transfert de son corps à Montmartre dans la 31e division (1re ligne, 13), où elle repose désormais.

Michel Souvais -acteur, écrivain et journaliste- prononce l'oraison funèbre. Les médias, des personnalités, deux mille personnes, assistent à la cérémonie.

Sur la pierre tombale : « Ici repose Louise Weber, site "La Goulue" 1866-1929, créatrice du French Cancan ». Louise repose dans le quartier qu'elle a aimé.


Auparavant « Le jardin Burq » ou « square de la rue Burq ». Le jardin Louise Weber dite La Goulue, situé au cœur de Montmartre, porte son nom, en sa mémoire.


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A l'instant de mourir, Louise chuchote au prêtre :


“Mon père, est-ce que le Bon Dieu me pardonnera ? Je suis La Goulue.”


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