Le manifeste du carnivore

etiennebnc

Ecrit pour le "Cabaret-Apéro" mis en scène par Hervé van der M. (Joué au cirque Fratellini, au Studio-Théâtre d'Asnières, et prochainement au théâtre Montansier).

Le problème maintenant, c'est qu'on ne peut plus rien manger. La culpabilité post-côtelette a détruit notre société gourmande de gourmets. La viande est devenue l'ennemie publique numéro 1, recherchée par les plus hautes instances culinaires du XXIème siècle.

Végétarien. Voici le mot de la discorde, l'auteur, que dis-je, le cuistot de cette nouvelle bataille d'Hernani.

D'un côté nous avons les tablées remplies à ras-bord de poulets, de fricassées de volailles, de gigots d'agneaux, de civets de lapin, de boudins aux pommes, de couscous - ces formidables clubs échangistes du tajine, et de pâté de campagne, de rillette, de foie gras et aussi de pâtisseries, ses choux à la crème, ses crèmes de marrons, les religieuses qui rassasient notre foi, les éclairs, ces coups de foudre du vorace, ou encore les mille et un contes gourmands du mille feuilles…

Et de l'autre côté, nous avons les dictateurs du Vème rice crispy, ces intellectuels de la fourchette qui se masturbent le ciboulot à la seule ciboulette. Plus de viande disent-ils, pour éviter -entres autres- le meurtre animal. 

Mais si on était tous végétariens, les abattoirs tueraient les boeufs pour rien.

On voudrait ne plus manger de viande sous prétexte que l'animal est un être sensible, doté d'émotions. Mais c'est justement cette sensibilité que je veux toucher de plus près, c'est justement ces émotions que je veux croquer à pleine dents ! Moi aussi, je suis ému par le regard apathique et cornichon du veau quand je le pique avec ma fourchette, moi aussi je comprends la tristesse du porc mélangé aux choux-fleurs alors que ses amis sont partis en colo avec des frites.

Oui, j'aime la beauté de la potée.

Mais le monde change.

Nous carnivores sommes devenus des hors-la-loi !

Heureusement, la clandestinité s'organise. Un trafic de porcs a déjà été mis en place à Paris et joindra bientôt la zone libre alsacienne où la choucroute résiste encore à l'envahisseur végétarien. Des messages codés à la radio informent des avancées de « l'armée des bouchers libres et des bouchées doubles ». 

Radio :  "Les sanglots longs des violons de l'automne" 

C'est le signal ! Dix tonnes de canards en provenance de Bergerac débarquent ce soir Place des Vosges à Paris. Il faut être prudent… et discret. Heureusement, les canards sont silencieux quand ils sont en confits, baignés dans des pommes de terres sarladaises.

Si l'on se fait prendre, c'est l'humiliation et ça peut aller loin. Confiscation des biens et pire ensuite…Punitions gastronomes : manger des panais et des topinambours. Mais sans déconner, qui bouffe encore à notre époque des topinambours ?

Aujourd'hui, alors que les végétariens occupent même les plus grands restaurants du monde, je prends mes couverts à deux mains, et je vous le dis, sans tirebouchonner que je ne suis pas végétarien. Venez me lancer des tomates bios au visage, je continuerai ma lutte !

Quand je vois cette mode envahir les pensées, mon coeur saignant pleure à point.

J'accuse.

A tous ces défenseurs de la cause animale, à ces Jean Moulin de la petite cuillère, à toute cette fange bobo bobios babas du soja, ces fous du tofu, à tous ces illuminés sectaires de la pizza végétarienne, du burger vegan aussi insignifiant qu'un beurre sans sel, qu'un cidre doux, qu'un coca-cola light, à tous ces bien-pensants de la flore intestinale qui dénoncent nos mâchoires gloutonnes et qui mettent en scène leurs assiettes écolos en photo aussi retouchées que les bananes de Monsanto, à toute cette clique qui claque son bif chez Naturalia and Co, à tous ces coqs qui font les fiers et tous les moutons qui suivent derrière, à tous, je vous dis :

« Bon appétit messieurs ! »

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