Le Manoir des Ombres
Dominique Capo
Je ne me lasse pas non plus de « A la recherche du Temps perdu », de Proust, de « la Condition Humaine, ou dans un tout autre genre, du « Fléau » de Stephen King. Je relis volontiers « les Raisins de la Colère », le « Nom de la Rose », qui, pour moi, est un pur chef-d'œuvre. Je me replonge avec joie dans « le Meilleur des Mondes », ou « Conan ». Les récits horrifiques de H.P. Lovecraft me procurent un doux frisson de terreur à chaque fois que je parcours leurs lignes. « Le Chien des Baskerville », ainsi que les innombrables nouvelles dont Conan Doyle est l'auteur, me ravissent. Puis, comment ne pas nommer « Le Seigneur des Anneaux », de Tolkien, qui, pour moi, est une référence. Anne Rice, Stoker et autres consorts qui nous font partager les aventures exaltantes de leurs Créatures de la Nuit me transportent, bien entendu. Mais tous ces écrivains ne pourront jamais atteindre le summum de la félicité qu'a déclenché en moi les péripéties extraordinaires vécues par la « Communauté de l'Anneau. Bilbon et Frodon, Sam et Gandalf sont des héros dont j'ai presque ressenti la présence à mes cotés tandis que je tournais les pages de ce livre.
De fait, c'est en longeant les parois aux étagères croulant sous ces milliers de textes issus de tout horizons et de diverses époques que je réussis à me délasser quelques instants de mes travaux à la fois littéraires, historiques et mythiques. Je parcours une fois, deux fois, trois fois, ou davantage, les allées qui surplombent mon Bureau. Je m'arrête de temps en temps devant tel ou tel rayonnage. J'en extrais un titre, l'ouvre précautionneusement lorsque celui-ci est assez vieux pour avoir connu Flaubert ou Eugène Sue. Je le feuillette un instant en repensant aux nombreuses heures que j'ai consacré à m'en nourrir. Je le repose, puis, je continue ma route jusqu'à ce qu'un de ses semblables n'attire mon regard.
Parfois, je m'installe en un lieu où la lumière de la lampe à pétrole la plus proche est particulièrement vive. Je m'appuie contre la rambarde ouvrant sur le vide et la pénombre de mon espace de vie. Je m'empare d'un livre au hasard, sans savoir quel ouvrage va atterrir entre mes mains. Puis, je me mets à décrypter les textes qui s'y dissimulent. Des dizaines de minutes, des soirées entières parfois, peuvent s'écouler sans que je ne m'en détache. Je suis de temps en temps surpris lorsque je réalise que la nuit est tombée et que le moment de dîner a passé. Je souris en songeant qu'Edgard est certainement venu pour me prévenir qu'il était l'heure de rejoindre le reste de ma Famille pour dîner avec eux. Mes lèvres laissent échapper un léger esclaffement, en espérant que personne ne soit présent dans les environs pour l'entendre résonner. Et je me dépêche de descendre le colimaçon, de sortir de mes Appartements, de suivre les corridors du second étage, de dévaler les marches du grand escalier, et de les rejoindre ; tandis que j'imagine la tète d'Anthëus, tempêtant après moi auprès de mes Frères et de mes Sœurs qui n'osent le contredire, et de mon manque de ponctualité.
Heureusement, ces étourderies ne sont qu'exceptionnelles. Le plus souvent, mes absences ne durent que quelques minutes ; ou, quand elles sont plus longues, elles ne se produisent qu'en milieu de nuit. Car c'est à ce moment là que j'ai le plus besoin de fuir mes études pour une ou deux dizaines de minutes. C'est en effet tandis que tout le monde ou presque dort dans le Manoir que je peux décrypter mes manuscrits en latin ou en grec ancien avec le calme et la tranquillité qui me sont nécessaires à cela. Et bien sûr, l'Agamemnon d'Eschyle posé à coté de moi pendant que j'écris ces lignes ne fait pas exception à la règle.
Pour en revenir à l'objet de mon récit, je fuis momentanément mes recherches ainsi. Mais celles-ci ont un fort pouvoir d'attraction sur moi. Et je ne tarde pas à m'y replonger avec ferveur ; voire, de la frénésie.
Les interrogations qu'elles soulèvent en ce qui concerne la Lignée des Montferrand sont nombreuses. Et ce ne sont pas les maigres indices que ce récit antique faisant référence à la Timée et au Critias de Platon qui me permettent de les aplanir. Evidemment, ces derniers m'aident à progresser dans la bonne direction puisque mon Père s'obstine à ne pas vouloir partager avec moi le lourd Secret dont il est le détenteur. Je ne peux pas non plus questionner ma Mère, mes Frères et mes Sœurs à ce propos : au mieux, ils ne me répondraient pas, au pire, ils me repousseraient en ricanant et en me disant « que ce ne sont pas des choses dont ont discute avec le benjamin de la Famille. « Tu n'es pas prêt, m'a une fois expliqué Vÿvien. N'oublie jamais que le Don que tu possède est autant un bienfait qu'une source de malheur. Tes Frères et tes Sœurs ont dû attendre des dizaines ou des centaines d'années, avant qu'ils puissent être informés par Anthëus de leur Destinée. Certains ne s'en sont pas remis.
- Ah bon ? Ais-je répondu. Qui ?
- Chut… a fait ma Mère. Mais observe bien autour de toi. Sois attentif au comportement de Sanäel, d'Ycäel ou de Luvinia par exemple. Et tu saisiras peut-être déjà certaines choses. Ils ont vécu de terribles drames, tu peux me croire ! Ils ont participé à des événements qui les ont marqués pour toujours. Quant à ton Père, les Dieux seuls savent quel poids il porte sur les épaules. Le Don dont tu as hérité est bien plus que tu n'ose l'envisager.
- Je ne comprends pas…
- Un jour, le moment venu, tu comprendras. Un jour, lorsque tu seras apte à affronter le Destin qui est le tien, nous en reparlerons. ».