Le Manoir des Ombres

Dominique Capo

Treizième partie :

Aujourd'hui encore, je ne sais pas à quoi elle faisait référence lorsqu'elle a prononcé ces paroles énigmatiques. Alors, je cherche. Je tente de découvrir par moi même ce que ceux qui se disent être mon Père, ma Mère, mes Frères et mes Sœurs me cachent. Depuis le début des années 1880, je me suis lancé dans une Quête que je pourrais comparer à un dédale qui n'a pas de fin. Je n'ai récolté que de minces témoignages. Et ces derniers apportent encore plus de questionnements qu'ils n'apportent d'explications. Les épisodes que j'ai évoqués tout le long de ce bref exposé destiné à me présenter à vous, montre l'essentiel de ce que j'ai mis au jour au cours de la centaine d'années qui vient de s'écouler. Ils tournent et retournent sans cesse dans mon esprit. Ils me hantent parce que ne perçois pas le lien qui les rattache les uns aux autres. Car, pourquoi Anthëus habitait t'il Tolède au milieu du XIIème siècle ? Pour quelle raison utilisait-il le patronyme de « Ferrantès » ? Comment sait t'il qu'un membre de notre Lignée a détenu une version complète du Critias de Platon ? Ou de quelle manière a-t-il appris que celui-ci était l'un des proches d'An-Nasif ?

Je suis d'ailleurs convaincu que les deux hommes se sont rencontrés dans les couloirs du Palais du Calife de Cordoue à cette époque. Après tout, Cordoue et Tolède ne sont pas si éloignés que ça ? Deux ou trois journées de cheval tout au plus ! Je suis donc persuadé qu'ils y ont dû se croiser à une ou plusieurs reprises. Et je suis sûr que c'est à l'occasion de l'une de leurs entrevues qu'Anthëus a appris l'existence de cette version complète et définitive du Critias. Par contre, ce que je n'ai jamais réussi à apprendre, ni de la bouche de mon Père, ni au cours de mes recherches ultérieures, c'est le nom de ce fameux membre de notre Lignée qui a semblé être si proche d'An-Nasif. Je n'ai jamais pu savoir quel a été l'objet de ses relations avec Anthëus ou avec le Calife. Malgré une lecture assidue des Chroniques de cette période, je n'en n'ai découvert aucune trace.

Il faut malgré tout souligner que nombre de textes écrits sous l'occupation de la péninsule Ibérique par les Sarrasins de la dynastie Almohade ont été détruits au cours de la Reconquesta. Cela ne facilite pas à la découverte d'informations qui pourraient s'avérer utiles dans ma Quête des Origines de la Famille Montferrand ; ou Ferrantès, puisque c'est le patronyme qu'a utilisé Anthëus à ce moment là.

Autre question que je me pose sur l'Histoire de notre Lignée à cette époque, c'est : Pourquoi le Critias – et la Timée par la même occasion – revêt t'il une telle importance à ses yeux ? Quel est le lien qui rattache ce récit issu de l'Antiquité, et évoquant un Empire Mythique disparu, avec lui ou d'autres membres de notre Famille ? Il est en effet maintenant établi depuis longtemps que le traité de Platon est une allégorie sur la Grèce de son temps. L'ensemble des Historiens sont d'accords sur ce point. Platon a rédigé ce recueil d'une cinquantaine de feuillets afin de critiquer le désir d'expansion démesuré des rois Hellènes. Il n'a eu que pour seule ambition de décrire la situation politique à laquelle était alors confronté son peuple ; sa description de cette contrée imaginaire n'a, pour lui, été qu'un moyen de mettre en garde ses contemporains de ce qui pouvait advenir si les souverains des différentes Cités-Etats grecques continuaient à s'entre déchirer.

C'est pour cette raison que je pense qu'il y a forcément autre chose. Mais quoi, je ne saurai le dire. Comme je ne saurai dire le rapport entre la participation de mon Père à la Croisade qui s'est terminée par la Chute de Saint-Jean d'Acre en 1291, et le tableau le représentant devant les murs de la forteresse peint par un élève de Botticelli deux siècles plus tard. En outre, qu'a fait Anthëus entre ceux deux périodes ? Ou a-t-il vécu ? Qui a-t-il fréquenté ? De quels Secrets a-t-il été le détenteur ? Car, une fois encore, je suis convaincu qu'il existe une relation entre ses activités du temps de l'Espagne Mauresque, et sa brusque réapparition aux derniers jours du Royaume Franc de Jérusalem.

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