Le métro des espérés
grabuge
Ce soir d’automne le froid faisait couler de mes yeux des larmes chaudes. J’avais beau avoir une écharpe et une cagoule, il n’y avait rien à faire… Je n’avais pas vu un bus depuis Mathuselem, je crois bien que c’était à cause de la neige. Oui, quoi d’autre?
Enfin la station de métro se dessinait au loin, juste en dessous du ciel gris et des flocons qui commençaient à tomber sur son toit en forme de flèche. Je pouvais commencer à sentir la chaleur du bâtiment, je pressais le pas.
Une fois à l’intérieur, la température était à peine plus agréable. C’est là que je me suis dit que les Converses n’avaient pas de bonnes propriétés thermiques et waterproof et qu’un pull ne suffisait pas. Je descendais les marches dans l’espoir de dégourdir mes pieds, mais rien n’y fit. Gelé sur le quai, de la vapeur sortait de ma bouche. Dans un sens cela était amusant. Ce qui l’était moins en revanche c’était le calme étrange qui régnait sur le quai. En face il n’y avait pas eu encore de métro, et sur mon quai l’afficheur numérique indiquait des chiffres et des lettres mais tout ce qui pouvait se lire était « r mo a s » et pas de numéro comme d’habitude mais « o vi ». J’hésitais à aller de l’autre côté pour pouvoir avoir plus d’informations, même à la limite prendre le métro dans un sens puis prendre l’autre au terminus qui était à une gare seulement.
Je sautillais, enfonçait mes mains dans mes poches encore plus profond. J’aurais dû prendre mes gants, mais comme d’habitude je les avais oubliés. J’essayai de m’asseoir sur un banc, mais il était si froid que j’ai fait un bond. J’entendais des murmures dans le tunnel du métro. Quelque chose de bizarre. Ce n’était pas le métro, il aurait déplacé de l’air et je l’aurais senti. Non, c’était comme un grognement de masse. J’aurais dû lire les informations d’aujourd’hui, mais il faut dire que ce n’est pas trop ma tasse de thé. Ça doit bien faire un mois que je n’étais pas sorti de chez moi, à ne rien faire d’autre que lire des livres d’épouvante.
Le bruit se rapprochait. Je voulais juste monter dans un métro, profiter du chauffage, mais il y avait juste ce grognement. Terrifié, je suis reparti dans l’autre sens. Tant pis pour le ticket déjà validé, j’avais vraiment trop froid. Dehors, il neigeait beaucoup, mais toujours aucune trace de personne, ni même une empreinte laissée dans la neige à part les miennes. Puis je vis une ombre au loin, quelque chose d’animé. Je criais « Eh ! Vous là-bas ! S’il vous plaît ! Attendez ! » mais je n’avais pas eu l’impression d’être entendu. Je courrais en essayant de ne pas trop me fatiguer, mais l’ombre me fuyait. J’étais essoufflé, je décidai d’arrêter de courir. Ma gorge me brûlait, j’avais terriblement mal. Déprimé, je retournais vers la gare. Seuls quelques flocons avaient réussi à atterrir sur la flèche, le reste était tombé à côté. Une fois de l’autre côté du quai, je pus enfin lire ce qui était marqué sur le panneau numérique: « Prochain métro dans: Hors Service ». Tous les métros hors service, je n’avais plus rien à faire ici. Les grognements s’étaient éloignés, ils étaient de l’autre côté du tunnel maintenant, comme s’ils avaient traversé. Je devais devenir dingue. Quelque chose ne tournait pas rond. Étais-ce un jour férié ? Il y avait-il eu quelque chose que je n’avais pas remarqué ?
Je sentis un courant d’air et un grondement se faisant entendre. Un lumière balaya l’intérieur du tunnel et le métro arriva en gare, ce même métro orange que j’avais l’habitude de prendre tous les jours. Je n’aperçus par le chauffeur comme à mon habitude. Le métro était vide, il n’y avait personne. Je m’installais sur une banquette, tentant de réchauffer mon corps dans cet endroit glacial. Et puis il y avait lui, il y avait moi, en face de moi, dans la vitre du métro, qui me fixait. Il avait le bas des yeux noirs, il me regardait profondément. Le métro avançait, mais toujours pas d’arrêt.
Soudainement, ma réflexion se lève et s’approche de moi, mais toujours dans la vitre, comme si je m’étais levé pour me coller à elle. Il bougeait les lèvres mais aucun son ne sortait. « Tu vas mourir » pouvais-je lire sur ses lèvres grises, puis les lumières s’éteignirent. Je me suis retrouvé dans le noir total, le métro avançant à toute allure, il avait accéléré. Je sentais une présence malsaine tout autour de moi. « Qui est-tu ? Que me veux-tu ? » demandais-je, mais aucune réponse. Je vis de la lumière au bout du tunnel, elle m’éblouissait. Je fermais les yeux, et quand je les rouvris, je découvris un univers étrange.
Dans la vitre, mon reflet avait disparu, laissant place à une prairie. Au loin, je pouvais voir une forêt, et juste devant deux garçons en train de tirer des flèches en bois artisanales à partir d’arcs faits de branches. « Mais… C’est moi et Kévin ! Je m’en rappelle ! » mais soudainement, de nouveau le noir total. Je sentais encore cette présence à côté de moi, partout. Ma respiration s’accélérait, et de nouveau il fit jour. J’étais à la place d’un petit train en plastique, et mon frère était gigantesque. Je tournais en rond dans le circuit et il ne me voyait pas. Je me voyais me battre avec lui pour savoir qui aurait le droit de jouer avec le train. Puis je me vis prendre le train et le ranger dans un coffre.
Le métro se remit à rouler. Mon frère est dans le coma, je m’en rappelle, mais moi non, je me suis réveillé, je ne me rappelle plus trop mais j’ai marché dans la neige jusqu’ici. Je ne me rappelle plus comment nous sommes tous deux tombés dans le coma. Un nouvel endroit apparut. Il n’y avait pas de lumière, il faisait nuit. Comme une fourmi le métro zigzaguait entre les herbes. Mon frère était avec un pistolet à la main, et devant se tenait un homme de dos. Il y avait un trou creusé dans le sol. Un coup de feu retentit et l’homme de dos avec les mains attachées tomba dans un bruit de froissement. Je me vis, rebouchant le trou avec une pelle. Mais je ne me rappelle pas. Etions-nous des tueurs ? Le métro s’engouffra entre deux feuilles et le noir total revint.
Une voix qui ressemblait à la mienne se fit entendre, rauque:
« - Ce métro n’a pas d’arrêt.
- Qui est-tu ? Que me veux-tu ?
- Je suis ton esprit. Tout ce que tu vois là sont tes souvenirs.
- Mais pourquoi Kévin ? Depuis quand est-ce que je peux parler à mon « esprit » ?
- Nous avons commis l’irréparable, Franck. Tu as choisi de me laisser dans un coin, de boire pour oublier, mais rien n’efface la peine d’un frère. »
J’avais beau le rappeler, il ne répondait plus. Les scènes se succédaient, mais je ne comprenais toujours pas. Je ne me souvenais pas de ce meurtre, ni comment on a pu en arriver là. Et je l’ai vu. J’ai vu mon frère tout de noir vêtu, avec son parapluie, un bras en moins et sévèrement amoché, entouré de personnes au visage sombre dans un cimetière, mais je ne me voyais pas. Une fois le métro de nouveau plongé dans le noir, la voix retentit: « Ce métro ne s’arrêtera pas. ».
Encore un nouveau souvenir. Je suis dans une gare ferroviaire, là où on range les métros à la fin du service. Je m’installe dans le siège conducteur. Je m’en rappelle maintenant, j’étais chauffeur de métro. Le lien s’est tout de suite fait dans ma tête. Je me revois encore cette scène. Encore et encore. Il y avait du monde sur le quai de gare, et un homme a sauté. Je l’ai écrasé. Je j’ai écrasé alors que je n’avais rien fait pour. Je veux dire, j’étais innocent ! Je n’aurais pas dû m’en vouloir, mais ça m’a traumatisé.
Je me rappelle de tout maintenant. Je suis rentré chez moi, et le téléphone a sonné. C’était mon frère qui avait sauté. Il était à l’hôpital, un membre arraché, mais il n’avait pas été tué, la chaleur des plaques avait cautérisé la plaie. Je me rappelle l’odeur maintenant, je me rappelle l’avoir vu sauter. Je ne dormais plus. Il était dans le coma. J’ai tellement culpabilisé que je buvais. J’ai fait un coma éthylique.
Un nouveau souvenir. Cette fois-ci, je me vois embrasser une femme. Mon frère entre, et furieux il me frappe, puis prends la femme par la main et s’en va. Maintenant je m’en rappelle, c’était sa femme. Je me rappelle aussi que ce n’était pas la seule chose que j’avais fait avec elle. « Mais je t’aime plus que lui » qu’elle me disait. Moi, le chauffeur de métro, alors que lui était… Il était… Je ne me souviens plus, chômeur je crois. Je crois aussi que c’est pour ça qu’il a sauté. « Nous sommes condamnés dans ce métro, condamnés à espérer ».
Le souvenir du cimetière est encore passé, comme si je faisais le tour d’un parcours bien déterminé, et j’ai collé mon visage contre la vitre sans reflet du métro, et j’ai vu sur la stèle de la tombe « Franck Debrais, mort cérébrale ».