LE MUET PARLANT

Jean Marc Houze

Juste le premier chapitre pour donner une idée du livre à venir
                                       

 

                                            CHAPITRE 1

 

-Oh Frédéric ! Quelle surprise ! Si je m'attendais à te voir, je me serais mise sur mon 31. Ça fait un bout de temps que je n'ai pas eu de tes nouvelles. Qu'est-ce que tu deviens ?
 
Gênée, elle stoppa sa phrase et reprit.
 
- Excuse-moi, je te laisse sur le palier au lieu de te faire entrer. Viens, tu es toujours le bienvenu à la maison.
 
Il ne put lui répondre que par un sourire, car il ne pouvait pas le faire autrement.
 
-C'est vrai, dit-elle, j'ai encore oublié que tu es devenu muet. Je n'arriverai jamais à m'y faire… Pauvre Fred, tu n'as pas eu de chance de ce côté-là.
 
Frédéric est un jeune homme de 24 ans, blond aux cheveux courts légèrement frisés avec quelques mèches qui lui couvrent une partie du front. Ses yeux bleu ciel sont très expressifs et rares sont ceux qui arrivent à soutenir son regard perçant. Ses lèvres sont fines et malgré son menton autoritaire, il y a le sourire plutôt facile. Les femmes le trouvent charmant et les hommes trouvent en lui un agréable compagnon. Il a tout pour être heureux, enfin presque, car il lui manque quelque chose vital : la parole. En effet, il est muet, mais ce n'est pas de naissance. Cela lui est arrivé cinq ans auparavant.
 
Il roulait alors à bord d'une voiture de sport que lui avait offert son père pour l'obtention de son permis de conduire lorsqu'arriva l'accident. Perdant le contrôle de son véhicule, il alla percuter un camion venant en sens inverse. Il fut transporté d'urgence dans un hôpital où il resta presque une année. Une longue année a ressassé ses erreurs de conduite, mais il était maintenant trop tard pour y songer. Le camionneur ne fut que légèrement blessé, mais son camion, lui, fut mis hors service.
 
Pour Frédéric se fut plus grave. Le choc a été tellement violent que sa voiture de sport, dont il était si fier, fut coupée en deux. Il eut quelques fractures de côte, une jambe cassée et un traumatisme crânien. Mais le plus important pour lui, c'est que la peur que lui avait occasionnée cet accident, lui avait fait perdre la parole. Mais, chose curieuse, la nature avait remplacé sa voix par un pouvoir télépathique.
 
-Attends, je vais t'apporter un stylo et un bloc-notes comme ça, on pourra  communiquer. Bien sûr, tu n'es pas obligé de demander un timbre et une enveloppe à chaque fois que tu m'écriras quelque chose. Oh oui, tu peux sourire. Je te connais assez bien pour que tu me fasses le coup.
 
Christelle est une jeune femme d'une trentaine d'années. Elle a de longs cheveux noirs qui se laissent couler sur ses épaules pour finir leur chute juste en dessous des omoplates. Quelques franges tombent sur ses sourcils lui donnant un petit air de collégienne. Elle a de grands yeux marron sertis de longs cils recourbés qui semblent vouloir battre l'air à longueur de journée. Sa bouche pulpeuse et sa denture d'un blanc ivoire, sont en harmonie avec son physique et à chaque fois qu'elle prononce un mot, on croirait qu'elle sourit. Ses pommettes saillantes lui donnent toute sa féminité et l'on ne peut s'empêcher de se retourner sur elle lorsqu'on la croise dans la rue.
 
Ils avaient fait connaissance lors d'une soirée dansante, il y a quelques années de cela et avaient sympathisé dès leur première rencontre. Ce fut pour eux, comme un coup de foudre. Cette petite étincelle qui allume un sentiment incontrôlable qui unit deux êtres par une force incommensurable. Ils ne se quittèrent plus jusqu'au jour où le destin voulut qu'elle déménage dans une ville voisine pour trouver un nouvel emploi. Leurs relations ne s'arrêtèrent pas là pour autant. Malgré la distance qui les séparait, ils tchatchèrent durant de longues heures chaque semaine sur un site internet pour ne pas se perdre de vue. Leur amitié était sincère et rien ni personne ne semblait pouvoir la briser.
 
Aujourd'hui, comme il n'avait pas d'occupation prévue pour la soirée, il avait décidé de rendre visite à son amie. Il était là, assis dans ce fauteuil en imitation cuir, dans ce salon moderne que l'on aurait pu croire neuf par sa propreté. Christelle arriva dans sa robe rouge, souriante, tenant en    main les objets de communication qu'elle donna à Frédéric. Celui-ci les prit et s'empressa d'y inscrire ses premiers mots de la soirée.
 
-Bonsoir Chris, je m'ennuyais de toi, alors je suis passé pour te faire petite surprise. Tu es toujours aussi charmante et il serait difficile d'en penser autrement. Tu es craquante ! Je suis certain qu'en lisant ces mots, tu vas changer la teinte de la peau en y ajoutant du rouge pourpre sur tes joues comme à ton habitude. Pourtant, je t'aime bien avec ton teint mat. C'est à croire que tu regrettes de ne pas être une squaw.
 
Il lui tendit la feuille dont elle attendait avec impatience et lut. Comme l'avait prédit Frédéric, elle se mit à rougir légèrement et il ne put s'empêcher de sourire.
 
-Tu ne changeras donc jamais lacha-t-elle en faisant ressortir ses pommettes. Tu aimes mettre les autres dans l'embarras, hein ? Mais je t'aime bien comme tu es. Surtout ne change pas, reste naturel et…
 
Avant qu'elle ait terminé sa phrase, une sonnerie retentit.
 
-Ça doit être Pascal, il m'avait dit qu'il passerait dans le courant de l'après-midi. C'est un copain sympathique et je suis sûre que tu vas bien t'entendre avec lui.
-« moi, pensa Frédéric, c'est sûr que je pourrais l'entendre mais lui, ça m'étonnerait beaucoup. »
 
Elle laissa Frédéric dans ses pensées et s'approcha de la porte d'entrée qui se trouvait au fond d'un petit couloir. D'où il était, Frédéric la vit poser la main sur la poignée, la baisser et ouvrir la porte. Il aperçut le visage du nommé Pascal, un homme de 35 ans, moustaches brunes sous le nez, les yeux noirs et lucides. De légères fossettes se dessinaient sur ses joues et ses cheveux bruns peignés en arrière, laissez Frédéric indécis sur le nouvel arrivant.
 
-Oh, je vois que tu as de la visite, remarqua-t-il.
-Oui, c'est mon ami Frédéric.
-Tu veux que je vous laisse ?
-« Pourvu qu'elle dise oui » songea Frédéric.
-Non, non ! Entre, je vais te présenter.
-Non, laisse tomber. Je ne vais pas vous déranger, je repasserai plus tard.
-Allons ne te fait pas prier. Il ne faut pas avoir peur de lui, il ne va pas te manger !
-De toute façon, je ne suis pas comestible.
 
Il entra dans l'appartement et s'effaça pour se laisser guider par Christelle jusqu'au salon. Frédéric se leva pour accueillir le nouvel arrivant. Ils se serrèrent la main en se fixant du regard comme pour s'analyser, laissant l'ange de la rivalité passer au-dessus d'eux mais, sans grand résultat apparent.
 
-Frédéric, dit-elle, je te présente Pascal. Pascal, je te présente Frédéric et moi, je me présente, je suis Christelle.
-Enchanté, dit Pascal regardant Christelle.
 
 Puis se retournant vers Frédéric.
 
-Ah oui ! Je me souviens maintenant. Christ m'a souvent parlé de vous. Je suis content de pouvoir enfin mettre un visage sur votre nom. Pouvons-nous nous tutoyer ?
 
Pour lui répondre, il hocha la tête en signe d'acquiescement.
 
-Bon, je vous laisse faire connaissance, j'ai le rôti à faire cuire pour tout à l'heure. Pascal, sert donc la boisson, tu connais la maison depuis le temps.
-Oui, pas de problème. Ne t'en fais pas pour moi.
-Je m'en serais douté ! Et en particulier pour le bar, précisa-t-elle.
-Non mais dis donc toi là, pour qui tu vas me faire passer.
 
En Frédéric, il se passa quelque chose comme une sorte de jalousie. Il était venu voir son amie Christelle, mais n'avait pas pensé un seul instant qu'elle puisse avoir un nouvel ami autre que lui. Cela l'embarrassait quelque peu. Pascal servit les bières et alla le rejoindre dans un des fauteuils face au sien.
 
-Tu es  toujours à Paris ?
 
Il répondit affirmativement en faisant un signe de tête.
 
-T'as dû avoir de la patience pour venir jusqu'ici avec les bouchons et les travaux qu'il y a sur les routes en ce moment. Je ne comprends pas, plus ils refont les routes et plus il y a de travaux. Il y a toujours un truc pour nous prendre le citron. Et je ne sais pas si t'as remarqué, mais c'est toujours quand on est pressé par le temps qu'il y a des embouteillages.
 
Frédéric hocha les épaules en signe d'indifférence et but son verre afin de s'occuper les mains. Il ne semblait pas très à son aise face à cette personne imprévue dans son programme. L'idée de rentrer sur Paris lui trotta dans la tête quelques instants, car malgré la joie que lui témoignait son amie de le revoir, il semblait être de trop. Pourtant, lorsque revint Christelle, il y renonça. Après tout, cet homme n'était peut-être qu'un simple ami de Christelle, alors pourquoi s'avouer vaincu avant même d'avoir combattu.
 
-Voilà, dit-elle en se frottant les mains sur la serviette, le rôti est dans le four pendant une quarantaine de minutes. Fred, j'espère que tu resteras pour dîner avec nous ce soir ? Il y en a assez pour trois.
 
Il sourit et accepta l'invitation. Depuis le temps qu'il n'avait pas vu son amie, il aurait été idiot de s'en aller sur un coup de tête. Un miaulement se fit entendre et Christelle alla ouvrir la porte d'entrée. Un petit chat blanc entra. Il était parsemé de petites taches noires et marcha à pas feutrer vers le salon.
 
-Viens ici mon petit minou, dit Christelle au chat qui reniflait le pantalon de Frédéric. Viens avec moi, j'ai du poisson pour toi dans la cuisine.
 
Frédéric se leva et alla rejoindre Christelle dans la cuisine. Elle le repoussa gentiment de la main et dit en souriant.
 
-J'ai dit Minou, pas Frédéric ! À moins que tu aimes les boîtes pour chat maintenant ? Tu sais, j'en ai une étagère pleine dans le placard si tu veux.
 
Grimaçant, il quitta la cuisine et retourna s'asseoir dans son fauteuil.
 
-Je ne savais pas que tu avais un greffier, dit Pascal à l'adresse de Christelle.
-Bien comme tu le vois, j'en ai un maintenant. Pas depuis longtemps, je te rassure, seulement depuis une semaine. C'est la voisine du dessus qui me l'a donné. Sa chatte a eu des petits et comme elle ne savait pas quoi en faire, elle m'en a gardé un. Il est mignon n'est-ce pas ?
 
Le petit félin qui ne semblait pas avoir faim, avança majestueusement dans le salon et sauta sur les genoux de Frédéric.
 
-Il est très beau mais je n'aime pas tellement les chats, je préfère les chiens, affirma Pascal. Mais c'est peut-être parce que je suis un peu trop superstitieux. Il paraît que les chats portent malheur et qu'ils sont pleins de bactéries.
-N'importe quoi ! C'est comme si tu me demandais si les sorcières existent réellement. Pourquoi voudrais-tu qu'un petit animal comme celui-là te fasse du mal ? Regarde-le, c'est gentil comme tout et ça ne demande qu'à être câliné de temps à autre. Si l'on devait croire tout ce que racontent les gens, on ne s'en sortirait plus ! Et Dieu sait qu'il y en a qui aiment dire n'importe quoi pour se rendre intéressant. Ah, ces petites bêtes-là, il ne leur manque que la parole et…
 
Elle se tut en regardant Frédéric et reprit.
 
–… Excuse-moi pour ce que je viens de dire, mais je ne l'ai pas fait exprès.
 
Il prit son stylo et gribouilla sur une feuille.
 
– « C'est rien Christ ça ne me touche plus maintenant. Je m'en suis fait une raison. Je n'ai quand même pas le droit d'imposer quoi que ce soit du fait que je suis devenu muet. Alors s'il te plaît, fait comme si de rien n'était. De plus, ta voix est tellement douce que même si tu le voulais, tu ne pourrais pas faire de mal à une mouche (même sourde) ».
 
Il tendit la feuille à son amie qui la lut aussitôt en faisant rougir encore une fois ses pommettes.
 
-Même muet, tu es toujours aussi galant.
-Puis-je savoir de quoi il en retourne ? Demanda Pascal avec une pointe d'amusement.
-Non, c'est personnel et je te trouve bien trop curieux. Je ne montre pas courrier à tout le monde.
-Bon, si tu le prends comme ça, je vais demander à Frédéric de m'en faire un aussi et tu ne le liras pas.
-Ça ne me gêne pas du tout et je doute que ce soit le même genre de texte que le mien.
 
Frédéric gribouilla sur une autre feuille qu'il tendit à Pascal.
 
-« Le minou me signale que mon verre est vide », lut-il à haute voix, « et j'ai une de ces soifs à m'en déshydrater ». Ma foi, elle a raison cette bestiole, on va refaire le plein en grande vitesse.
 
Pascal se mit à rire et dit en regardant Frédéric.
 
-Puisque Minou t'a parlé, demande-lui si le rôti est prêt. Je commence à avoir une faim de loup. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais je serai capable de bouffer un bœuf.
-Décidément, tu ne penses qu'à ton bide !
-Que veux-tu, je n'y suis pour rien si j'ai toujours été attiré par ta cuisine.
- Ça ne sert à rien de me faire des ronds de jambe, je sais très bien que la cuisine des autres est toujours meilleure lorsqu'on ne doit pas mettre la main à la pâte.
- C'est vrai que moi et la gamelle ça fait deux, mais j'aime bien ta façon de cuisiner.
-Je m'en doute, mais dans ce cas, je me rendrais utile en versant un autre verre à Frédéric avant qu'il ne dessèche complètement.
-Mais c'est ce que j'allais faire.
 
Christelle retourna dans sa cuisine afin de surveiller son four tandis que Pascal se tira de son siège pour servir la deuxième tournée.
 
-Si on se prenait un petit apéritif à la place d'une bière, ça ne serait pas plus mal non ! ? Qu'en penses-tu ?
 
Frédéric approuva.
 
-Moi, je prends un petit pastis et toi qu'est-ce que tu préfères ? Pastis, Ricard, Martini, Sangria, Whisky ?
 
Il désigna de l'index la bouteille de pastis.
 
-Christelle ? Cria-t-il, qu'est-ce que tu veux comme apéro ?
-Du martini et prend aussi la boîte de petits gâteaux secs qui se trouve en haut du living.
-Je lui demande à chaque fois ce qu'elle veut car lorsque je prends l'initiative, c'est jamais la bonne. Une fois elle veut du martini, un autre jour, ce sera de la sangria où je ne sais quoi encore, etc. etc. Ah, je vous jure, les femmes, on ne sait jamais ce qu'il leur faut et le pire dans tout ça, c'est qu'elles croient que c'est nous qui ne sommes pas attentifs. Hier, elle prend ça et aujourd'hui, une autre chose. Comment veux-tu que l'on s'y retrouve, nous, les hommes. Va savoir ? Peut-être qu'elle fonctionne avec la lune ?
 
Il termina le service et emmena les verres sur la table basse devant Frédéric qui esquissa un petit sourire.
 
-Remarque, je dis ça, mais je ne pourrais pas vivre sans elles, même si elles sont compliquées. Je les aime trop. Tiens, voilà ton verre et j'espère que minou sera ravi de mon service.
 
Frédéric se concentra et envoya par télépathie un petit mot dans le cerveau de Pascal.
 
Merci bien ».
-De rien mon, vieux, je …
 
Pascal faillit renverser son verre et regarda son ami.
 
-Mais tu parles ! Lui dit-il stupéfait.
-« Non, mais je voudrais bien, inscrivit Frédéric sur un bout de papier ».
-Pourtant, j'ai bien entendu quelqu'un me remercier. Je ne suis pas encore barge, enfin, je le crois. C'est quand même pas le chat qui se met à me jacter maintenant.
 
Ils se mirent à rire et Christelle revint vers eux. Elle s'arrêta devant la table basse et finit par leur demander la raison de cette hilarité.
 
-Figure-toi que je me mets à entendre des voix. Je crois que je devrais peut être arrêter l'alcool, ça ne me réussit pas à boire.
-Tu ne serais pas un descendant de Jeanne d'Arc par hasard ? Par ce que là, tu commences à m'inquiéter sérieusement.
-Non, pas à ma connaissance, mais il va falloir que je regarde mon arbre généalogique de plus près pour en être totalement convaincu.
 
Christelle s'installa à leurs côtés et grignota un petit gâteau sec. Le chat qui était confortablement allongé sur les genoux de Frédéric, se leva et rejoignit Pascal qui venait juste de piocher dans les gourmandises.
 
-Alors gros matou, tu me joues des petits tours de magie, hein ?
Non, pourquoi ? » Entendit Pascal.
-Encore ! S'exclama-t-il en regardant Minou sans comprendre. Cette fois, vous avez bien entendu comme moi, hein ? Ce matou m'a bien parlé, je ne suis pas fou ! Vous avez entendu ?
-Mais voyons Pascal, je n'ai rien entendu si ce n'est le ronronnement du chaton.
-Tu es certaine de n'avoir rien entendu ?
-Puisque je te le dis. Je t'assure que je n'ai rien entendu à part toi qui as poussé un cri à en faire trembler les murs. Et je t'en prie, ne fais pas cette tête ! On dirait un malade.
-Et toi Frédéric ? Insista-t-il.
 
Il répondit en faisant un signe de négation.
 
« Tu n'as pas fini d'en avoir des surprises, songea-t-il, ce n'est qu'un hors-d'œuvre. Je t'en réserve encore bien d'autres pour la soirée ».
-Franchement, je ne comprends pas ce qui m'arrive. J'ai dû trop m'exposer au gaz d'échappement lors de la promenade que j'ai faite  juste avant de venir ici.
-Je le pense aussi, ajouta-t-elle, tu ferais bien de prendre quelques jours de repos parce que là, je crois que tu as pris un sacré coup dans le casque.
 
« Miaou », fit le chaton en regardant Pascal.
 
-Oh toi à ça va hein ! Tu ne vas pas remettre ça, ce n'est pas le moment.
-Qu'est-ce qu'il t'a dit cette fois ? Demanda-t-elle en ricanant.
-OK, j'ai compris, c'est une conspiration ! Mais je vous aurai au tournant. Je ne tournerai pas en bourrique pour votre plaisir.
 
Il but son verre d'une seule rasade.
 
-Eh ! Doucement, je n'ai qu'une bouteille ! Tu ne vas tout de même pas la finir tout seul, on est là nous aussi.
-Non, mais j'en aurais grand besoin.
-Frédéric, interpela-t-elle, surveille Pascal pendant que je prépare la table autrement on sera quitte pour boire de l'eau.
-N'exagère pas, je ne suis pas alcoolo pour autant. Enfin, pas encore !
-Figure-toi que je commence à me poser la question.
-C'est la fatigue, je bosse trop au bureau.
-Je t'en prie, pas de balivernes. Pour ce que tu fais…
-C'est déjà trop ! Les collègues me stressent. Aujourd'hui par exemple, nous avons fait une bataille de lancer le tippex et l'un d'eux est venu s'éclater sur la porte. Résultat, on a eu un mal de chien à nettoyer le produit blanc sur la porte rouge, mais le pire, c'est lorsqu'on a dû frotter la moquette avant que les chefs n'arrivent à notre étage. Alors vois-tu, les journées au bureau, c'est assez physique.
-Ce serait Frédéric, je le comprendrais aisément. À l'usine, ce n'est pas de tout repos tandis que toi, tu passes tes journées assis dans un fauteuil à écrire sur de la paperasse ou sur ton ordinateur. Tu ne vas tout de même pas me faire croire que c'est ça qui te fatigue ?
-Détrompe-toi !
-Tout le monde peut taper sur un ordinateur, même un enfant sait le faire.
-Premièrement, s'indigna-t-il, ce n'est pas un fauteuil mais une vulgaire chaise et deuxièmement je ne tape pas sur mon ordinateur,  je travaille Mademoiselle. Et dernièrement, il est rare que je sois complètement épuisé même si la journée a été rude. Je maintiens ma forme du matin au soir en faisant mon petit footing matinal juste avant d'aller au boulot. Tu sais, ce n'est pas rien de remplir des fiches toute la journée, de les contrôler, de ne pas faire d'erreur et surtout de savoir décrypter ce que les autres ont écrit.
-Relax Max ! Reste calme, ce n'est pas une raison pour te mettre dans cet état.
-Mais je suis calme, très calme. Ça ne se voit pas, mais je suis complètement détendu.
-Si si, ça se voit ! Mais à ta place, je continuerai la conversation avec Minou, souligna-t-elle en s'esclaffant. Au moins pour ta reconversion, tu pourras toujours faire traducteur de langue, ce sera mieux que de continuer à remplir des fiches.
-Traducteur ?
-Oui, traducteur de miaulements, gloussa-t-elle en retournant dans sa cuisine.
-Oh, là, là, si je ne me retenais pas, je lui filerais un coup de patte.
 
Après une petite pause, Frédéric demanda où se trouvaient les toilettes et Pascal le renseigna. Enfermé et assis sur la lunette du WC, il se mit à rire intérieurement. Il entrebâilla la porte et regarda Pascal qui fixait interrogativement le chaton ronronnant qui venait de grimper sur ses genoux. Il tourna la tête de droite à gauche, comme s'il voulait s'assurer qu'il était bien seul dans la pièce et que personne ne l'observait. Au bout de quelques secondes, Frédéric vit Pascal se pencher sur le chat et se mettre à lui parler. D'où il se trouvait, il pouvait entendre la conversation et il eut du mal à contenir son sérieux.
 
-Alors mon petit chat, on ne me parle plus ?
 
Frédéric se concentra et lui répondit par télépathie.
 
Que veux-tu que je te dise ? ».
 
Pascal se redressa si vite qu'il faillit tomber à la renverse. Il regarda la petite boule de poils soyeux et après un petit instant mort, il continua son dialogue.
 
-Mais… Mais, dit-il en bégayant, tu parles vraiment ?
T'es sourd ou quoi ? ! ».
 
Frédéric en pleurait de joie en voyant la tête que faisait Pascal.
 
Et alors, qu'est-ce qu'il y a d'aussi extraordinaire que cela ».
-Mais tout à l'heure, tu m'as bien dit quelque chose, je ne suis pas complètement fou, hein ?
Tu ne t'en rappelles déjà plus ? Pourtant, tu en as fait tout un foin ».
-Faut me comprendre, ce n'est pas tous les jours qu'un chat se met à converser. Tu permets, dit-il en se penchant, il faut que je boive un coup, j'en ai grandement besoin.
Vas-y  mon gars, ne te fait pas prier, fait comme chez toi ».
-Ça va sûrement me faire du bien.
Peut-être, mais ce n'est pas une raison pour perdre les pédales ».
-A propos, comment se fait-il que les autres ne t'ont pas entendu ?
Tout simplement parce que tu es le seul à percevoir ma voix. Nous sommes sur la même fréquence et c'est un privilège pour toi ».
-Bien chat  alors ! Euh, je veux dire ça alors ! Mais, comment ça se fait ? Pourtant, tu es…
-Pascal ! Tu es sûr que ça va bien ? Je viens de te voir en train de tenir un discours avec mon chat, dit Christelle qui revenait dans le salon.
-Heu… Non, mentit-il. Je le caressais en l'admirant. Il me plaît beaucoup ton chat et si je ne me retenais pas, je l'emmènerais chez moi.
Eh doucement mon ami, il ne faut pas brûler les étapes et je ne suis peut-être pas libre. Si tu continues sur cette voie, tu vas finir par me faire rougir, moi aussi ».
-Tu parles ! Répondit-il en regardant le chat.
-Tu parles ? Répéta Christelle sans comprendre.
-Non, ce n'est rien, dit-il en se rendant compte de la gaffe qu'il venait de commettre. J'ai juste le ventre qui gargouille un peu.
-Ne t'en fais pas, le repas est bientôt prêt. Encore quelques minutes de patience et on passe à table. Où est Frédéric ?
-Aux toilettes, il avait besoin d'une vidange.
 
Celui-ci sortit de son lieu d'observation et à alla les rejoindre comme si de rien n'était.
 
                                               *****
 
-Alors Frédéric, comment trouves-tu mon rôti ?
 
Il leva le pouce et Pascal approuva.
 
-Faut dire aussi que tu es une cuisinière de première classe. Tu devrais faire les castings pour l'émission de « top chef ». Je suis certain que tu ferais parti des favoris.
-Merci, c'est gentil surtout que j'aie bien cru que je l'avais trop cuit.
-Non, pas du tout ! C'est juste ce qu'il fallait. N'est-ce pas Fred ? Je peux t'appeler comme ça ?
 
D'un sourire sympathique, il opina du bonnet.
 
-Maintenant que l'on s'est bien régalé, qu'est-ce que vous diriez si je vous proposais un petit café arrosé cognac ou d'un calva !
 
Tout le monde se décida pour un cognac et en un clin d'œil, ils se retrouvèrent dans le salon. Christelle lança l'ambiance en mettant un CD de Pink Floyd dans son ordinateur et envoya un peu de son pour commencer l'ambiance festive. La pièce était harmonieusement décorée. Ils étaient assis l'un en face de l'autre autour de la table basse et le chat avait trouvé sa place dans un petit panier en osier à côté de la porte. Pascal regardait Minou avec attention. C'était bien la première fois qu'il voyait un tel phénomène ou plutôt qu'il le subissait. Un chat qui parle ! C'était inouï, invraisemblable.
 
-A propos, dit-il en se tournant vers ses amis. Qu'est-ce que vous en dites si on allait faire un tour au Totem ?
-Au Totem ? Qu'est-ce que c'est ?
-C'est une boite de nuit, pas loin d'ici. L'ambiance est plutôt agréable et la convivialité y est de rigueur. On est loin des boites de nuit où il y a toujours la merde surtout vers la fermeture.
-Pourquoi, on n'est pas bien ici ?
-Que vas-tu imaginer, Chris ? Tu sais bien qu'être avec toi est toujours agréable et je ne crois pas être le seul à le penser. N'est-ce pas Fred ?
 
Celui-ci se mit à rire tandis que Christelle, ne sachant quelle attitude adopter, prit son verre en main pour se donner une contenance.
 
-A propos Fred, tu sais ce qu'elle me dit de toi lorsque tu n'es pas là ? Parce que je peux te dire qu'elle en dit.
-J't'en prie Pascal, si j'ai quelque chose à lui dire, je suis assez grande.
-Ça n'empêche pas qu'elle…
-Pascal, un mot de plus et j'appelle mon chat de garde.
-OK, c'est bon, j'abandonne face à cette menace, mais ton chat de garde, comme tu dis, ne sera pas toujours à tes côtés et alors là, ce sera à moi de jouer. Et ton gorille ne pourra rien y faire face à ma salve vengeresse.
Gorille, s'exclama le matou, est-ce que j'ai une tête de gorille. Non mais dis donc, tu ne t'es pas regardé vieux croûton ! ».
-Excuse-moi, repris Pascal en se retournant pour regarder le chat qui ronronnait dans son panier.
-Ne t'en fais pas pour lui, il ronfle comme un sourd, dit-elle en riant. Bon puisqu'il est question d'aller en boite de nuit, je vais me changer.
-Tu n'es pas obligé de mettre tes fringues du dimanche, tu y vas décontracte, à la cool quoi.
-Ah bon, dans ce cas, je vais me mettre un bikini !
-Faut pas pousser quand même, bien que moi ça ne me gêne pas trop.
-Ah pour ça, je te fais confiance. Dès que tu vois un morceau de mollet, tu es instable. Oh oui, ne fais pas ces yeux, là. D'ailleurs, tu verras si je mens Fred, on ne sera pas encore installé à une table, qu'il fera déjà le beau à toutes les filles qu'il aura dans son champ de vision.
-Détrompe-toi. Ce n'est pas moi qui les cherche, c'est elles qui, dès qu'elles me voient, se jettent à mes pieds.
-A tes pieds ! Moi, je ne m'y risquerais pas.
-Non mais ça va toi, qu'est-ce que tu as l'air d'insinuer par-là ?
-Pas mon nez en tout cas !
-Mais, elle me cherche la meuf, dit-il en se redressant.
-Reste assis ou j'appelle le chat.
-Ah tout de suite les grands moyens.
-Grand ou moyen, faudrait choisir.
-Oh, là, là ! La voilà partie à faire des jeux de mots. Vaut mieux arrêter sinon demain, on y est encore.
 
Frédéric souriait en regardant le spectacle qui se déroulait devant lui. Tout en tirant quelques bouffées sur sa cigarette, il se disait que son amie n'avait guère changé. Quant à Pascal, il ne lui n'était pas désagréable. Contrairement à ce qu'il lui était venu à l'esprit en début de soirée, il ne semblait pas être le petit ami de Christelle. Ce qui paraissait le rassurer un petit peu, mais rien n'était encore gagné, car Pascal avait un charme et un charisme qui ne laissait pas indifférent ceux qui le côtoyaient. Ils continuèrent encore un bon moment à se lancer des vannes jusqu'à ce que la conversation revienne sur le chat.
 
-Si on l'emmenait avec nous dans la boîte ! Proposa à Pascal.
-T'es malade ! Lui lança Christelle. Un chat dans la boîte de nuit avec toute cette musique, il va devenir fou. Et en plus de ça, on ne l'accepterait certainement pas.
-Je le planquerai sous ma veste.
-Oh ! Tes sûr que ça tourne rond là-dedans ? Dit-elle en tapant son index sur sa tempe.
-Je lui apprendrai le slow.
-Oui, c'est cela, et tu lui rouleras des patins ! Parce que je te ferai remarquer que les slows, c'est bien connu pour emballer.
-Pourquoi, tu es jalouse ?
-Beurk ! Je n'ai pas envie que les copines viennent à se moquer de moi.
-Si tu continues à dire des conneries aussi basses que celle-là, je vais finir par croire que ton niveau intellectuel commence à faiblir sérieusement, lui répondit-il légèrement touché.
-J'avoue, tu as raison, je voulais simplement me mettre à ta hauteur.
-Je ne sais pas ce qui me retient de …
-Le chat ! Attention ! S'empressa-t-elle de répliquer.
-OK, tu as gagné, avoua-t-il.
-Bon, allez, j'arrête mes bêtises et je vais aller me préparer.
 
Elle s'éclipsa du salon. Pour aller dans une autre pièce.
 
-On en a bien pour une bonne demi-heure, si ce n'est pas plus, annonça Pascal.
 
Frédéric sourit et sortit un paquet de cigarettes de sa poche. Il en proposa à son camarade qui ne se fit pas prier.
 
-Merci bien. Après cette petite séance orale avec Christelle, j'en ai bien besoin. A propos, quel moyen as-tu comme communication à part écrire ? Ça ne doit pas être facile tous les jours pour toi lorsque tu veux t'exprimer avec quelqu'un. Je n'aimerais pas être à ta place.
 
Frédéric sourit et leva les mains en l'air en signe d'impuissance.
 
-Connais-tu les signes que pratiquent les sourds et muets ? Je remarque que non. Faut dire aussi que même si tu les connaissais, ça ne te servirait pas à grand-chose si tu devais parler avec quelqu'un comme moi, qui ne connaît pas ce genre de langage. En somme, il n'y a rien de tel que le bon vieux bout de papier, crayon.
 
Frédéric hocha la tête affirmativement.
 
Pascal, dit Frédéric en se faisant passer pour le chat, si tu veux, je peux te transmettre les pensées de Fred. J'ai aussi le pouvoir de lire dans le cerveau  des êtres humains ».
 
Pascale regarda pensivement le chat et Frédéric reprit.
 
De même que si tu veux continuer à converser avec que moi à distance, tu le peux, par exemple, en donnant le beau briquet que tu as à Fred ».
-Mais… C'est un Dupont.
Libre à toi de choisir. Je te ferai remarquer que tu viens de me parler et que ton ami qui ne m'entend pas, va finir par se demander si tu n'es pas un peu bousculé de la tête. »
 
Il se retourna vers Frédéric qui joua l'air surpris.
 
-Ne va pas croire que je débloque, Fred, mais il m'arrive souvent de parler aux animaux comme s'il s'agissait d'êtres humains. Tu sais Fred, j'aimerais te donner mon briquet en signe d'amitié.
 
Il tendit l'objet à Frédéric qui, en bon comédien, refusa cette offre.
 
-Allez, prends-le, ça me fait très plaisir de te l'offrir.
« Et voilà, pensa Frédéric, j'aurai toujours gagné ça dans ma soirée. »
-Ce n'est pas tous les jours que je fais ce genre d'offrande, mais comme tu es le meilleur ami du Christelle, je pense que l'on voit bien s'entendre tous les deux.
Ça m'étonnerait beaucoup que vous puissiez vous entendre, dit le chat, et pour cause, ça fait déjà un bail qu'il est muet ».
-Bien entendu, lorsque je parle d'entente, c'est de cordialité que je pense.
Et en plus, tu le prends pour un con ! »
 
Christelle arriva sur ces entrefaites avec un jean serré et un chemisier rose à col blanc légèrement décolleté. Elle regarda ses camarades qui la dévoraient des yeux.
 
-Bien alors, vous n'allez quand même pas me bouffer ! Si vous avez encore faim, je remets la table.
 
Mais les deux garçons restèrent muets comme des carpes.
 
-Hé ho ! C'est moi Christelle. On est sur la planète Terre, vous pouvez atterrir. Vous n'allez pas me sauter dessus au moins ? Vous me regardez comme si c'était la première fois que vous voyez. Il y a quelque chose dans ma tenue qui ne va pas ?
-Non, pas spécialement.
-Bien, remettez-vous de vos émotions les gars, vous me faites peur.
-Disons plutôt que ta beauté nous éblouit un peu.
-Faut pas pousser quand même, je n'ai rien mis de si extraordinaire.
-Oh tu sais, même si tu n'avais rien sur la peau, on te trouverait canon !
-Ouais, bien ne rêvez pas trop les garçons !
-Dommage.
 
Frédéric esquissa un sourire.
 
-Enfin bref, puisque tu es prête, on peut y aller. Tu étais plus rapide que ce que je croyais. J'avais dit à Frédéric qu'on en avait bien pour une bonne heure.
- Faut pas généraliser. Ce n'est pas parce que je suis une fille que je dois obligatoirement passer trois heures dans la salle de bains.
 
Ils se levèrent, prirent leur veste et sortirent tous trois de la maison, prêts à passer une nuit d'enfer. Dehors, le vent était assez calme et la lune montrait sa face entière. Pascal  le remarqua et pensa soudain au chat.
 
« Y aurait-il un rapport entre la Lune et le chat ? Songea-t-il ».
 
Laissant ses pensées de côté en regardant la silhouette de Christelle, il s'éloigna de l'appartement pour se diriger vers son véhicule. Ils montèrent dans la voiture stationnée sur le parking non loin de là et prirent la route pour le totem
 
                                               *****
 
Ils arrivèrent bientôt à destination. Pascal rangea le véhicule le long du trottoir et ils mirent pied-à-terre. Il les entraîna jusqu'à la grande porte en bois soigneusement décoré. Au-dessus de celle-ci se trouvait l'enseigne du totem qui étincelait de toutes ses couleurs. Pascal s'effaça pour laisser passer Christelle.
 
-Comme la galanterie l'impose, place aux dames.
-Je n'en reviens pas, souffla-t-elle.
 
Pascal se tourna vers Frédéric.
 
-Je ne sais pas qui a inventé cette galanterie, mais ce n'était pas la moitié d'un con le mec. Tu sais pourquoi ?
-« Non »  fit Frédéric de la tête.
-C'est un point de vue pratique. Imagine qu'il y ait de la bagarre à l'intérieur. Comme nous, on est à l'arrière-plan, c'est elle qui prendra la beigne avant nous. Les risques sont moindres pour nous.
 
Ils se mirent à rire et Christelle qui n'avait rien entendu, se tourna vers eux.
 
-Pourquoi vous vous marrez ? C'est à propos de moi.
-Non, non, je lui disais juste qu'on est bien s'amuser.
 
Puis parlant à l'oreille et de Frédéric.
 
-Vaut mieux dire ça, elle serait capable de céder sa place.
 
Ils se mirent à rire de plus belle. Elle sonna à la porte et quelques instants plus tard, ils furent tous installés confortablement dans des fauteuils moelleux. Pascal commanda une bouteille de champagne ainsi que des petits gâteaux secs.
 
Lorsqu'ils eurent bu une coupe de ce délicieux pétillant, Pascal invita Christelle et Frédéric à danser ensemble, car ni l'un ni l'autre n'osaient bouger de son siège. Quant à lui, il eut vite fait de trouver une jolie brunette aux yeux verts et au teint mat.
 
-Tu as vu ce que j'avais dit, murmura Christelle à son oreille, il n'a pas mis longtemps à trouver une cavalière. Tant mieux, tu me diras. On pourra être un peu seul tous les deux pour nous remémorer nos bons souvenirs.
 
Elle se colla affectueusement à son ami. Pendant ce temps-là, Pascal sourit à s'accompagne d'un soir, lui montrant toute rangée de dents blanches. À croire qu'il était en train de faire une pub pour un dentifrice quelconque. Peut-être que la blancheur de sa dentition n'était pas assez convaincante, il l'embrassa pour lui faire goûter le parfum. Frédéric qui voyait la scène voulut intervenir par télépathie, mais Christelle le ramena sur terre en l'embrassant sur la joue.
 
Ils dansèrent un bon bout de temps ensemble puis, épuisés, ils retournèrent s'asseoir à leur table. Bien entendu, Pascal emmena sa nouvelle compagne avec lui et la présenta.
 
-Patricia, je te présente Christelle.
-Bonjour, dit la nouvelle arrivante.
-Ou plutôt bonsoir, rectifia Christelle.
-Maintenant que tu as fait la connaissance de ma femme de chambre, taquina Pascale, je te présente mon chauffeur.
-Elle est bien bonne celle-là, s'interloqua Christelle. Nous voilà devenus tes serviteurs maintenant !
-Et voilà, elle me casse la baraque ! Je lui ai fait croire que j'étais de la haute société et tu m'as tout mis à l'eau.
-Rassure-toi, je n'ai pas cru un seul mot de ce que tu m'as dit, précisa Patricia. On me l'a déjà fait celle-là.
-Bon, je m'incline. Je te présente Frédéric. Certes, il est muet, mais il est très sympa. Tu verras.
 
Elle se pencha vers lui et lui fit la bise.
 
-Vous êtes bien jeune, constata Christelle. Quel âge avez-vous ?
-J'ai 22 ans.
-Vous ne les faites pas, je vous en aurais donné trois de moins. Jeune et jolie, Pascal sait choisir.
-Non mais dis donc, toi là, ce n'est pas fini un peu ? S'exclama Pascal. Tu ne vas tout de même pas me la piquer !
-Oh, mais il est insupportable ce soir ! Ce n'est pas mon rôti qui t'a rendu comme ça quand même.
-Va savoir ce qu'il y avait dans la sauce ?
-Merci ! Ça fait plaisir à entendre ! Je te réinviterai à dîner à la maison.
-Eh ! Je blague. Ne va pas croire que je le pense vraiment. Tu serais capable de me faire le coup.
-Une femme s'est raisonnée, tu sais.
-Un peu trop à mon goût, mais ne résonne pas trop quand même, sinon tu vas finir par te prendre pour un carillon.
-Mon Dieu qu'il est bête, s'exclama-t-elle en riant. Ma pauvre Patricia, tu ne sais pas sur qui tu es tombée.
-Non, mais je commence à me faire du souci…
-Ah si tu t'y mets aussi, moi j'abandonne, dit Pascal pour toute défense.
 
Il prit sa compagne dans ses bras et l'embrassa fougueusement. Christelle et Frédéric se rapprochèrent l'un de l'autre et regardèrent leurs camarades. Le spectacle donna envie à Frédéric de s'amuser un peu de la situation en servant de son don. Il se fit alors passer pour le chat qui, loin de cet endroit, pouvait soi-disant correspondre avec Pascal grâce au briquet.
 
Reprends un peu ton souffle ! », s'amusa Frédéric.
 
Pascal se ressaisit et regarda ses deux amis.
 
-Ben, qu'est-ce que vous avez à me regarder comme ça ?
-On prend des leçons, on ne sait pas comment on doit faire.
-Tu te fous de moi ! Fred, montre-lui.
 
Puis il replongea sur son amie en la renversant presque.
 
Ne cherche pas son chewing-gum, elle n'en a pas », continua Frédéric.
 
L'intéressé se redressa rapidement et éclata de rire sous les yeux interrogateurs des deux filles. Frédéric, lui, souriait simplement. Patricia, par contre, ne semblait pas tellement satisfaite, car elle pensait qu'il se moquait d'elle.
 
-Qu'est-ce qui t'arrive ? Ça chatouille ? Interrogea Christelle.
-Non, ce n'est rien, juste à peu de nervosités.
-Eh bien, je ne savais pas que je faisais autant d'effets, souffla Patricia. C'est bien la première fois que quelqu'un éclate de rire en m'embrassant.
-Viens, lui dit-il en la tirant par la main, allons danser, ça me calmera.
 
Ils se levèrent et se mélangèrent à la foule tandis que Christelle et Frédéric les regardaient s'éloigner. Puis, après un petit regard complice, ils se rapprochèrent et s'embrassèrent tendrement, se rappelant les bons moments passés ensemble, lorsqu'il avait encore sa voix.
 
-Je ne sais pas ce qu'il a aujourd'hui, Pascal, mais je le trouve bizarre. À moins que ce soit moi qui soit différente ? Ou alors, c'est toi qui me troubles, souffla-t-elle à son oreille avec une voix qui se voulait suave.
 
Ils passèrent la soirée ensemble et lorsque la boîte de nuit invita le monde de la nuit à danser leur dernier slow avant la fermeture, ils quittèrent tous les quatre la salle pour se retrouver dans la fraîcheur de la nuit. Pascal reconduisit Christelle et Frédéric chez eux tandis que lui, s'éloigna dans les rues sombres, légèrement éclairées par les candélabres, en compagnie de Patricia.
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