Le Mumbai Athletic Circle #1
aa-scuma
Le rendez-vous est fixé dans 30 minutes, sous l’arche de la rue ******. La pluie est épaisse et vigoureuse mais, Fischer en main comme fleur au fusil, on pourrait affronter toutes les tempêtes. Les potes sont là, armés jusqu’aux dents. D’autres gens se sont réfugiés au même endroit, des vieux, des jeunes, tous parés, complètement imbibés. « À notre bonne santé, fils de putes et d’enculés », nous crie un clochard. Tout le monde a trinqué et nous sommes partis en direction du musée.
Après une marche courte au pas de course nous nous sommes plantés devant sous la pluie le temps de finir nos bières. À peine éclusées, tout le monde s’est dispersé. Je fais le choix d’arpenter les salles seul. Les 3 premières étaient consacrées à un type nommé Favier. Ça puait l’éther, pas mal de tableaux représentaient des scènes de bordel où des squelettes, d’authentiques connardos, jouaient les lubriques avec des hommes ou des femmes, peut-être même des enfants. L’ambiance était agréable. Un peu plus loin, une jeune fille (peut-être majeure, peut-être pas) s’était plantée devant une scène de chasse morbide. Je me suis placé à côté et elle m’a souri. Plutôt jolie, de belles jambes et un mouvement de jupon. De bas en haut, de droite à gauche et même en diagonale. Bref, vous imaginez le truc. Nous avons décidé de faire le reste de l’expo ensemble. Bon ok, elle n’en savait rien. Disons que j’ai décidé de l’accompagner.
Les autres salles étaient un conservatoire de savoir-faire technique, classé selon l’ordre chronologique de base. Il y en avait pour tous les goûts. Les miens étaient presque rassasiés en tout cas. Je me délectais de tous les tableaux. Des lycéennes endimanchées, des mamans de lycéennes, des nues et des natures mortes. La visite terminée, retour dans le grand hall.
Dans la cour, histoire de s’en griller une, des potes débarquent, racontent quelques conneries, proposent d’aller s’aligner au comptoir, n’importe lequel. Grande idée. Certains criaient, d’autres fumaient des pétards. À côté, une bande de hipsters se la faisait reluire au cours d’une magnifique séance de masturbation collective sur un air de Talking Heads. Gautier lâcha un rot, le genre de rot qui déchaîne les enfers. Un des types, outré, lui adressa un regard noir et se mit à parler à voix basse. La fine équipe s’était recomposée. Tous des branleurs, des pochards, des lubriques, mâles ou femelles. Tous de basse extraction. Aussi basse que la merde accrochée au mur d’ailleurs. Nous sommes partis en chantant et en jurant. À peine le temps de nous retourner que déjà la bière coulait. Abondamment.
*
Je suis sorti du bar afin de m’en griller une. J’ai pénétré dans l’espace libre de la rue, accompagné des faisceaux kitsch d’un jeu de lumières qui provenait de la piste de danse minable que je laissais derrière moi et qui projetait sa glaire multicolore auréolant ma silhouette, jusqu’à ce que la porte d’entrée du bar se referme, mettant ainsi fin à ma sortie de Prométhée. Je me glissais entre quelques clients anonymes pour m’éloigner. Peu à peu la musique disco s’estompa de mes oreilles et le calme revint lentement. Je m’adossai à la devanture et portai une cigarette à ma bouche avant de l’allumer. La nuit était fraîche. Je regardais la rue en face de moi, les voitures qui passaient me semblaient être des flashs destinés à mes yeux embués. Je n’y voyais pas clair. La fatigue prit rapidement le dessus et je commençais à perdre l’excitation de l’alcool pour plonger, lentement, dans une brume lourde et ouatée. Je sentais mon corps s’affaisser, mes membres pendre, ballants tels des fardeaux. Je tirais sur ma clope et une lourde taffe, grise et froide, s’engouffra dans ma gorge. Je percevais les sons en provenance du bar, les grognements, la musique trop forte, au rythme de l’ouverture de la porte et des allées et venues des clients. Je réfléchissais autant que je le pouvais. Je dodelinais du chef. L’alcool montait. Je tirai une seconde latte. Ma position semi-assise me donnait un étrange point de vue, une vision du dessous sur l’ensemble de la scène nocturne - et sans doute banale - d’un trottoir de bar, un vendredi soir. J’eus des sueurs froides : je crus que quelqu’un me parlait. Je tournai de nouveau la tête. Je m’accrochais aux derniers arpents de conscience qu’il me restait dans la brume alcoolisée. Je m’y accrochais fort. Ma clope était désormais entre mes doigts et ma main tendait inexorablement vers le sol. Je tendais mon visage vers le ciel noir, je cherchais de l’air frais. Je fus pris d’une grande lassitude. J’eus envie de m’allonger là et de m’endormir comme n’importe quel tas de guenilles, n’importe quel clochard avisé, mais la dernière once de dignité qui me restait m'en empêcha. Je méditais un moment ainsi, dans l’espace douloureux et agressif de l’alcool, cherchant à échapper à cette douleur lancinante qui corrompait mon esprit, quand un mouvement vif attira mon regard. Sur un des barils en bois qui servaient de caution pirate au décor du bouge dans lequel je me ruinais, je vis un singe – un babouin, Jésus, Marie, Joseph - coiffé de sa toque rouge de cirque qui me dévisageait. Il ouvrit la bouche sans crier, me dévisagea de ses yeux ronds et commença à détaler. Je décidai de le suivre, mais je vomis dans un angle de la rue, quelques secondes après.
*
« Qui est-ce qui s’embourbe dans la merde hein ? », on se le demande.
« Toi et ta pute ou Blaise de Boduc ? »
« Rien à faire, tu ne me la feras pas à l’envers, pas cette fois. »
« Les pigeons chantent »
« Cool »
« Les clochards picolent »
« Toi aussi »
« Tu n’es qu’une merde remplie de lubies, qui jamais n’aboutiront »
« A quoi bon ? »
« Pochard va, rentre chez toi ! Même si nul n’est prophète en son pays, c’est sûr pour toi ce n’est pas ici ! »
« Va te faire cuire un œuf »
« Embrasse ta sœur »
« De joie ou de rage », rien à branler
« Tu as tenté de l’enculer »