Le Parc

anewface

Dans la rue, les réverbères à l'ancienne donnaient une teinte orangée à la nuit. Plus loin, se trouvaient deux grands escaliers mal éclairés aux marches de pierre bleue usées qui, depuis al gare, permettaient d'accéder au parc. Les mains dans les poches, le col relevé et la casquette vissée sur le crâne, tête baissée, il jeta un regard furtif de chaque côté avant d'entrer rapidement dans le parc, espérant ne pas avoir été vu.

Dans le parc, le silence régnait. Seul le crissement des gravillons raisonnait à chaque pas. Après quelques foulées, l'amorce d'un sentier apparut sur la gauche, qui menait à un bosquet; pour Jean, ce chemin était une invitation. Là se trouvait un immense kiosque à musique en fer forgé d'où partaient trois séries de bancs en bois. L'ensemble avait des aires de théâtre fantôme. L'air tiède de cette nuit de juin rendait la nature plus belle, plus mystérieuse et, surtout, plus calme encore. Assis sur le coin d'un banc, Jean observa les alentours. Il était tout à fait seul. À cet instant, il se ressaisit et, comme un somnambule qui se serait éveillé subitement au cours d'une balade nocturne, se demanda ce qu'il était en train de faire dans ce parc, seul, au beau milieu de la nuit! Être là n'était certes pas raisonnable, mais le petit pincement dans le ventre qu'il ressentait suffisait largement à le convaincre de rester malgré son appréhension.

Jean entrepris l'exploration du parc. Il y avait un bassin, un peu plus loin, dont il fit le tour pour entrer dans un autre bosquet, puis se rendre vers ce qui lui sembla être l'allée centrale du parc, une large bande de gazon flanquée de deux chemins de gravillons, traversant le parc. D'un côté, le bassin aux canards; de l'autre, une énorme fontaine circulaire bordée de bustes sévères sur de hautes stèles de pierre derrière lesquels serpentaient l'un ou l'autre sentier.

Non loin, près d'un réverbère, des ombres semblaient aller et venir. Intrigué, Jean observa le ballet spectrale de ces qui se jouait en face de lui. Il hésita un instant. Sa curiosité adolescente prit le dessus et il arriva bien vite au bord de la fontaine à l'immense jet d'eau d'où, portées par la brise, s'envolaient de fines gouttelettes rafraîchissantes. Autour du mystérieux halo lumineux du réverbère orbitaient des ombres qui semblaient l'appeler. C'est alors qu'un garçon pas plus âgé que lui sorti du petit bois, sur le côté, et marcha dans sa direction, tranquillement, puis le long du bassin pour enfin le dépasser. Le t-shirt lâche, les mains dans les poches, le garçon se retourna nonchalamment, esquissa un sourire et disparu derrière l'une des statues, à quelques mètres de la valse des ombres. Piqué au vif, Jean fit quelques pas dans sa direction et l'aperçu, adossé contre le socle de la statue derrière laquelle il s'était caché. A sa vue, le jeune inconnu sourit une nouvelle fois et reprit sa marche langoureuse pour s'enfoncer dans la futaie voisine. Jean mourrait d'envie de le suivre! mais après une petite minutes d'hésitation, et alors qu'il allait faire un pas, un homme surgi de derrière lui, le dévisagea, sans s'arrêter de marcher et le regard soutenu, puis s'enfonça à son tour derrière les buissons, exactement là où devait probablement l'attendre le garçon qui lui avait sourit un peu plus tôt. Jean resta à nouveau immobile. Quelle tension dans le ventre! Quelle douleur délicieuse que cette curiosité! Il voulait savoir ce qui se passait; il s'y enfonça à son tour...

Ses yeux s'accoutumant à l'obscurité, il pu constater que plusieurs personnes faisaient d'incessants aller-retour. Prudent, à pas mesuré, feutré, discret, écartant les branches doucement, Jean avança vers l'intérieur du bosquet. Quelques hommes se tenaient là, dispersées, à différentes distances. Des hommes d'âge et de physique différents. Certains d'âge murs, en costume, cravate lâche. D'autres, très jeunes, casquette et training. D'autres encore, probablement la petite trentaine, en jean's et blousons. Tantôt adossé contre un arbre, tantôt debout, personne ne semblait l'avoir remarqué car tous focalisaient leur attention sur deux silhouettes, deux ombres chinoises, l'une en face de l'autre, presque l'une contre l'autre. Jean fit quelques pas sur la droite pour mieux voir, à la lumière orangée du réverbère qui filtrait à travers le feuillage, et reconnu le garçon qui l'avait attiré ici avec ses sourires. Il était là. Debout, une épaule contre un arbre, pantalon et caleçon baissés jusqu'aux genoux, tête vers l'arrière, il gémissait doucement, la main sur la tête d'un homme bedonnant agenouillé devant lui et qui grognait à chaque coup de reins que le garçon lui surinait dans le fond de la gorge. Surpris, écœuré, hypnotisé, tétanisé, Jean sentit son sang faire un tour. Il lui sembla qu'une onde lui traversait le corps. Un frisson lui parcourut le dos alors qu'il contemplait la scène sans comprendre. Son corps réagi avec tant de vigueur à ce spectacle qu'un sentiment obscure l'envahit, mélange d'excitation, de culpabilité et de jean's prêt à exploser; le sentiment coupable d'un garçon à peine majeur qui, une nuit d'été au milieu d'un parc, sentait son cœur battre la chamade, l'entrejambe humide.

Ce garçon au sourire d'ange démoniaque qui avait attiré Jean dans cet endroit, ce demi-dieu qui, volontairement, s'était offert en sacrifice à la foule perverse, avait disparu sitôt le spectacle terminé. Le public anonyme s'agita alors et certains s'approchèrent lentement de Jean pendant que d'autres, repus, désertaient l'endroit. Pris de panique, craignant d'être à son tour une brebis sacrifiée consentante sur l'autel du péché, Jean couru de toutes ses forces. Ses jambes lui faisaient mal, mais plus encore son cœur, et son ventre, dans lequel brûlait dorénavant cette boule incandescente infernale qui venait de naître...

Signaler ce texte