Le parc
Marion Ploix
Gregor sortit du métro à l'arrêt Cité Universitaire. L'après-midi était à peine avancée et la lumière vive du soleil donnait à la station un air de grotte. Passés les tourniquets, il s'arrêta un instant et fut bousculé par une silhouette à talons hauts qui s'évanouit rapidement devant lui après le claquement d'un « pardon » passablement irrité.
Grégor se dirigea comme il en avait l'habitude avec sa petite Agnès vers l'entrée du parc Montsouris qui se trouvait sur sa droite. Un banc vide l'attendait, à l'ombre d'un grand chêne. Il s'y assit et la petite voix résonna comme un air de jeune flûte :
« On va au manège, dis papa, je veux monter sur le cheval rouge ! »
oui chérie... le cheval rouge... Grégor ferma les yeux et se laissa immerger dans le bruissement mouvant qui l'environnait. Le crissement des roues d'une poussette sur le gravier, les pas réguliers d'un coureur, sur sa droite, passant devant lui dans un essoufflement de gorge. Le mouvement d'un souffle d'air, un cri de mouette, une mouette, oui... en plein Paris ! Quelle drôlerie...
Il entrouvrit les yeux pour voir au loin un jeune garçon enlacer une brunette au décolleté plongeant. Il entendit son rire. Elle le repoussa par jeu et il se pencha vers elle pour lui murmurer quelque secret. Ils tournèrent dans l'allée derrière un massif de bougainvilliers violets.
La douleur du vide le pris une fois de plus par surprise le laissant un instant démuni, et par réflexe ses yeux firent un tour d'horizon rapide pour attraper la silhouette gracile d'Agnès. Il se replia un moment sur ce trou immense en lui, et son regard se concentra sur les mocassins gris que sa maîtresse Béatrice aimait lui voir porter. Il se leva, doucement, avec des gestes de vieillard, et se dirigea vers le lac.
Un mois qu'elle avait disparu aussi soudainement que la flamme d'une bougie que l'on souffle. Elle aimait lancer quelques miettes aux canards et les voir s'approcher d'elle en se dandinant. Il fallait toujours avoir avec soi un reste de gâteau ou de pain sec et prendre garde qu'elle ne tombe pas dans l'eau à force de gesticuler. Il scuta le bord de l'étang et vit passer l'ombre d'un énorme poisson rouge frayant l'onde avec paresse.
Les dernières semaines, elle ne bougeait plus de son lit d'hôpital et il avait imaginé toutes sortes de mésaventures à lui raconter. Comment il s'était trouvé nez-à-nez avec un écureuil qui avait froncé ses petites narines à la recherche d'une friandise, ou encore les deux jumeaux qui se disputaient la balançoire à bascule. Il avait parlé du manège qui avait repeint ses chevaux de bois avec des couleurs vives et du soleil, un soir, dans le feuillage des grands arbres.
Un autre cri de mouette le fit atterrir là, à cet endroit précis, dans ce parc, et déjà la lumière avait la douceur d'un entre-deux. Il décida de s'allonger sur l'herbe encore tiède et de continuer sa promenade avec Agnès, à l'ombre des songes.
Marion Ploix
février 2016