Le petit square

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Maudit handicap…

Dans son fauteuil roulant. Ness regarde au-dehors derrière ses rideaux. Cloîtré dans son logis par la canicule aoûtienne depuis presque une semaine. Dans le petit jardin, des enfants jouent tapageusement sur le toboggan. Leurs mères discutent. De leurs hommes. De gastronomie. De Zoo Mc Blum, vedette du moment. Une chaleur accablante sévit dans le pays depuis l’arrivée de l’été. Déjà trois morts dans les environs. Les langues asséchées pourrissent.

Il n’y a pas classe aujourd’hui. Ness le sait.

Il observe les bambins d’en bas. Distrayant pour l’infirme. Sans pareil. Il envie leurs jambes folles. Leurs nerfs remuants.

Sa sœur Anne lui a offert une nouvelle pipe pour son anniversaire. Ness ne fume pas. Il collectionne juste les brûle-gueule. En possède plus de deux cents. Certaines viennent de loin. D’Italie ou de Chine. Ness n’a jamais pu se déloger de sa chaise roulante. La faute à la sclérose. Jamais plus de ballades en vélo. Ni de sprints. Ni de montée d’escaliers. Plus de farandoles.

Naguère, des camarades lui rendaient visite par compassion. Ils causaient de tout. Surtout de sexe. Des donzelles qu’ils appâtaient. De leurs chattes. Se goinfraient de pets-de-nonne. Ness écoutait leurs récits sans jalousie.

Certains se sont mariés. D’autres se sont enrichis de l’autre côté du monde. L’un d’eux est mort.

Ness n’a jamais pu convoler. Il faut avoir des jambes pour ce genre d’idée. Son père le pensait. Sa mère acquiesçait.

Ness vit seul depuis leur disparition. Pas moyen d’astreindre sa sœur aux tâches ménagères. Ni a ses besoins journaliers.

Ness roule jusqu’à l’ascenseur pour descendre récupérer son courrier dans sa boite. Jeter les poubelles. Il vadrouille parfois dans le quartier. Les journées longues des invalides.

Annie lui téléphone chaque jour par habitude. Lui apporte ses courses le lundi. En profite pour lui faire un peu de nettoiement. Du repassage aussi. Ils discutent de quelque chose. Ness prépare tout seul ses repas. Des pâtes au beurre. Des œufs frits. Des steaks de jambon grillés. Avec du pain de mie tranché. Du gruyère. Des yaourts natures.

Dans les yaourts natures, on peut ajouter du sucre. Du miel ou de la confiture. On peut également réaliser des pâtisseries. Confectionner des sauces. Le yaourt et le concombre, un mélange fort rafraîchissant. Particulièrement les soirs d’été. Le yaourt nature s’achète par quatre ou douze ou vingt quatre pots. Tout dépend des supérettes. Les promotions avantageuses des yaourts natures profitent aux habitués. Les bourses fermentées.

Annie part toujours inquiète de chez Ness. Elle n’aime pas le sentir seul.

Ness pousse ses roues jusqu’au radiateur. S’installe près de la fenêtre. Il attend. Ses mains frottent ardemment ses cuisses pour les réchauffer. D’habituels fourmillements picorent le bout de ses doigts. Une horde de bestioles irritées. La chaleur n’arrange rien. Ses muscles engourdis. Ness embaume ses jambes chaque matin pour soulager ses crampes. Un relent de camphre réconforte ses narines. La sclérose le taquine. Ness résiste. Il a baissé les stores dans toutes les pièces. Hormis ceux du salon. Il ne se lasse pas de la vue d’ici. Un doux courant d'air lui caresse le visage. Il devrait s’allonger. Un essaim de moucherons tourbillonne soudainement derrière la vitre. Ness frappe violemment sur le carreau. Les hurlements des gosses dérangent les gens tranquilles. Ils se chamaillent pour s’installer dans la balançoire. Comme d’habitude, Ness inhale sa pipe sans feu. Il aurait bien aimé s’asseoir sur le banc.

Lorsqu’il pleut, jamais personne dans le square. Ni sur le toboggan. Ness regarde la pluie tomber le long des vitres.

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