Le Phare
Florian Lapierre
La pluie tombait inlassablement sur les vagues indomptées. Le vent agitait la mer au rythme frénétique de la tempête. Les nuages noirs envahissaient le ciel comme une infection, sans que la moindre lumière lunaire ne passe à travers ce filtre. Il n'y avait que le fracas des éclairs qui illuminait de temps à autre la seule embarcation en mer. Le tonnerre grondait, se mélangeant au son rageur des vagues immenses, s'écrasant sans retenues sur la surface de l'eau. La barque chevauchait cet élément déchaîné, où le moindre mouvement brusque pouvait la faire chavirer à tout moment et faire couler ses passagers dans les profondes abysses oubliées.
Ces deux passagers, naviguant à travers ce déluge, étaient habillés de simples anoraks, que l'on devinait jaunes, bien que la nuit assombrissait fortement le vêtement. Ils ramaient difficilement, bravant l'autorité du courant impétueux et capricieux.
Nos deux navigateurs semblaient perdus en tout point, d'autant plus qu'aucune côte n'était visible au-delà de cet orage. Les vagues se levèrent bien au-dessus d'eux, menaçant à chaque instant de les engloutir. La mort les guettait depuis qu'ils avaient quitté le navire.
Le capitaine, couard de son état, avait refusé de les emmener plus loin, car il avait pressenti ce vent furieux de par son expérience dans le milieu. Sa réaction n'avait toutefois rien d'étrange.
En effet, c'était à se demander comment le bateau n'avait pas coulé dès les premiers nœuds, tant le vent avait œuvré à les déstabiliser et la mer à les faire se retourner.
Toutefois nos deux voyageurs n'avaient pas l'intention d'abandonner leur mission. Ils avaient engagé, pour une coquette somme, ce jeune capitaine à la réputation exagérée, afin de rejoindre l'autre côté de la mer.
Il était désormais trop tard pour faire demi-tour.
Alors, l'homme leur permit avec ironie de continuer leur chemin en barque si tel était leur souhait, et ainsi de défier les éléments.
Il ne se doutait pas qu'il serait pris au mot.
Ces deux jeunes gens partirent avec la seule embarcation du rafiot, celle-ci ne possédant que deux paires de rames pour avancer dans l'immense étendue aquatique. Et c'est avec acharnement qu'ils se retrouvèrent emportés au cœur de la tempête. Ils étaient conscients que leur vie ne tenait qu'au bon vouloir de la mer, à sa volonté de les laisser exister. Et cette dernière semblait se jouer d'eux en leur compliquant la tâche. Cependant, ils ne comptaient pas s'arrêter au moindre obstacle en travers de leur route.
C'était leur travail de franchir les barrières de la réalité.
Les rames tentaient à chaque va-et-vient de prendre le pas sur la direction imposée, engendrée par les gigantesques vagues qui se levaient au ciel. Ces dernières, essayaient d'aspirer en son sein tous ceux qui osaient naviguer sur elles. Les lames menaçaient de couper le bois fragile de la barque lorsqu'elles heurtèrent avec violence les reliefs inconstants du vaste terrain maritime.
Il n'y avait rien à faire.
Ils ne pouvaient aller contre le courant, qui les emmenait toujours plus loin de leur destination. Néanmoins, seule au milieu de la nuit sombre et orageuse, une lumière apparue soudaine dans le ciel, comme volant un bref instant sur les nuages.
Un instant, ils attendirent le grondement suivant l'éclair qu'ils eurent cru apercevoir, mais rien ne vint. Puis, une nouvelle fois, la lumière traça furtivement un demi-cercle qui disparut aussitôt dans le ciel chargé. Conscients alors, qu'il s'agissait de toute autre chose que la manifestation de la foudre, ils se mirent en quête, armés de leurs regards, de la source de cet éclaircissement volatil.
Et ce fut encore une fois au bon vouloir de la mer, qui, pour une raison inexpliquée, décida de dégager l'horizon au-devant de la barque, là où la hauteur de l'eau cachait la vue.
Alors, ils le virent.
Ce phare au beau milieu de la nuit. Cette lumière les guidant au beau milieu de la tempête. Faible mais présente, elle représentait l'unique salut pour les deux navigateurs. Ils n'eurent d'autre choix que de se rendre sur cet îlot isolé du monde en attendant que le mauvais temps passe. Et ainsi, ils pourraient repartir dans de meilleures conditions.
Ils se mirent donc à ramer, sans difficulté vers ce guide. Après tout, le courant les menait depuis le début à cet endroit.
L'embarcation percuta assez violemment le ponton qui se dressait au-devant du petit rocher, mais sans causer de heurt sur la barque. Ils se servirent d'une épaisse corde accrochée au bois à moitié immergé, pour maintenir leur précieuse embarcadère à flot et à portée. Ils savaient que la dernière chose dont ils avaient besoin était de rester coincés sur ce caillou pour toujours.
Et ce n'était nullement une exagération, car ce phare était aussi simplement posé sur un piédestal taillé pour l'occasion, que l'on pût croire qu'une main divine l'eût déposé ici même. Les rochers, soumis à la longue érosion du temps et des vagues, se tenaient comme des remparts aiguisés, dressés autour du morceau de terre.
La pluie glissait le long de leurs vêtements imperméables. Le contact avec une surface stable sous leurs pieds les réconforta, malgré l'inquiétante porte en bois de cette tour en pierre. Nulle autre lumière que celle trônant au sommet du bâtiment n'éclairait les environs. Et bien que ce fut la seule, elle était en tout point faible et peu chaleureuse. Les deux naufragés tenaient l'un comme l'autre une mallette blanche dans leur main droite. Ils ne prirent pas la peine de se parler pour que l'un s'avance naturellement vers l'entrée et s'engouffre vers l'inconnu.
À l'intérieur, ne s'y trouvait que de la poussière et des décombres inutiles en dessous des marches en colimaçons. Un miroir brisé tenait debout avec grand mal contre le mur cylindrique, où les escaliers tournaient pour monter toujours plus haut. Ils grimpèrent immédiatement pour rejoindre le premier étage, où ils trouvèrent bien peu de chose.
La visibilité était mauvaise à travers l'obscurité omniprésente et l'air était marqué par l'abandon et envahit par la poussière. Chaque respiration emplissait les poumons de particules irritantes et c'est avec une grande maîtrise qu'ils se contrôlèrent.
La raison ne jugea pas utile de rester plus longtemps à cet étage. La curiosité se manifesta à son tour, incitant à vérifier si une personne vivait ici. Ils aperçurent le reflet chaleureux et vacillant d'une lumière de bougie, jusqu'alors invisible à leurs yeux inadaptés à cette ambiance sombre. Celle-ci plongeait sur les marches et les attira vers l'étage supérieur. La surprise, elle, ne fut pas au rendez-vous lorsqu'ils aperçurent un vieil homme, à l'aspect fatigué et malade, les regarder avec lui aussi une avidité de réponse non feinte.
Les deux invités, inattendus et perdus, retirèrent leurs capuches dans un geste presque mimétique, découvrant de cette façon leurs visages.
Une jeune femme se présenta devant lui, le visage trempé et sérieux, tout en plantant son regard doux mais hypnotisant, de part sa profonde couleur bleue. Elle était accompagnée d'un homme, lui aussi jeune adulte, le visage sévère, les yeux sombres et le regard dur.
La femme prit tout d'abord la parole avec une voix bienveillante, presque envoûtante.
— Je vous prie de bien vouloir nous excuser cette intrusion dans votre humble demeure, nous avons été contraints de nous réfugier ici afin d'éviter la tempête qui sévit dehors.
Les mots coulèrent comme une goutte d'eau sur du verre. Son intonation était rassurante et son visage esquissa un bref sourire lorsqu'elle eut parlé.
—Vous êtes les bienvenus pour passer la nuit, voyageurs.
L'homme âgé qui habitait vraisemblablement dans ce vieux phare, parlait avec une voix qui trahissait son état physique fatigué.
—Nous vous remercions, vieil homme. Nous nous ferons aussi discrets que possible, car nous ne souhaitons en aucun cas troubler le repos d'un ermite, déclara le second interlocuteur sur un ton indifférent qui pouvait paraître hautain.
Toutefois, le vieil homme en question ne savait pas exactement ce qu'il percevait de ses deux convives. Il lui semblait que les apparences étaient trompeuses et que leurs êtres recelaient, comme à chaque être humain, une face cachée. Néanmoins, cela n'avait pas grande importance. Car leur présence ne saurait se faire ressentir.
Ils s'en iraient à peine l'orage finit.
Il était vrai, pensa le jeune homme sans laisser transparaître ses pensées, leur retard ne pouvait pas être toléré. Ils n'avaient pas l'intention de s'attarder plus longtemps que besoin.
Dès l'aube, ils repartiraient remplir la mission qu'ils avaient acceptée. Dès lors que le soleil pointerait le bout de son nez, leurs rames toucheraient de nouveau cet océan glacé, afin de les guider vers leur destinée.
Cela était inévitable.
Avec une lenteur qui démontrait l'âge et la santé de leur hôte, ils le virent descendre avec une lampe à huile tremblante dans sa main droite. Ouvrant le chemin à ses mystérieux compagnons, il éclaira l'étage inférieur d'une lumière pure et bienveillante.
La pièce avait comme un nouveau visage. Les étrangers ne reconnurent pas le sombre endroit qu'ils avaient grimpé juste avant. Des rangées de bibliothèque ornaient les murs, les toiles d'araignées recouvraient chaque étagères remplies de livres, comme un voile porté sur le savoir.
Au centre, se trouvait un grand bureau avec du vieux papier jauni, de l'encre, une plume et plusieurs cartes tracées, qui, à première vue, étaient incompréhensibles. Plusieurs croquis s'ensuivaient dans le même genre, sans pour autant éveiller quoique ce soit auprès des jeunes gens. Le vieil homme passa à coté de ses affaires pour épousseter le canapé des parasites poussiéreux qui vivaient à l'intérieur de celui-ci.
—Mes excuses pour cet endroit insalubre. Je ne m'étais pas préparé à recevoir du monde, déclara le vieil homme au phare.
—Cela ne fait rien, répondit le jeune homme. Nous ne comptons pas nous installer, mais seulement passer la nuit et cela ira très bien.
Sa compagne acquiesça sans rien ajouter. Ils avaient l'air d'être étrangement liés. Mais l'ermite n'aurait su dire de quelle façon.
Après leur avoir indiqué ce canapé rude et en mauvais état, il attendit brièvement qu'ils s'installèrent. La température du phare était agréable, chaude et couveuse. Le sommeil gagna rapidement tout le monde, mais seul le propriétaire du lieu avait montré son manque d'énergie. À vrai dire, les deux locataires doutèrent que l'homme puisse cacher la moindre chose au vu de son état. La vieillesse avait rongé le masque que tout Homme portait et utilisait en société.
Les rides creusées sur son visage accentuaient chaque sentiment qu'il ressentait. De plus, son regard était bien souvent vide, ou bien dénué de sujet sur lequel se porter. Ses iris bleus fatigués fixaient l'horizon, comme s'il était vaste, infini. Alors que la dure réalité lui rappela qu'il était enfermé entre des murs.
Entre des murs et à l'écart au milieu de la mer.
—Puis-je, si vous me ne trouvez point trop curieux, vous demander comment vous êtes arrivés ici ?
Un court silence s'en suivit, meublé par la flamme dansante de la lampe à huile. Pas une expression de la part de ses inattendus visiteurs, bien que la jeune femme lui répondit.
—Nous devons traverser la mer afin de nous rendre de l'autre côté de la terre, et tout ceci avant demain soir.
—Le temps qui vous est imposé est-il bien nécessaire ? Questionna l'homme, qui essayait de ne pas paraître indiscret.
—Nous ne pouvons accomplir notre tâche si nous arrivons trop tard. Et cela n'est pas concevable.
Ce fut cette fois ci le jeune homme qui lui donna sa réponse, non sans un certain ton sec. Il était clair qu'il ne voulait pas particulièrement entretenir une discussion avec leur hôte. Et celui-ci s'en rendit compte.
— Bien, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je serai là-haut si vous avez besoin de quoique ce soit. Prenez le temps de vous reposez.
Sur ces mots, l'homme au phare remonta les escaliers en respirant bruyamment sous l'effort. Quelques pas plus tard, le couple de visiteur entendit le grincement d'une chaise en vieux bois. L'homme venait de s'asseoir à sa place initiale. Ensuite, les deux jeunes gens posèrent leurs mallettes respectives de part et d'autre du vieux canapé, avant de s'y poser côte à côte.
Sans un mot, ils fermèrent les yeux, cherchant un précieux sommeil réparateur sans rêve. Un sommeil où seul le néant les attendait. Comme un immense gouffre qui, une fois franchit, leur permettait d'avancer le temps. Ils repoussèrent toute imagination débordante, menaçant de troubler leur repos par de viles images irréelles et corruptrices.
Non, seuls les souvenirs représentent les échos du passé. Les rêves eux ne font que s'y immiscer sans aucun droit, perçant la barrière entre réalité et fiction. Risquant ainsi de faire perdre la raison, d'enrayer la mémoire et de perdre le cœur.
Ils avaient atteint ce gouffre sans fond où le vide était omniprésent. Pas une lumière, pas une pensée. Il n'y avait rien ici, rien qui ne pouvait être perçu ou bien ressentit. Ce sommeil si profond était parfait pour l'esprit, lui offrant le repos nécessaire pour trier inconsciemment toutes les informations accumulées la journée. Et cela sans aucun effort, sans aucune présence. Dans un calme et une nuit parfaite.
Puis vint une étoile.
Deux étoiles.
La conscience reprit le contrôle.
Cinq étoiles, scintillantes au loin.
Les pensées ressurgirent.
Par la suite, elles affluèrent sans interruption, de partout, elles apparurent sans fin.
Jusqu'à recouvrir le voile du sommeil.
Jusqu'à ouvrir les yeux.
Les deux ensommeillés se réveillèrent sans l'aide d'un bruit quelconque, mais bien par l'éclairage jaunâtre qui baignait la pièce. La lampe à huile était posée devant eux, sur la table où se trouvait, vraisemblablement, les travaux de leur hôte. La curiosité prit le pas là où la sagesse avait échouée.
Le jeune homme se leva en premier, immédiatement suivit par son acolyte. Ses mains, propres et soignées, effleurèrent les papiers jaunis disposés en bazar sur le bureau. Une plume était trempée dans un pot d'encre, mais de la toile soulignait l'abandon de l'objet. Certains dessins semblaient représenter des cartes, notamment par des coordonnées notées au bas de la page. Enfin, la totalité des croquis représentait des points et des traits tracés avec une précision et une application remarquable.
La jeune femme, de l'autre coté de son compagnon, prenait en main avec prudence, les lentilles en verre posées au-dessus des croquis d'un télescope. L'appareil avait d'ailleurs le droit à plusieurs autres schémas sur sa structure et sur la succession des multiples lentilles qui constituaient son optique. Il n'en fallut pas plus pour supposer la passion de l'homme vivant dans le phare.
Il observait les étoiles et les astres depuis cet endroit isolé de toute civilisation.
Aucune lumière ne parasitait la vue du ciel étoilé. Aucun nuage ne stagnait très longtemps au-dessus de la mer, car le vent soufflait trop fort pour leur permettre de rester. C'était un endroit reculé des Hommes, lui permettant de rêver à plein temps.
Pourtant, la plupart des affaires étaient recouvertes par une épaisse couche de poussière, donnant la forte impression d'avoir été délaissées depuis fort longtemps. Et les deux curieux en déduisirent, non sans mal, qu'un élément inconnu pour eux, avait bridé la passion du vieil homme. Néanmoins, ils ne surent quoi en penser. Pour dire vrai, l'envie d'en savoir plus n'était pas irrépressible pour le jeune homme. Mais le sommeil les avait fuit, et désormais il leur fallait user de leur temps autrement. Et pour la première fois, ils se regardèrent, afin de se comprendre. Elle vit que cela ne l'enchantait pas, mais que cela n'avait pas d'importance. Après tout, quoiqu'ils apprennent, leur départ à l'aube ne sera en rien retardé.
Et en cela, ils étaient tous deux d'accord.
j'aime beaucoup trop ta façon de décrire les flammes... ton texte est parfait, juste je me demande quand même ce qu'il y a dans ces valises
· Il y a plus de 6 ans ·bones
Ahah merci ! Et tu sauras bientôt car je publie chaque jour une partie !
· Il y a plus de 6 ans ·Florian Lapierre
alors on verra demain :)
· Il y a plus de 6 ans ·bones
Lecture agréable, c'est juste assez long pour ne pas être trop court, haha
· Il y a plus de 6 ans ·Mario Pippo
Merci ! Niveau longueur j'essaye de m'adapter au format de la plateforme qui favorise, je trouve, des lectures assez courtes. Je ne publie donc pas tout directement pour éviter que ce soit rédhibitoire envers certains
· Il y a plus de 6 ans ·Florian Lapierre
Laissez couler l'encre :)
· Il y a plus de 6 ans ·Mario Pippo