Le piège

My Martin

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D'après un article du journal "Le Monde". Science & médecine.24 mai 2023 

Hervé Morin, journaliste  

 

 

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Proche-Orient. Première Guerre mondiale. Des pilotes d'avion remarquent des lignes dans le désert, sur plusieurs centaines de mètres ; elles évoquent les traînes d'un cerf-volant  

 

Au sol, de longs murets de pierre sèche, de moins d'un mètre de haut. Des enclos 

 

Les structures des zones arides tombent dans l'oubli  

 

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Grâce à Google Earth, la démocratisation des images par satellite permet le repérage des sites sur écran 

 

Mars 2010. Des photos 

Il y a dix ans, un millier de sites  

Aujourd'hui, six mille six cents. En Jordanie, Arabie saoudite, Arménie, Kazakhstan  

 

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Dernières années. Il s'agit de pièges géants. Des nasses de pierre, destinées à rabattre les hardes de gazelles vers une extrémité close, ceinte de fosses  

 

Ces cellules circulaires sont profondes de trois mètres ; le sable, l'effondrement des murets fermant le piège, les ont comblées 

 

 

CNRS. Maison de l'Orient et de la Méditerranée. Université Lumière Lyon 2. Rémy Crassard, archéologue préhistorien 

17 mai 2023. PLOS One, revue scientifique publiée en ligne 

 

Jordanie sud-est. Arabie saoudite nord. Deux pièges (2015). A proximité, des gravures tracées sur des pierres représentent à l'échelle, les constructions  

 

L'architecte conceptualise le piège. La gravure matérialise son projet 

Le piège est savamment construit, en tirant le meilleur profit des caractéristiques du terrain 

 

L'ensemble de la structure n'est visible que depuis les airs 

Même avec un GPS actuel, parcourir le site, effectuer un relevé, est malaisé 

 

Les plus anciens plans architecturaux. Datation 

-9 000 ans, pour le site jordanien. Plan gravé sur une stèle de calcaire blond 

 

-8 000 ans, pour le site saoudien (nord-ouest). Harrat Khaybar. Plan gravé sur un bloc de grès noir  

Autour de Khaybar, environ 917 pièges de formes et de tailles différentes -certains datent du Ve au VIIe siècle avant J.-C. En forme de portes, de triangles, de cerfs-volants, de cibles, de trous de serrure 

 

5 000 à 6 000 ans avant les premières cartes, dressées par les Sumériens, en Mésopotamie -Olivier Barge, cartographe. « Une culture maîtrisant l'écriture, avec une tradition d'archives, intégrée dans des réseaux d'échange »  

 

Pourquoi les gravures ? Trois hypothèses  

Il s'agit du plan de l'architecte 

ou un support de communication, pour organiser la chasse ; afin de rabattre le gibier, un effectif important est mobilisé  

ou une représentation symbolique. Au monde, les pièges sont les structures les plus anciennes, d'une telle dimension. Leurs concepteurs ont souhaité laisser une trace, pour la gloire du groupe ? 

 

L'archéologie préhistorique s'intéresse aux armes, aux pierres taillées pour la chasse ; les pièges géants constituent un nouveau domaine à documenter 

 

 

Châlons-en-Champagne (Marne). Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Vincent Riquier, ingénieur chargé de recherche 

Pour lui, les blocs gravés sont des plans. Des schémas  

 

En Europe -dont en France, en Champagne des vestiges de pièges ont été mis au jour. L'Inrap a le projet de cartographier ces structures, à l'échelle de la France métropolitaine  

 

Pièges en Allemagne. Au Japon 

 

La Scandinavie, en référence ; les paysages sont moins altérés par l'agriculture. Jusqu'au XXe siècle, les populations sami ont pratiqué ce type de chasse au renne 

 

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-10 000 ans. Au Néolithique, le basculement vers l'agriculture n'est pas uniforme 

Des populations, des groupes, maintiennent des pratiques, ailleurs disparues  

 

Les hardes sont capturées en masse. Comment gérer une telle quantité de viande ?  

Quel impact sur la biodiversité, sur la disparition des espèces ? Ainsi en Europe, l'aurochs -Bos primigenius. Au Néolithique et au Mésolithique (-15 000 à -5 000 ans), l'espèce sauvage est encore présente en Europe et en France 

Comment cohabitent les groupes humains, qui n'ont pas les mêmes moyens de subsistance ? 

Comment les sociétés s'organisent-elles, pour coordonner les efforts ; construire, exploiter, entretenir, des structures aussi étendues ? 

 

 

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22 février 2022. Jordanie sud-est  

Désert de Badia. Montagnes d'Al-Khashabiya, bassin d'Al-Jafr  

 

« South Eastern Badia Archaeological Project » (SEBAP)  

Octobre 2021. Une structure monumentale est découverte. Site JKSH P52 

VIIIe millénaire avant J.-C. -les débuts du Néolithique  

 

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Dressée debout, deux stèles à silhouette humaine, haute de 1,12 mètre pour la plus grande A côté du visage, est gravée une représentation d'un « cerf-volant du désert » 

 

La seconde stèle (70 cm) présente seulement un visage humain  

 
Rares représentations anthropomorphes, qui paraissent indiquer une fonction religieuse -des rites, pour les chasseurs de gazelles ? 

 

Une pierre d'autel rituel, associée à un foyer 

 

Des pierres, arrangés au sein d'une sorte de maquette miniature de « cerf-volant du désert » 

 

Un dépôt rituel de 150 fossiles marins -beaucoup, soigneusement rangés à la verticale 

Des pierres, de forme inhabituelle  

Des artefacts en silex -des outils ? 

Des statuettes, représentant des animaux 

 

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Archéologues du projet SEBAP. « Invoquer les forces surnaturelles, pour des chasses fructueuses et des proies en abondance »  

Les « cerfs-volants du désert » suggèrent « des stratégies de chasse massive, sophistiquées, inattendues à une époque aussi ancienne » 

Étudier le site, mieux connaître « les premières sociétés pastorales et nomadiques, ainsi que l'évolution de leurs stratégies de chasse » 

 

Lente sédentarisation des nomades du désert 

 

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Au Néolithique, ces structures sont fréquentes -en Arabie saoudite, Syrie, Turquie, Kazakhstan 

 

 

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Une dizaine d'années de fouilles archéologiques 

Du nord au sud, sur vingt kilomètres, le site comprend huit « cerfs-volants »  

Parfois les pièges sont organisés en chaînes de structures continues, ininterrompues 

Période néolithique. -7 000 av. J.-C. 

 

Deux (ou plusieurs) longs couloirs de pierres sèches convergent, en forme d'entonnoir  

Rabattre les hardes de gazelles vers des enclos semi-circulaires. Les animaux tombent dans les fosses et sont tués 

 

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A proximité des pièges, des campements d'habitations circulaires -vestiges de huttes semi-enterrées 

De nombreux ossements de gazelles, qui résulte du traitement des produits des chasses 

« Culture matérielle riche et diversifiée. Industrie lithique spécifique ». Culture Ghassanienne -en référence à un toponyme local 

 

Les chasseurs sont spécialisés. Ils ne chassent pas seulement pour leurs propres besoins, mais échangent avec leurs voisins 

 

A cette période, dans les proches régions du ‘‘Croissant fertile'', les communautés sédentaires villageoises pratiquent l'agriculture et l'élevage 

 

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Le sanctuaire est proche des pièges ; ces structures sont au cœur de la vie culturelle, économique, symbolique, spirituelle, des chasseurs 


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