Le Rap : Témoignage de la minorité muette

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Histoire courte du Rap

A la fin des années soixante-dix, la grève des pensionnaires invisibles de la Maison de France allait signer l'acte de naissance de ceux que les médias ont d'abord baptisés « les travailleurs immigrés ». Jusqu'à cette date, les immigrés, dont la plupart des constructeurs français connaissaient la docilité et l'efficacité au travail, participaient massivement à la production du pays sans jamais troubler le jeu politique. Pourtant, la conscience de classe, celle d'être une minorité oubliée au sein de la classe laborieuse, a conduit, la main d'?uvre obéissante et bon marché, à flirter avec les idées contemporaines, et à défendre la valeur de l'homme au travail. Réunis autour de groupements autonomes, médiatisés en masse pour la première fois, les « travailleurs immigrés » demandaient avant tout du « respect », et un minimum « d'équité ». Leurs enfants, héritiers de cette lutte, et métisses égarés entre deux cultures, ont donc choisi de « continuer (un) combat » (Ideal J), qui s'est déplacé sur un terrain politique, miné pour les uns comme pour les autres.


Au début des années 1980, les « travailleurs immigrés » majoritairement musulmans, que le pouvoir de gauche avait essayé de représenter en « pantins « instrumentalisés par la République Islamique d'Iran » (au dire du Premier Ministre de Mitterrand, Pierre Mauroy) ont redoublé d'effort pour une reconnaissance sociale, jusqu'à la très célèbre marche des beurs dans Paris, qui a vue des millions de français découvrir le visage souriant de l'ombre de la République. La naissance de l'association SOS Racisme est venue parachever leurs actions. Malgré tout, les Français ont toujours marqué leur incompréhension devant les mouvements et les actions des héritiers de l'immigration. Intimement lié la seconde génération des immigrés français, un mouvement artistique a germé dans le flou de la rébellion des « beurs ». Parallèlement aux revendications politiques de SOS Racisme, et aux revendications sociales des syndicats s'est développée une culture en provenance directe des États-Unis, la culture Hip-Hop. Le Rap a d'abord été une musique très marginale en France, qui n'était pas très fréquemment diffusée sur les ondes, mais le succès des premiers groupes de Rap comme Carte de séjour a marqué un tournant dans le paysage culturel français. Carte de séjour évoquait dans ses singles les difficultés de tous les jours liées à la condition de « beur », des histoires d'amour difficiles jusqu'au recalage en force des boites de nuit privées, sujet qui a toujours alimenté le discours des rappeurs, marque de la souveraine puissance de l'autochtone sans doute.


Au milieu des années 90, le Rap, en tant que musique de contestation, a connu son âge d'or avec les deux grands groupes de Rap que sont IAM et NTM, originaires respectivement de Marseille et de Paris. Au discours d'IAM moralisateur et plus abstrait pour ses références aux mythes, comme aux films de Gangsters ou encore à Star Wars, l'école NTM oppose des lyrics qui font état de la confrontation directe avec l?État et surtout avec la Police. Sans entrer dans les détails, ni la caricature, si le groupe IAM donne une leçon de vie au « petit frère » dans le single du même nom, NTM « constate » les problèmes liés à l'intégration. Les condamnations pleuvent sur le groupe parisien qui s'est alors défendu micro en main dans le titre « On est encore là ».


Parallèlement au succès des deux grands géants du RAP français, un jeune chanteur fait parler de lui, il s'agit de Kery James du groupe Ideal J, qui dans son titre « HARDCORE », fait un état des lieux très violent de la situation dans le monde et porte sa critique aux limites de la liberté d'expression et de l'intolérance.


Plus tard, Kery James est revenu sur ce passé sulfureux, et converti à l?Islam, il prône désormais des valeurs de tolérance et de respect, mettant la famille et la foi au sein de sa rhétorique, sans pour autant tomber dans les affres de l?Islamisme. Cette opposition s'est perpétuée entre les tenants d'un discours moralisateur, qui pense peut être que leur condition les invite à jouer le rôle de porte-parole de la minorité muette, et les rappeurs plus décomplexés comme Booba (le plus connu d'entre eux) qui n'accepte en aucun cas ce rôle, et qui donne le mauvais exemple pour assouvir les désirs d'un public qui ne demande que ça.


Il ne s'agissait pas ici de faire un historique très succinct du phénomène du Rap. Mais si le Rap n'exprime pas toujours la plus grande tolérance à l'égard de certaines minorités, de la Police, ou du président, ne représente-t-il pas une force d'expression extraordinaire pour une partie de la nation française que l'on a l'habitude de brimer ou de blâmer ? Cet art dans lequel se retrouve toute une génération, dont le discours est palpable et réel, ne se limite pas aux versets homophobes et à la soupe anti-flic.


Et c'est surtout le témoignage de ceux que « 15 % de Français voudraient bien voir virés » (3e ?il, hymne à la bataille), de ceux que l'on croise dans le journal de 20 heures dans sa partie « faits divers » et dans les reportages sensationnalistes qui ont fait le succès du Front National. Quand le président Nicolas Sarkozy fait un amalgame honteux entre l'immigration et l'insécurité, on comprend pourquoi la France brûle dans un titre de « Sniper », on comprend beaucoup moins bien les émeutes de 2005, mais peut-être que la liberté d'expression est un premier pas vers l'intégration et contre la violence


Mazdak Vafaei-Shalmani @Banlieue Tv

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