Le raté

Mathieu était un spécialiste, le spécialiste en fait, de la photo ratée.

Là où tant d'autres photographes s'étaient fait un devoir de faire de belles photos réussies, jolies, flatteuses, lui s'était fiat au contraire le représentant des photographies ratées, des clichés flous.

Au début de n'était pas un choix bien sûr. Il avait eu l'intention, comme tout le monde, de réussir ses photos. Mais un manque manifeste de chance, ou de talent peut-être, avait dû lui faire changer ses plans. Car tous ses clichés, systématiquement, étaient loupés. Mal cadrés, flous...irrémédiablement loupés.

Il avait fini par se faire une raison, par accepter ce fait. Et même à les aimer ses photos moches. A en être fier.

Et puis ça faisait marrer les gens. C'était par ailleurs original, ça sortait de l'ordinaire. La rareté fait la valeur...

Il avait donc décidé un jour de rater sciemment ses photos. Enfin plutôt de ne rien changer à sa façon de faire mais de s'attendre à un résultat raté. Et chaque fois l'objectif était atteint, c'était très satisfaisant !

Il finit par se faire connaître avec ses photos ratée, à se faire un nom. On commença  à venir le voir pour se faire tirer le portrait. Les gens moches d'abord, complexés. Et les beaux aussi, par mimétisme. Ses paysages pris à contre-jour prirent de la valeur. 

Et puis c'était arrivé enfin : des articles dans les journaux  et une expo dans une galerie renommée. La consécration !

Et puis après ce grand moment, alors qu'un riche industriel lui avait commandé pour des milliers d'euros de photos pour décorer son duplex à Cannes, le drame : une photo réussie ! La toute première de sa vie ! Il avait d'abord espéré que c'était une erreur, un bug sans conséquence. Mais ça avait continué, sans qu'il ne puisse rien y faire : il faisait belle photo sur belle photo. Plus de flou, plus de contre-jour, plus de cadrage raté.

Du beau, désespérant, barbant, décevant !

De dépit, il décida d'arrêter la photographie. Et, se rappelant un cendrier de fête des mères abominable, il décida de se mettre à la poterie.