Le réfractaire

brooder

Récit d'anticipation

PREMIERE PARTIE : L'ENJEU


L'énergie du désespoir

rend le malheur

comme espérance


Chapitre 1


   Repoussé à l'extérieur, il n'avait pût entrer dans le centre commercial. Le tourniquet gardé ne s'était pas débloqué au moment du Scan. Il n'était pas armé et possédait sur sa carte de quoi vivre une semaine entière. Il avait longé les caisses où sortaient les clients, leurs achats dans les caddies qui sortaient eux des sas automatiques. A la sortie de la galerie il avait dût justifier de sa visite sur l'écran pour que la porte s'ouvre. Le contrôleur ne pouvait lui expliquer le refus d'entrée et avait fait remonter l'information.
Sur le parking, les autos pneumatiques avaient allumées leurs phares et mis en service leurs essuie-glaces car une pluie noire tombait en encrassant les pare-brises. Arrivé près de sa voiture, elle ne le reconnue pas et ne s'ouvrit pas non plus. Exaspéré, il sortit son portable qui ne s'alluma pas. Il comprit instantanément ce qui se passait.
Il était venu faire ses achats en sortant de son travail. Il était chargé de la maintenance des réseaux dans une entreprise de conception de systèmes de purification de l'air. Le produit numéro-un équipait les bureaux dans tout le quartier d'affaire de la ville. Il habitait à la lisière extérieure des faubourgs-sud en direction des usines de purification de l'eau. Sa maison jouxtait la forêt enclos par la barrière de la ville.
   Avec la pluie, il ne pouvait pas aller bien loin à pied. La météo de la pollution avait annoncé une nuit exécrable. Il ne pourrait rester dehors longtemps. Il venait d'être licencié ; sa carte de crédit, sa voiture et son portable seraient inutilisables le temps qu'il trouve un autre emploi. Il ne s'était jamais demandé comment faisaient les gens qui venaient d'être licenciés. A la télévision ils n'abordaient jamais ce problème et entre collègues l'ambiance n'était pas à la morosité.
   Maintenant qu'il était sur le parking sous une pluie noire et que les gens le bousculaient pressés de rentrer chez eux, il n'avait qu'une envie, se cacher. Il longea le mur gris du centre commercial à la recherche d'un abri isolé pour réfléchir. A part quelques portes solidement fermées le mur, le long du parking était nu et sans abri. Il se dit que le derrière devait recevoir les marchandises mais arrivé à l'angle du bâtiment, il n'y avait plus de trottoir, seulement un enclos ou poussaient un maigre gazon et des arbres épineux qui ruisselaient sous l'averse. Il s'engagea sur la terre détrempée et marcha hagard dans la boue. Il suivait le mur mais maintenant c'était dans une nuit sans lumière.

   Le mur n'en finissait pas et il marchait difficilement dans la boue glissante. A un moment, un mur lui barra le chemin, il ne sût quoi penser ni où aller. Ce mur n'était pas très haut mais il devait sauter pour en toucher le haut. Il s'agrippa et s'accouda au sommet. De l'autre côté, il y avait toujours le gazon détrempé mais plus loin il y avait de l'activité. Le centre commercial semblait plus profond que long. Basculant de l'autre côté, il reprit pied et couru presque, toujours à la recherche d'un abri.
   Il déboucha au derrière du centre sur un parking exactement identique où il avait garé sa propre auto. Il ne connaissait pas cette partie du centre et il aurait été bien étonné d'apprendre que son magasin avait deux faces. De la même façon, il y avait là toute une cohorte de clients, les uns garant leur auto, l'autre sortant, tirant leur caddie à bout de bras. Avec la pluie les gens portaient leur imperméable transparent presque tous du même modèle. Lui-même ruisselait de cette pluie grasse et sombre sur ses chaussures recouverte de boue.
   Il se fondit dans la foule, honteux et exalté car conscient qu'il vivait un commencement d'aventure qui le mettait hors norme.

   Il lui fallait trouver un endroit rapidement ou il pourrait trouver un peu de calme. Il longea la façade en baissant la tête sous sa capuche. Comme du côté qu'il connaissait, il y avait une entrée et une sortie où les clients se pressaient. Nulle paix en ces lieux. La pluie chaude redoublait et l'air se faisait de plus en plus lourd à respirer. Sans son portable, personne de connaissance à appeler. Les gens l'ignoraient malgré ses allers-retours le long de la façade. Il avait été sûrement repéré par la surveillance. Il n'avait jamais eu affaire avec la sécurité et ce qu'il en savait ne le rassurait pas du tout. Il voulait seulement attendre que la pluie cesse pour rentrer à pied chez lui.
   Il avait trouvé un abri contre la pluie sous le sas de consigne des caddies. Les clients ayant fait leurs achats remettaient à la consigne leur caddie dans une ouverture du centre ou ils étaient avalés sur un tapis roulant. Il y eu une agitation à la sortie du centre. Des gardes juchés sur leur rouleur électrique fendaient la foule. Ils devaient être à sa recherche. En colère, il s'engouffra avec les caddies sur le tapis roulant.
   A l'intérieur du bâtiment, le tapis roulant tournait à angle droit en descendant. Il n'y avait qu'un tunnel éclairé où les caddies avançaient. Paul était accroupi sur le tapis, effaré par son geste. Il n'y avait que la place du tapis et il ne pouvait que suivre les caddies. La descente n'en finissait pas jusqu'à une trieuse ou les chariots passaient sous un sas. Les peignes de la trieuse le palpèrent. Il en ressorti et fût dirigé dans une salle où s'entassaient toutes sortes d'objets qui allait de la poussette aux vieux matelas ainsi que des vélos hors d'usage. Quand il y fût évacué les lumières de la pièce s'éteignirent. A tâtons il chercha une porte de sortie.
   La porte de sortie était signalée par une lumière verte. Il se retrouva dans un couloir encore plus sombre, il tourna à droite et longea les murs. Le couloir avait des ramifications, il prit une fois à droite et une fois à gauche, il arriva devant un ascenseur, il l'appela. A l'intérieur, les boutons indiquaient neuf étages, il appuya sur le un, l'ascenseur descendit.
   Quand les portes s'ouvrirent il se trouva dans une salle éclairée vivement ou régnait une grande agitation. Des gens parlaient fort les yeux rivés devant des écrans d'ordinateurs. Il entendait des ordres donnés anxieux entrecoupés par des rapports d'ordinateurs encore plus impérieux. Paul se dit qu'il n'était pas étranger à cette agitation. Il cria à la volée un « bonjour » qui fît retourner sur lui les employés du centre commercial. Paul vis arriver un homme en chemise blanche avec une cravate noir qui se rapprochant lui demanda qui il était et se qu'il faisait là. Paul, précautionneux, lui répondit qu'il était dans le centre commercial lorsqu'il pris un ascenseur chercher les toilettes. L'homme loin d'être surpris lui demanda d'appeler sa banque pour qu'on l'identifie. Paul sachant être coincé, lui répondit qu'il n'avait plus de téléphone.

   L'homme se retourna vers un subalterne et lui donna l'ordre d'amener le forcené à l'infirmerie. Il le suivit ne sachant pas ce qu'il allait arriver et presque sans qu'il s'en rende compte ils lui firent une piqûre et le forcené ne se rappela plus de rien.

   Il était enfermé dans une petite pièce avec un lit mais il ne dormait pas. Il y avait de la lumière et il luttait contre l'inconscience. Il voulut sortir, la porte s'ouvrit, un homme à l'extérieur la gardait. Le forcené lui demanda ou était les toilettes, il l'y amena. En sortant, le forcené demanda au gardien ce qui allait arriver: il allait être reprogrammé.

Chapitre 2

Rassuré, il se coucha et sombra dans un sommeil remplit de voix :

- Il dort ?

- Apparemment il ne sait aperçu de rien.

- Que sait-on de lui ?

- Une vie sans histoire.

- Il a été enregistré ?

- Pas encore.

- Il y en a encore !

   Dans la salle de supervision, tout était rentré en ordre. Les ordinateurs de contrôle s'était tût dès que le contrôleur à la sortie du magasin avait vidé son rapport de la journée. Le dénommé Paul Vyn allait faire l'objet d'une étude clinique puis son dossier irait rejoindre celui du département des préjudices. Alors seulement son dossier serait complet pour enregistrement.
   Dehors la pluie avait redoublée et le vent s'était levé. La foule se faisait moins pressante et le parking s'étant peu à peu vidé laissait place aux engins de service qui rassemblaient les caddies qui n'avaient pas été mis à la consigne par les clients pris sous la tourmente.
Dans l'infirmerie, l'alarme du robot manipulateur se mis en marche après que son bras eu dégagé une seringue d'épanchement que le garde s'empressa de recueillir dans un haricot.

   Il réveilla Paul Vyn avec un sourire crispé. Il allait subir un prélèvement. L'infirmier était tout jeune, c'était sûrement la premier fois qu'il pratiquait. Il lui demanda de se déshabiller. Paul allait se défaire de ses chaussures boueuses quand l'infirmier lui indiqua juste le haut.

   L'infirmier approcha la seringue du bras dénudé de Paul et elle se mit à aspirer son sang à travers la peau. L'infirmier dit a Paul qu'il pourrait partir après être passé au services des préjudices.

   Ils suivirent un couloir étroit ou ils ne rencontrèrent personne et l'infirmier le fît asseoir sur une chaise dans une salle carrée ou il y avait une autre chaise en face de lui. Il resta seul un moment avant que deux gardiens, un homme et une femme entrèrent rapidement dans la pièce en fermant la porte.
L'homme s'assit en face.

-  Je vous ai vu vous enfuir dans le sas. Que voulez-vous ?

- Mais rien, j'ai eu peur, c'est tout.

La femme debout rentra dans une rage folle.

- Peur ! j'ai vu votre rictus quand vous vous êtes enfui.

Paul déconcerté ne sût quoi répondre. La femme devint hystérique.

- Vous êtes un malade, un danger public.

L'homme pris la parole calmement.

- Nous avons vérifié votre banque. Vous avez été licencié, vous n'avez plus de revenu. Vous avez essayé de voler de la nourriture ?

- Je n'ai pu appeler personne, mon portable est coupé mais j'ai encore du crédit.

- Faux, votre compte est à zéro.

Paul stupéfait éclata de rire. La femme lui sauta au visage et le renversa. Son collègue froidement l'enserra en lui dénouant les bras autour de Paul.

- Excusez-vous, lui cria le gardien.

   Paul honteux se releva et se jetant aux pieds de la gardienne que son collègue maintenait sur la chaise qu'il avait remise sur ces quatre pieds cria à travers sa colère qu'il n'avait rien fait mais était prêt à réparer. La femme se releva en riant et le couple sortit de la pièce laissant Paul seul.

   Paul resta figé sur la chaise, consterné par quoi il avait assisté. Il resta prostré jusqu'à ce qu'il entende des bruits de pas dans le couloir. C'était des pas de femme secs et impératifs. Une fille entra dans la pièce et en tournant sa tête vers Paul sa queue de cheval se fixa sur son épaule.

- Bon, ce n'est pas le diable tout ça. Comment vous sentez-vous ?

- Mais de quoi parlez-vous et qui êtes-vous ?

- Je suis l'assistante de Monsieur Duchemin, notre comptable. Il veut bien vous aider. Il a téléphoné à votre banque et elle est d'accord pour remettre votre téléphone en service donc vous pourrez appeler un dépanneur pour enlever votre voiture du parking. Les voitures qui ne roulent plus ne peuvent rester chez nous. Voilà votre portable, il fonctionne.

   Paul retrouvant son sourire avec son portable se leva aussitôt de la chaise et tendit la main à la jeune femme. L'assistante souriante le raccompagna. Elle lui montra le chemin jusqu'à une porte qu'elle ouvrit en sortant de l'ascenseur ou elle lui avait transmis les coordonnés d'un dépanneur. Il se retrouva dans la galerie du centre ou le contrôleur le laissa passer sans vérification. Il se trouvait sur le parking ou un déluge inondait le revêtement. Il serrait son portable avec la carte du dépanneur et il prit conscience qu'il n'avait plus de crédit. L'air était irrespirable. Il ne savait plus de quel côté du magasin il était. Il rentra dans le centre et alla jusqu'à la porte par laquelle l'assistante l'avait fait sortir, elle s'ouvrit. A l'intérieur, deux hommes discutaient. Il leurs demanda de quel côté il se trouvait. Les hommes interloqués, le regardèrent avec amusement. Paul ne sût s'il se moquait de lui ou s'ils ne savaient pas que le centre avait deux faces. Il resta immobile face aux deux hommes. Paul chercha à les faire parler. Il leurs demanda combien de temps allait durer la tempête et s'il connaissez Monsieur Duchemin. Duchemin était le comptable et Paul cherchait maintenant du travail. Les deux hommes lui expliquèrent qu'il devrait s'adresser au siège deuxième étage pour cela.

   Paul prit l'ascenseur et appuya sur le deux. Les portes s'ouvrirent sur un hall d'accueil ou une réceptionniste lui dit bonjour et ce qu'elle pouvait pour lui.

- Je cherche du travail.

- A cette heure ! vous avez rendez-vous ?

- C'est assez pressé, Monsieur Duchemin a parlé à ma banque pour remettre mon portable en marche mais mon crédit est à zéro.

- Vous voulez parler à Monsieur Duchemin ?

- J'aimerais qu'il appelle ma banque pour ma voiture.

- Je vais voir.

   Paul attendit ne sachant pas ce qu'il allait arriver. La réceptionniste revint et dit que Monsieur Duchemin avait appelé sa banque pour qu'il enlève sa voiture du parking coté nord. Elle lui montra le bon ascenseur. Elle prit l'ascenseur avec lui et il se retrouva dans la galerie accompagné de la réceptionniste qui lui serra la main.

   Dehors c'était toujours la tempête mais il vît sur le parking sa voiture qui le reconnue. Il réfléchit à sa situation et à ce qu'il allait faire maintenant. Il avait été licencié sans raison qu'il pourrait justifier par la suite. Si sa banque lui avait redonné son portable et sa voiture c'est qu'elle se sentait responsable de sa situation. C'était comme ce magasin avec deux faces identiques connues de personne sauf de ceux de l'étage du siège. Il retourna à l'intérieur du magasin, pris un ascenseur et appuya sur le trois. L'ascenseur ne bougea pas. Paul sortit et chercha les escaliers qu'il trouva à côté de l'ascenseur. Il dévala les marches jusqu'au troisième palier. Il ouvrit la porte et tomba nez à nez avec une dame qui le regardait effrayée.

- Qui êtes-vous ?

- Je cherche du travail.

- Mais que faite-vous là ?

- Je me suis perdu.

- Que cherchez-vous ?

- Quelqu'un qui puisse me renseigner.

- Je peux peut être vous aider, je suis la directrice.

- Comment se fait-il que ce magasin ai deux cotés et que personne ne le sache ?

- Mon ami, posez-vous la question de savoir qui vous êtes et de rester à votre place.

- C'est comme ça que j'en saurai plus ?

- Prenez plutôt vos jambes à votre cou si vous ne voulez pas que j'alerte la sécurité.

- Dites-moi au moins à quoi rime ce mur ridicule ?

- Sachez Monsieur que ce mur ridicule comme vous dites, vous survivra malgré tous vos efforts pour oublier votre inconséquence. Bonsoir Monsieur.

   La directrice referma la porte. Paul était de plus en plus anéanti. Cette vieille femme jouait-elle la comédie ou n'aurait-il dût jamais sauter de l'autre côté du mur et braver la tempête qui s'annonçait et rentrer chez lui à pied.
   Force était de constater que cette histoire de centre commercial ayant deux faces commençait à le hanter. Il avait sa voiture et pouvait tranquillement rentrer chez lui attendre la fin de la tempête mais il se dit aussi que son inconséquence comme l'avait désigné la directrice, lui avait ouverte sa porte. Bien sûr il lui fallait trouver un travail mais bien plus important encore il lui fallait dévoiler le secret des deux faces identiques.
   C'était simple puisque la directrice l'avait menacé de lui envoyer la sécurité il n'aurait qu'à retourner au siège dire au comptable qu'il n'avait sût retrouver sa voiture, repérer le couloir qui menait aux deux différents ascenseurs pour savoir lequel accédait à l'étage de la directrice et la surprendre encore.

Chapitre 3

   Paul s'éveilla brutalement. Il ne se rappelait pas avoir rêvé et ses draps n'étaient pas en désordre. Il se leva machinalement et mis en marche la machine à café. Comme d'habitude, il réveilla le Domocomputer. Qui de sa voix synthétique la plus pur lui dit qu'il était en retard pour son travail. Paul ne réagit pas. Il resta froid. Le Domo s'inquiéta pour la santé de Paul et lui proposa un diagnostic. Paul réfléchissait en buvant son café. Il demanda au Domo de laver ses affaires d'hier et de jeter les chaussures. Paul n'avait pas faim mais il sentait qu'il devait manger. Dans la poêle sur les plaques, il cassa deux œufs avec du bacon. Le bruit de la cuisson le réconforta. Il mangea avec appétit.

- Bon appétit, lui souhaita le Domo.

- J'ai alimenté votre compte avec votre réserve. Votre employeur m'a fait parvenir votre avis de licenciement. Il a été plutôt chiche avec votre préavis, je trouve. Je suis désolé pour vous Paul. Il y a quelque chose que je puisse faire pour vous Paul ?

- Consulte les plans d'accès du centre commercial.

- Oui, et alors ?

- Il n'y a rien d'extraordinaire ?

- Extraordinaire, comment ça ?

- Qu'y a t-il côté sud ?

- Rien qu'un accès pour le service, je suppose.

- Programme-moi l'accès, je vais sortir.

   Dehors la pluie avait cessé, le ciel était gris et laissait prévoir une journée étouffante. Paul n'avait plus qu'un but, revoir la directrice. Il se sentait désespérément seul, dépositaire d'un insensé secret. Cela le tourmentait tellement qu'il était prêt à tout pour être sûr qu'il ne rêvait pas.
   Il se laissa guider en direction du centre. Il avait laissé la bretelle d'accès du périphérique très tôt par une bifurcation qu'il ne connaissait pas. Il était dans la banlieue-est de la ville, un quartier résidentiel. Les avenues étaient larges et droites. S'il n'y avait pas eu le navigateur, il n'aurait eu aucune idée du lieu où cela le menait. Il tourna à gauche et vit au loin le centre commercial. Les accès étaient identiques à ceux qu'il connaissait mais tout y étaient comme dans un miroir. Il se gara et se dirigea vers l'entrée. Il suivit la galerie et repéra la porte de service. L'ascenseur était à gauche, il n'y avait personne. Il l'appela, la porte s'ouvrit et il appuya sur le troisième sous-sol. L'ascenseur s'ébranla. Quand les portes s'ouvrirent à nouveau, il se retrouva dans un salon qui aurait pût être celui d'un appartement. Avant qu'il ne réagisse, une voix synthétique lui demanda qui il devait annoncer.

- Paul Vyn.

- Un moment, s'il vous plaît.

Après une minute un homme d'un certain âge sortit par une porte, visiblement énervé.

- Qui êtes-vous ?

- Je suis venu hier Monsieur. Je viens m'excuser.

- Vous excuser, mais pourquoi ?

- Je crois que j'ai effrayé une dame.

- Effrayé, comment ça ?

  Paul avait apparemment désarmé l'homme. Paul lui raconta sa rencontre avec la direction sans lui parler de ses soupçons. L'homme rentra dans l'ascenseur suivit par Paul. Il appuya sur le zéro. Paul rassuré, pris la parole.

- Qui pourrait croire qu'il y a tant d'étages sous ce centre. Extraordinaire, vraiment !

- Oui, maintenant tout est intégré.

- Cela s'appelle manger les pissenlits par les racines ! Ironisa Paul.

- Voyons Monsieur !

- Pardon, mais qu'est-ce que j'aimerais faire partie de vos équipes.

- Qu'elle est votre spécialité ?

- La maintenance des réseaux.

- Faite moi parvenir votre candidature.

- A qui dois-je l'attentionnée ?

- Herbert Vivant.

- Merci beaucoup.

   A la sortie de l'ascenseur les deux hommes se séparèrent. Une fois dans sa voiture, Paul pensa que maintenant il avait tout son temps.
   Il se dirigea vers le quartier de la gare. Il s'arrêta dans le parking des cours stationnements et après un dédale de couloir ou les rubans piétons le conduisaient vers des escalators qui descendaient au centre de la gare, il commença à apprécier sa liberté toute neuve. Avec son licenciement, il avait laissé derrière lui tous ses problèmes qui finalement ne le concernaient pas plus que ça. Il n'avait plus d'accrochages avec les choses et les éléments pouvaient bien se révolter, elles ne le détourneraient pas de sa révolte contre leur ordre. Machinalement, il entra dans un buffet ou à cette heure encore peu de monde était assis. Il commanda à boire et eu faim. Il décida de manger. Il se remplissait le ventre, dégustant la viande et avalant les légumes. Il prit un café, paya et sortie s'asseoir sur un banc dans le square de la gare. Il y avait de l'animation mais les gens pressés ne stationnaient pas longtemps à la même place. C'était le début de l'automne. Il faisait encore chaud et le ciel chargé augmentait la moiteur à chaque averse. Les buis autour du banc embaumaient sous la moiteur et cela calma Paul. Tout chez lui était paradoxal.
"Pénible, tout cela était pénible", pensa t-il.
   Sa seule certitude était qu'il allait vers une monstrueuse désillusion mais s'il s'arrêtait d'avancer il ne ferait qu'en avancer l'échéance. Il aurait voulu faire une pause, reprendre son souffle mais l'air lourd envahissait ses poumons malgré lui et lui déchirait ses alvéoles. Il voulait crier de douleur mais il ne pouvait recracher le dioxyde de carbone qui séchait sa bouche. Il se leva rapidement pensant marcher pour mieux respirer. Il suivit le boulevard ou passait le tramway ne regardant pas autour de lui les passants le dévisageant déconcertés tout autant que lui par tant d'absurdités autour d'eux.
   Paul savait lui que cette absurdité n'était que le premier cercle d'un piège qui n'avait rien de gratuit et qui maintenant lui avait ouvert ses portes dans l'espoir qu'il s'y perde définitivement. Il marcha un moment au hasard et enfin fatigué, il prit le chemin de retour jusqu'au parking et à sa voiture.

Chapitre 4

- Quelles sont mes chances pour ce poste ? Demandait Paul au Domo.

- Excellentes.

- Mais …

- Ces entreprises ont un Turnover important. Elles consomment beaucoup de personnes dans l'espoir de maximiser leurs profits à court terme. Le taux de sortie à 6 mois est de 80%.

"Cela valait bien les jeux de hasard", se dit Paul.

- Envoie ma candidature, commanda Paul au domo computer.

   De toute façon, la motivation de Paul n'était pas financière. Il avait vraiment envie de s'amuser maintenant.
   Le lendemain, il retourna au buffet de la gare. Le temps s'était amélioré avec une brise légère qui rappelait le printemps. Il s'assit sur son banc ou une vieille femme défraîchie donnait à manger aux pigeons.

- Toujours aussi con ces pigeons, risqua Paul à la vieille dame.

- Oh ! ne croyez pas cela, lui répliqua la vieille dame.

- Il veille sur nous au contraire, continua celle-ci.

- En chiant partout ?

- Oui, jeune homme. Ils ont pût eux se détacher des apparences, plus rien ne leurs fait peur, même pas le ridicule, vous voyez !

Paul perplexe se souvint d'une anecdote :

- J'en ai vu un qui semblait mourir sous mes yeux un jour. il avait semblé me remercier de m'être interposer contre le soleil. A l'ombre, il avait parût pour la première fois en paix quand il a définitivement fermé les paupières.

- Oui, peut-être. Lui concéda la vieille dame.

  Dégoutté, Paul s'était levé et avait filé faire sa marche et était vite rentré chez lui s'isoler ou le domocomputer lui avait fait une sélection de films et de musiques.


   Le lendemain encore, le Domo lui annonça qu'il avait une réponse provenant de "La Victuaille Intégrée" concernant sa candidature. Il avait rendez-vous à la comptabilité avec Monsieur Duchemin cet après-midi.

   Il ne mangea pas et arriva au centre commercial à midi, il flâna dans la galerie et entra même dans les rayons. A une heure et demie, il ouvrit la porte de service dans la galerie et chercha quelqu'un pour lui dire ou se trouvait le comptable. Il erra dans les couloirs déserts à la recherche de quelqu'un pour le renseigner. Il franchit une porte et se retrouva dans le poste de contrôle ou il n'y avait pas un bruit. Il se risqua à nouveau un "bonjour" sonore. Un homme affalé sur un fauteuil ministériel face à un écran se leva et demanda pour quoi c'était.

- J'ai rendez-vous avec Monsieur Duchemin.

- Vous êtes ?

- Paul Vyn.

- Une minute.

Il décrocha le téléphone et demanda la compta. Il l'annonça et hocha la tête.

- On vient vous chercher, Lui dit t-il.

Il attendit une minute et l'assistante de Monsieur Duchemin sortit de l'ascenseur et lui tendit la main.

- Mademoiselle Eléanord, enchantée Paul, appelez-moi Sophie.

- Merci beaucoup Sophie. Excusez-moi pour tout se dérangement mais vraiment je n'ai pas pu résister.

Sophie éclata d'un fort rire de gorge ouvrant toute grande sa bouche ou ses dents blanches éclatantes laissaient voir un bout de langue rose. Elle secoua sa tête et sa queue de cheval vola d'une épaule à l'autre.

- Marc vous attend, je vous accompagne.

Elle appela l'ascenseur qui s'ouvrit aussitôt et appuya sur le cinq. Dans l'ascenseur elle souriait toujours en le dévisageant.

- Alors ces problèmes de voiture, c'est réglés ?

- Oui bien sûr. Ce n'était pas vraiment des problèmes mais simplement un contre temps.

- Vous nous avez fait peur vous savez ?

- J'imagine oui, cela a dû être terrible pour vous.

- En vérité, on y est habitué. On règle beaucoup de problèmes vous savez !

- Oui j'imagine.

La porte de l'ascenseur s'ouvrit et Paul respira. A cet étage, il n'y avait pas de couloirs. L'ascenseur arrivait directement dans une immense pièce découpée par des baies vitrées en des bureaux avec table, chaises et écrans.

- Venez, j'assiste à toutes les réunions de Marc.

- Bien sûr, siffla t-il entre ses dents.

Sophie frappa à une porte d'une baie et ouvrit la porte. Il entra, Sophie lui tenant la porte, il lança au hasard son bras en direction du comptable, il lui serra la main et Paul se présenta.

- Marc Duchemin, le contrôleur de gestion. lui répondit t-il.

Il s'assit l'invitant à en faire de même sur une chaise en face de lui. Paul attendit que Sophie prenne une chaise et aussitôt qu'ils furent assis le comptable attaqua.

- Bien, tout cela a pris une excellente direction finalement.

- Ah bon ! répliqua Paul surpris.

- Oui, nous avions un poste en attente correspondant à votre spécialité. Nous n'avions pas ouvert la sélection et finalement cela nous semble une excellente opportunité d'en affiner le profil en profitant de votre expertise.

- Oui effectivement, arriva Paul à dire le souffle coupé.

- Bon bien sûr, le contrat sera souple au début en fonction de vos préconisations. Vous me comprenez, j'espère ?

- Oui, bien sûr.

- Bon, voilà tout est réglé. Je vais vous faire une présentation rapide de "La victuaille Intégrée" pour que vous compreniez bien ce que l'on attend de vous.

   Il se lança dans une explication historique circonstanciée et contextuelle tortueuse de l'entreprise mais heureusement elle fût suffisamment courte pour que le cerveau de Paul ne tombe pas tout de suite dans un gouffre de perplexité. A la fin, le comptable lui demanda s'il avait des questions mais la seule qui intéressait Paul était de savoir ce qu'il y avait aux autres étages.

- Là nous tombons dans le fond du problème qui vous concerne et je ne voudrais pas vous submerger d'informations inutiles. Sachez simplement qu'en surface il y a le poste de contrôle, au deux: le siège, le trois est privé, le quatre : la machinerie, le cinq ou nous sommes: l'administratif, le six et le sept ; le conditionnement et le stockage, au huit se trouvent les tunnels par ou arrivent les marchandises et ou repartent les surplus, et enfin le neuf ou vous aurez votre bureau, pour ainsi dire le cerveau de toute l'installation: le S.C.C.O.

- Le S.C.C.O ?

- Le Système Central Coordonné Ordonné.

- Et quel sera mon travail ?

- Expertiser l'ensemble du S.C.C.O. pour en prévoir les évolutions futures et surtout préconiser ces évolutions. Voilà, voyez avec Sophie pour les enregistrements. Au revoir Paul.

   Paul se leva comme un ressort, tendit la main à Marc, dit merci et suivi Sophie qui souriante tournait la tête de droite à gauche et de gauche à droite, sa queue de cheval frappant ses épaules sous son fin pull crème de laine dont Paul voulait savoir s'il était aussi doux qu'il l'imaginait en le caressant.
    Elle emmena Paul dans son bureau le fît asseoir et souriante lui demanda quand il pourrait démarrer la mission. "Le plus tôt possible, dès demain si c'est possible ?" lui répondit t-il le plus stupidement possible. Elle éclata de rire et répondit que cela pouvait attendre Lundi.

- Voilà, je vous fais parvenir les contrats dès ce soir et vous pourrez voir à votre rémunération que "La Victuaille Intégrée" ne se moque pas de vous.

   Il prenait la direction de l'ascenseur quand il se retourna. Il voyait Sophie entrer dans un box vide. Depuis qu'il avait franchi le mur, il s'était isolé des autres et de la vie qu'il avait toujours menée. Rien n'était plus naturel. La seule personne qui lui semblait connaître dans ce nouveau monde était Sophie, elle était son guide. Il se dirigea vers le box ou elle était maintenant assise derrière le bureau et entra sans frapper.

- Il y a un problème Monsieur Vyn ? Lui lança-t-elle sur un air de défi.

- Non, je voulais simplement vous remercier. Tout cela est inespéré pour moi et aussi étrange.

- Étrange ! Qu'est ce qui est étrange Paul ?

- Et bien par exemple, la façon dont je vous ai rencontré Sophie.

- N'en parlons plus, Paul.

- C'est à dire que je vous dois beaucoup si on réfléchit bien.

- Ce n'est rien Paul. je ne fais que mon travail.

- J'aimerai justement en savoir plus sur votre travail et aussi sur vous Sophie.

- Ah ! Ceci par contre est étrange Paul.

- Je vous assure il faut que je vous parle mais pas ici, voulez-vous que nous allions quelque part, Sophie ?

- J'ai rendez-vous, lui répliqua Sophie.

- Où ? insista Paul.

- Eh bien, j'ai rendez-vous chez le coiffeur.

- Oh non ! j'espère que vous n'allez pas couper votre queue de cheval, elle vous va si bien ! se lamenta Paul.

- Et bien si !

- Laissez-moi vous accompagner, il y a sûrement une autre solution. Implora Paul.

Chapitre 5

   Sophie, surprise et amusée par l'attitude de Paul fût séduite et accepta sa proposition. Elle avait fini sa journée et allait partir. Elle avait rendez-vous chez le coiffeur de la galerie du centre commercial. En attendant l'heure, ils allèrent dans le self boire un café.

   Assis face à face, ils s'oublièrent et restèrent à manger sur place. Paul aux anges avait d'abord pût toucher de ses doigts les cheveux de Sophie et après, comme il se doit l'avoir raccompagné chez elle et qu'elle l'a fait monter, il pût rompre définitivement son isolement dans le lit de Sophie.
Dans la nuit comme il rentrait chez lui, Paul repensait à ce que Sophie lui avait appris sur le centre commercial. Son mystérieux coté caché ne l'était que pour les trois quarts de la population qui mystifié par le quart restant, vivait ignorant dans un monde entièrement simulé par la minorité.
    C'était le dernier jour de la semaine, il avait le week-end pour réfléchir à la proposition. Le domocomputer l'accueillît en le félicitant. Apparemment, les contrats avaient été envoyés. Paul était en même temps écœuré et excité. Il pressentait qu'il était tombé sur un secret qui le dépassait et en réaction ceux qui avaient les clefs lui avaient fait une proposition qui le mettait sur un pied d'égalité. Le domocomputer le sortit de sa réflexion.

- C'est une proposition intéressante, vous ne trouvez pas Paul ? Le salaire est très intéressant et l'évolution dans une telle entreprise serait une réelle chance.

   Le domo computer commençait à l'énerver. Quand il intervenait dans ses réflexions, Paul était toujours surpris qu'une machine soit de telle capacité. Il consulta les contrats sur l'écran. Effectivement, c'était alléchant. Il interviendrait à un haut degré de responsabilité. Ses interlocuteurs n'étaient autres que les chefs de services. Même s'il avait eu le choix, il n'aurait pas refusé la proposition.
   Fatigué, il s'allongea sur son lit. Les yeux ouverts, il laissa son esprit vagabonder. Il écoutait les bruits de l'appartement ; la soufflerie de la climatisation, les claquements de la pluie qui s'était remise à tomber sur les volets, le bip sonore d'un message à l'ordinateur. S'était t-il endormi ? Les yeux toujours ouverts, il eut l'impression que le temps dérapait. Comme dans une réverbération, il entendit le bip de l'ordinateur et plus rien n'exista. Dans un maelstrom il vit sortir de l'ordinateur un vortex de sauvagerie qui d'abord à l'autre bout de l'appartement l'envahit à partir de son oreille et rentrant dans son crâne, le dévasta. Il ne voyait plus rien qu'une pâle lumière jaunâtre loin derrière un long tunnel et sa conscience se concentrant glissa jusqu'à sa bouche dans un enfer de souffrance. Dans un dernier effort, son cerveau renouant avec la réalité se remit à fonctionner normalement. Il sortit de ce cauchemar et se releva brusquement de son lit désorienté. Il se dirigea vers la salle de bain, l'impression d'avoir les cheveux dressés sur la tête.
   Dans le salon, rien n'avait changé. Paul avait soif et il but plusieurs verres d'eau à la suite. Le silence ouaté fût interrompue par la voix de l'ordinateur.

- J'ai un problème pour maintenir la température. Je fais intervenir la maintenance.

   Paul était en guerre mais il ne savait pas contre quoi ni qui était l'ennemi. C'est tout juste s'il arrivait à se l'imaginer. Sa vie sans histoire se passait malgré lui. Les événements se succédaient mais il n'en était que le piètre témoin, ne témoignant que de son impuissance. Dans sa course folle, le temps lui avait laissé des pistes que Paul savait déchiffrer. S'il arrivait à temps pour prendre part aux festivités, c'était pressé de toute part et débordant de perplexités tant le spectacle lui paraissait incompréhensible.

   Les choses comme ses pensées lui échappaient. Son emprise se limitait à une illusoire compréhension des systèmes automatiques des machines que son ambition lui laissait prendre pour la réponse à ses questions. Tout ce que l'on lui avait appris était d'écouter les machines sans même se douter qu'elles n'étaient que le reflet de son intérêt mais sans y répondre. Ce qu'il avait sous les yeux était son inachèvement et loin d'y mettre fin, il s'était contenté de s'en débrouiller avec ses doutes. L'anonymat qui lui servait de passe partout, l'avait précipité dans un néant impalpable ou l'illusion confondait le réel.

   Maintenant il était pris au piège et s'il n'agissait pas pour briser la bulle de l'illusion, le reflet que lui renverrait son propre jugement le réduirait à quelque chose de déjà inerte.

Il lui faudrait maintenant ne plus se contenter de suivre le cours des choses mais de justifier sa présence dans le corps de sa futur entreprise.

DEUXIEME PARTIE : LE COMBAT

Seul compte le chemin ...

Chapitre 1

   Son bureau, loin d'être un espace de lumière était au fond de la salle du S.C.C.O. Il n'avait pas accès à la machine proprement dit mais il pouvait sentir sa présence à travers les cloisons. Quand il dialoguait avec elle, il savait qu'elle faisait de même avec des centaines de personnes simultanément. Ainsi, si Paul pouvait ressentir presque charnellement ses interactions avec le S.C.C.O, la machine, elle, n'était en rien remise en cause sur ses jugements.

   Paul n'y était pas encore depuis un mois qu'il était déjà surnommé « l'araignée ». Il y était tapit comme une araignée au fond de sa toile. Il faisait front rejetant comme autant de peccadilles les rumeurs des bureaux supérieurs, devant le seul problème de comprendre un tant soit peu comment pouvait fonctionner la machine à la porte de son propre bureau. Sophie lui avait retrouvée les accès aux documentations d'origines. Paul rassemblait le puzzle pour reconstituer l'ensemble du système depuis le début et toutes ses modifications ajoutées au fur et à mesure de son fonctionnement. Le S.C.C.O aurait pût lui-même effectuer cette analyse mais seul un œil humain pouvait donner un sens au système. L'ensemble représentait des millions de lignes de programmes, schémas et autres procédures qu'il épluchait toute la journée jusqu'au soir ou il retrouvait enfin le guide pour sa propre rédemption, Sophie, encore elle. Paul aurait été heureux de laisser son travail à la porte du centre commercial mais il y avait Sophie qui était sa seule passerelle entre sa vie d'innocences et maintenant qu'il avait éprouvé l'inanité de son existence. D'ailleurs les discussions avec Sophie le renvoyaient toujours dans un gouffre de sidération devant l'énorme piège ou il évoluait. Le chemin qui l'avait conduit jusqu'au pied même de ses propres doutes quant aux biens fondées de sa raison, semblait un véritable chemin de croix. Son guide finirait bien par le mener devant celui qui lui expliquerait le pourquoi d'une telle malice.

   En attendant, Paul ignorait tous les sarcasmes en diagnostiquant le S.C.C.O. Il rejoignait Sophie le soir et diagnostiquait alors les employés de «la Victuaille » pour deviner ceux qui « ne savaient pas », ceux qui « savaient » et surtout, qui participaient à la conspiration qui le transformait peu à peu en animal de laboratoire.

   Il avait perdu l'usage de la parole ou plutôt, il ne pouvait exprimer simplement son malaise et comme un cobaye dans un labyrinthe, il parcourait les étages du centre commercial allant de bureaux en bureaux, toujours pour la raison officielle de se « renseigner » mais réellement pour trouver des « contacts » dans son combat situationniste.

   Tout semblait sans issue jusqu'au jour ou Sophie lui parla de sa rencontre avec Madame Vivant. Sophie s'était trompée d'étage et malgré le dispositif de sécurité implanté après le passage de Paul, elle s'était retrouvée dans les appartements privatifs. Cela réveilla les tourments de Paul.

Excité, Paul lui demanda si elle lui avait parlé.

- Oui, nous avons discuté un moment. Répondit placidement Sophie.

- Elle a parue effrayée ? Continua Paul.

   Sophie ne compris pas la question de Paul. Pourquoi voulait t-il que Madame Vivant soit effrayée de lui avoir parlé ? Paul ne sut quoi répondre et dut admettre que leur rencontre n'avait rien d'effrayante malgré l'inefficacité du système de sécurité.

   Cette conversation avec Sophie réveilla la curiosité de Paul au sujet de la vielle dame. Il se rappela ce qu'elle lui avait dit sur son inconséquence et la justesse de ses propos. Elle « savait » mais Paul ne pouvait imaginer qu'une telle femme puisse tremper dans de telles manipulations.

- Tu ne me demandes même pas ce qu'elle m'a dit ? Remarqua Sophie.

- Et de quoi avez-vous parlés ? Lui demanda Paul ailleurs.

- C'est la mère du directeur, elle est un peu folle. Elle se comporte comme si son fils était son mari. Lui apprit Sophie.

- En général, c'est les femmes qui considèrent leur mari comme leur enfant. Remarqua Paul.

- Oui, mais Madame Vivant est âgée, elle perd un peu la tête. Répondit Sophie, elle continua :

- Monsieur Vivant la garde ici pour la surveiller. Il l'enferme presque.

Plus tard, à son bureau, Paul questionna le S.C.C.O.

- Quelle est la raison d'un espace privé dans les étages du centre ?

La réponse du S.C.C.O. le surpris :

- La fonction commerciale et populaire de « La Victuaille Intégrée » à donner aux créateurs du centre l'idée que le client devait se sentir dans nos espaces comme chez lui et ainsi est née un espace réservé entièrement à l'image de nos consommateurs.

- Le S.C.C.O. ne s'occupe absolument pas de cet étage ?

- Je l'ignore, répondit sèchement la machine.

Dans la tête à tête avec la machine, Paul ne voulait pas passer pour celui qui ne comprend pas, ainsi il n'insista pas et feignit d'ignorer lui aussi.

Chapitre 2

   Chez lui le domocomputer de Paul commençait à présenter des symptômes inquiétants. Paul n'avait plus rien à lui dire. Le Domo prenait lui-même toutes les initiatives dans les plus subtils désirs de Paul. Allant même à lui faire couler un bain avant son retour chez lui le soir. Il semblait encore plus heureux que Paul quand il reçut les premiers versements sur le compte bancaire. Le Domo lui dit que la banque lui avait proposé un prêt immobilier très intéressant. Paul n'avait pas le projet de déménager. Il dit au Domo que cela n'avait aucun intérêt mais celui-ci avait fait remarquer que la maison de Paul était à la périphérie de la ville et n'était donc pas sans danger. Quand il demanda de quel danger faisait allusion le Domo, la télévision retransmis une émeute en direct dans un secteur proche de chez lui. L'eau potable était de plus en plus chère et devenait maintenant un objet de révolte. Tout à vrai dire était sujet de complications. L'énergie était illimitée et tout passait par transformations. Aliments, habits, loisirs et tout ce qui faisait la vie faisait l'objet de tractations commerciales automatiques que les humains devaient suivre pour supporter les contraintes environnementales.

   Ainsi le seul fait de pouvoir faire une ballade librement en forêt comme le faisait Paul était considérer comme un luxe par beaucoup de gens. Sous aucun prétexte il n'aurait voulu déménager. Mais ce qui inquiétait le plus Paul au sujet de son domocomputer avait été la question de celui-ci sur la présence au non dans la maison d'une pièce dont le Domo n'aurait pas eu connaissance. Devant une telle remarque Paul avait cru que le Domo faisait même maintenant des plaisanteries. Mais il fît vite la relation avec le S.C.C.O. Paul fût immédiatement affolé. Jamais dans aucun de ses emplois antérieurs, il n'y avait eu de relations entre son Domo et les systèmes informatiques de ses employeurs. Bien sûr cela n'avait rien d'impossible mais les Domo se devaient de suivre les consignes domestiques et ne prendre d'autres initiatives. Ainsi Paul comprit que le Domo suivait des consignes supérieures à sa propre volonté et que dorénavant il était complètement sous la coupe de « La Victuaille ».

Chapitre 3

   Un matin découvrant le planning de la journée, était indiqué une convocation avec le médecin de la société « dès l'arrivée au bureau » était t-il signifié. Le médecin l'attendait dans la pièce même ou la sécurité l'avait interrogé voilà trois mois de cela.

   En sortant de cette convocation, Paul aurait été bien incapable de dire qu'elle impression il avait donnée au médecin. Pourtant il lui avait dit des choses qu'il n'aurait même pas avouées à Sophie. Il avait parlé de sa situation à son arrivée dans la société et de la proposition de « La Victuaille Intégrée » qui avait été pour lui une vraie bénédiction. Quand le médecin lui avait demandé quel était son état d'esprit à cette période, Paul avait hésité mais il lui parla des rêves qu'il avait fait ; des voix qu'il avait entendues dans son sommeil ici même et de l'étrange vision qu'il avait eu à son appartement. Le médecin l'écoutait et l'observait pendant qu'il cherchait ses mots. Paul était un peu honteux de se découvrir de cette façon mais il ne voyait pas ce qu'il y avait de mal à faire des rêves. Quand même un peu inquiet, il affirma au médecin que cela n'avait en rien altéré ses capacités de travail. Insistant, il voulut l'avis du médecin. Celui-ci, son regard braqué sur Paul, semblait effaré. Paul était conscient de la gravité de ces symptômes et des risques de les évoquer au médecin. Cependant il était de bonne foi et le médecin lui parla de la possibilité de le soumettre à l'approbation après un examen « d'intégration ». Cela réconforta Paul qui accepta.

   Le soir même de cette convocation alors qu'il avait invité Sophie chez lui, Paul s'emporta au sujet de la façon qu'il existait des personnes suffisamment en place pour non seulement le faire travailler ou non mais encore pour juger de ses moindres états d'esprit.

   Naturellement, lui avait fait remarquer Sophie, tu fais un travail intellectuel et comme il t'a jugé le corps, il a jugé ton esprit. Pas du tout, lui avait rétorqué Paul. La vérité c'est qu'il existe deux sortes d'hommes, les reconnus et les officiels.

- Les officiels se battent pour les murs et les reconnus se battent pour l'honneur. Jamais un reconnu ne cherchera à forcer un autre à travailler ou non.

Après un silence, Sophie avait dit :

- Paul, il faut que je te le dise.

- Quoi ? Fît Paul.

- Marc est en train de m'entreprendre.

   Sophie voulue sortir dans la forêt alors qu'il était tard. Il y avait un peu de vent roulant les premières feuilles mortes. L'air était doux déjà un peu vif. Ils marchaient dans les allées du parc autour de la résidence de Paul. Elles étaient éclairées par les bornes solaires reversant l'énergie du jour. Paul avait honte et se sentait comme une bête traquée. Sophie à ses côtés paraissait comme un objet sexuel à ranger dans sa table de nuit. Plus il la regardait, plus elle se dévoilait et le laissait sans aucun goût. Seul il aimait marcher dans la forêt, maintenant Sophie l'ignorait et semblait l'emmener encore plus loin dans sa solitude.

   Paul savait qu'il était isolé des sphères décisionnelles du deuxième étage. Il en subissait un stress croissant de jour en jour. Le pire était l'inintérêt que ses collègues lui apportaient. Son surnom fusait derrière son dos et le paralysait ne le laissant plus qu'à reprendre sa place devant son ordinateur. Il devint sa seule porte de sortie et travailla à comprendre quelles extensions apporter au S.C.C.O.

   Un jour la machine lui avoua qu'elle n'ignorait en rien l'intérêt stratégique du troisième étage et voulait même que Paul réitère son isolement. Cela n'avait rien de compliqué pour Paul qui s'exécuta feignant de ne pas comprendre les instructions du système. Il comprit ainsi qu'il devait disparaître des registres du S.C.C.O pour que son travail soit un succès. Il demanda même à Sophie les budgets prévisionnels pour l'année en cours et converti son salaire en perte nette faisant ainsi son travail passer comme nul. Il serait aussi tôt considéré comme démissionnaire mais il préférait cela que de ce morfondre indéfiniment à coté de cette bête immonde qu'était le S.C.C.O.

Chapitre 4

   Paul était sur la tombe de ses parents. Sa mère était morte alors qu'il avait 9 ans, emportée par une de ces maladies étranges dont on ne sait rien sinon qu'elles étaient sûrement causées par l'accumulation de polluants dans l'environnement. Son mari, le père de Paul, n'avait pas longtemps survécu à la mort de sa femme, il avait été emporté dans un accident de la circulation. Paul resta seul sans frère ni sœur, ne pouvant compter que sur de vagues parents lointains qui l'avaient placé en famille d'accueil. Il avait surmonté ses difficultés en se plongeant dans ses études puis dans son travail qui étaient son oxygène. Malgré de faibles revenus il y trouvait tout ce dont il avait besoin ; réconfort et assurance. Il aimait son environnement artificiel comme une seconde mère et n'aurait été en rien à l'encontre des ordres qui lui étaient donnés par sa hiérarchie. Comme il s'y attendait, il avait été mis à pied à la fin même de la semaine ou il avait bouclé selon lui son travail sur le S.C.C.O. Personne ne s'en était inquiété, la machine seule avait bouclé les détails de son licenciement. Il avait dit à Sophie qu'il s'absentait pour régler des affaires de famille.

   Ce temps libre tombait bien. Il devait s'occuper d'une gamine de 11 ans dont la grand-mère qui était tombé malade avait la responsabilité en temps normal. Gloria était une fille qui habitait avec une communauté de migrants installés près de chez Paul de l'autre côté de la clôture dans la forêt. Comme les bêtes sauvages qui s'approchent des habitations l'hiver arrivant, ils étaient venus près de la ville avec les premiers froids. Ils habitaient des baraquements de fortune tout en restant du coté campagne des grillages. Ces migrants vagabondaient le reste de l'année sur les routes de campagne, travaillant à l'occasion à des travaux agricoles.

   Depuis qu'il avait connu l'incertitude de l'inactivité, Paul avait pris conscience qu'il ne connaissait du monde que son travail. Son mode de vie le faisait aller puis revenir de son travail et le reste du temps, excepté quelques excursions en centre-ville pour les achats, il ne faisait que tourner en rond.

  Depuis que les moyens de locomotions étaient devenus hors de prix, les gens ne sortaient plus guère de leur ville et entreprenaient des voyages seulement dans leur région. Seule une minorité voyageait dans le monde et c'était ceux-là que l'on voyait à la télévision présentant leurs voyages pour faire rêver ceux qui restaient bloqués chez eux. En cette dure époque, l'aventure était plus que jamais au coin de la rue.

   Ainsi Paul lors d'une de ses balades en forêt découvrant un camp où vivaient des migrants, fût interpellé par une gamine qui lui demandait de l'argent. La gamine délurée, rouspéta quand Paul lui demanda pour qui elle le prenait.

- Ayez pitié d'une pauvre orpheline Dit-elle en jouant la souffreteuse.

- Aie pitié d'un pauvre chômeur qui va bientôt prendre ta place, répliqua Paul.

   Ils étaient une bonne centaine sous des bâches plastiques par petits groupes sur les bords du chemin allant vers l'usine de dé-salaison. La petite insistante lui demanda quelle heure il était. Paul était gêné de répondre à la fillette sous le cercle des yeux d'un groupe d'hommes qui déjà convoitaient tout ce que Paul portait sur lui. Penaud, il avoua ne plus trop savoir qu'elle était l'intérêt pour elle de savoir l'heure. Par contre il pouvait lui promettre de se revoir. Il rentra chez lui en ayant plus rien à faire. Il passa le reste de la journée seul avec comme projet d'avenir de revoir Gloria. Ainsi il revint le lendemain emportant avec lui un paquet de barres chocolatées. Les campeurs étaient toujours au même endroit et ils semblaient l'attendre. Il y avait un homme âgé devant un feu de bois qui fît signe à Paul de s'approcher. Il était inquiet de savoir qui étaient réellement ces gens. Le vieille homme ne paraissait pas deviner son inquiétude et lui dit qu'il pourrait donner ses barres à la petite s'il veut bien se renseigner sur une place en dispensaire. Il savait de quel ostracisme vivaient les migrants qui refusaient de se fixer. Entre la ville et la campagne, seule la forêt abritant les limites de la ville faisait foi des derniers restes d'humanité commune. Paul promis de trouver le dispensaire le plus proche.

Chapitre 5

   Ainsi cet après-midi-là, le Lundi, Paul avait promis à Gloria de l'emmener voir un film. Sa grand-mère lui avait raconté l'histoire d'Alice au pays des Merveilles et Gloria voulait voir l'histoire. Paul avait vu au complexe de cinéma du centre commercial, qu'il passait un des premiers films en relief avec justement l'histoire d'Alice. Il y emmena Gloria. A la sortie, ravie elle voulut manger une glace. Ils allèrent à la cafétéria de la galerie du centre. Gloria subjuguée par le décor de la galerie était intenable voulant tout voir de ce qu'il y avait dans les boutiques. Elle posait d'incessantes questions sur l'utilité de tel article électronique et sur les prix de telle robe, de paires de chaussures et sur tous les articles qui l'intéressaient.

Au self, Paul lui offrit une pêche Melba qu'elle engloutit en se mettant de la crème Chantilly plein le visage. Rassasiée, elle se calma et avoua à Paul son désespoir de vivre dans la forêt sous des abris de fortune.

- Vivement que je sois grande pour me marier avec un homme riche, dit-elle à Paul qui avait le cœur serré.

- Personne n'est assez riche pour s'offrir tout ce qu'il voit, lui répondit Paul qui commençait à devenir inquiet de la tournure de la conversation.

- Ton amoureuse est riche ? Lui lança Gloria.

- Comment sait tu que j'ai une amoureuse ? Lui demanda Paul.

- T'es seul ? Insista Gloria.

- Je n'ai pas à répondre à tes questions, répondit Paul de plus en plus inquiet.

- C'est vrai que tu travailles ici ? Continua Gloria.

- Oui.

- Ou ça ? Continuait t-elle.

- En dessous, répondit Paul.

- Grand-mère va mourir, affirma Gloria.

Paul pensa que cette gamine était vraiment impossible. Quand il la regardait, il pensait à sa propre enfance. Il ne savait pas si par elle c'était son passé ou son présent qui l'interpellait.

Une pensée lui fît écho « Le supérieur de Sophie l'entreprend ».

Vint s'asseoir à la table voisine, Marc Duchemin, le comptable. Il fît signe de la tête à Paul qui ne pût l'ignorer. Duchemin se leva et vint parler à Paul :

- La Victuaille Intégrée a fait une bonne affaire avec toi Paul. Nous sommes prêts à te reprendre si t'acceptes de te soumettre aux examens d'intégrations.

- Merci Marc, je n'oublierai pas ce que tu fais pour moi, lui répondit Paul.

Duchemin se tourna vers Gloria.

- Au revoir Mademoiselle.

Il tendit la main à Paul et retourna à sa table commander un café.

- Ce mec pue, affirma Gloria.

- Laisse tomber Gloria, veux-tu Lui commanda Paul.

   Le lendemain, ils allèrent rendre visite à Diane la grand-mère de Gloria, au dispensaire. Elle était atteinte de plusieurs tumeurs mais les médecins avaient bon espoir. Leur diagnostic dépendait d'indices que seule Diane pouvait rendre plausible. Ces indices issus des méandres de la mémoire de la grand-mère pourraient lui rendre la vie possible à condition que celle-ci renonce à sa vie de bohème.

   Paul remis en rentrant Gloria aux bons soins de son oncle. Gloria lui lança énervée que ce ne fussent pas son oncle mais le remercia de sa patience.

   Le troisième jour, le Mercredi, Gloria voulu que Paul l'invite chez lui. Gloria voulait prendre un bain chaud et essayé les habits pour l'hiver que lui avait acheté Paul l'avant vielle à la galerie marchande. Elle ajouta :

- Tu sais, je vais bientôt devenir une femme alors il faut que j'apprenne à me faire belle.

Paul vaincu amena gloria chez lui. Elle se lava, essaya ses vêtement chauds et ensuite s'amusa avec le Domocomputer qui, Paul le crût, failli perdre la tête aux demandes de Gloria qui s'amusait à lui faire confondre une orange et la ville dont elle voulait qu'elle lui montre ses couleurs.

Le Jeudi, ils retournèrent au dispensaire ramener au camp la grand-mère qui en colère jurait qu'elle n'avait jamais aussi mal mangé.

Chapitre 6

   Les examens de Paul se déroulaient dans une bâtisse à l'autre bout de la ville. Il avait été réconforté d'y trouver d'autres patients venus pour se soigner. Il avait été vague quant à sa propre présence dans la clinique.

   Au début il avait rempli des séries de questionnaires sur sa personnalité qui selon les médecins leurs permettraient d'adapter les soins. Rapidement il administra un traitement nécessitant un délai de surveillance. Dès lors il fût laissé libre dans les bâtiments. Il savait que sa conscience allait changer et qu'il n'y aurait plus rien pour faire machine arrière. Jour après jour il se fondait dans la masse des autres patients se sentant revivre. Le feu de sa colère s'estompait en même temps que s'apaisaient ses courses folles au-dessus. Il lui fallait oublier ses rancunes et tirer son énergie du vide qui l'habitait maintenant. C'était en lui et autour de lui. C'était parfois des gouffres, parfois des murailles. Comment c'est venu ; un trop plein ou une noyade et alors seul c'était plus possible et puis il y avait les contingences aussi. Alors il a bien fallu qu'il se raconte une histoire, faire comme s'il n'y était pour rien, que c'était plus fort que lui, que c'était la première fois et sûrement la dernière. Il voulait bien porter le chapeau de l'autre, il y prenait un certain plaisir. Il en rajoutait même pour son plaisir. Rien n'était trop beau pour l'autre. Il se connaissait trop bien, lui et les autres. Cela ne pouvait pas être le fruit du hasard, tout allait s'expliquer. Ce qu'il faisait là, la raison de son inconséquence. Ce n'était pas seulement pour guérir ses blessures, il devait y avoir une autre raison. La preuve c'est qu'autour de lui, la vie continuait comme avant. Mais elle avait un autre visage, le visage de l'éternel. Il ne l'avait pas oublié mais les circonstances faisaient que c'était déplacé ou au contraire trop prévisible dans ce lieu. Toujours imprévisible pour lui, il se faisait pour une fois domestiqué. C'était imprévisible. Il avait l'habitude de donner de sa personne et il était prêt à se faire à tout, à tout admettre même pour un peu d'espoir.

   Ce n'était pas vraiment le lieu de l'innocence, il a bien fallu qu'il se l'admette mais comment faire pour continuer le jeu quand même. Ce lieu marquait son échec. Pire que tout, cela semblait être de sa propre volonté, il était à la vue de tous. Pourtant dans cet hôpital, ils venaient tous de lieux différents, leurs parcours ne se ressemblaient pas mais ici il n'y avait plus aucune différence, tout était semblable et ne se distinguait aucunement. Il essayait de pendre au mur des peintures qu'il faisait à des ateliers mais elles perdaient vite leurs couleurs. Rien ne laissait trace très longtemps. Il fallait qu'il fasse de gros efforts de concentration pour se souvenir de ses intentions.

   Peu à peu l'instant s'évanouissait. Le temps hoquetait. Très vite il perdit pied ; et si tout n'était pas désespéré. Cela le désolait. Le sens n'y étant plus, il comprit que le désespoir n'était en fin de compte qu'un masque des bonnes manières. La vérité nécessitait autre chose qu'une mollesse de bon aloi.

   Il n'y eu plus de gouffre ni de muraille mais seulement des monstres qu'il contemplait sans les entendre. Ainsi la vérité demeurait une évidence malgré toutes les bonnes intentions de sa volonté dominant vents et marée. Il semblait bien que tout cela ne mène nulle part ailleurs qu'à tourner perpétuellement dans une farce sans nom.

   Cela ne pouvait pas continuer ainsi, il fallait que l'histoire prenne enfin son envol pour trouver une issue qui sauve les apparences. Quelque chose pour retrouver son souffle en quelque sorte, pour deviner dans qu'elle circonstance il lui en avait été enlevé. Les différents emprunts soulevaient en lui des relents ignorés et suscitaient des mouvements brusques et sauvages, le poussant plus loin encore dans la nuit.

   Seul souvent devant son assiette, le ventre se remplissant, l'appétit se satisfaisant, il lui arrivait pendant la sieste, la conscience au repos, de se retrouver. Cela ne durait pas mais il ouvrait les yeux enfin en paix. C'est venu en s'accumulant, les traces se sont transformées en preuves et les preuves en évidences. Depuis toujours les nuages voilaient son ciel, les nuages à l'horizon étaient noirs et il fallait bien qu'il avance. Averses après averses, Paul rentrait dans le déluge.

Chapitre 7

   A sa sortie de la clinique, Paul avait rendez-vous avec le Directeur Herbert Vivant pour un entretien d'embauche. Le rendez-vous était en début d'après-midi au bureau du directeur à l'étage du siège. Il était vaste mais naturellement la lumière y était artificielle. Sur la table de travail régnait un inquiétant désordre. Sur la bibliothèque, sur toute une série de photo apparaissait la mère du Directeur à tous les âges. Cela mît Paul mal à l'aise plus que le désordre du bureau.

- Et bien jeune homme, on peut dire que vous avez de la chance, commença le directeur.

- Il ne se serait rien passé sans votre intervention Monsieur, répondit Paul.

- Oui bien sûr, malgré les difficultés de l'époque, il reste quelques opportunités à saisir semble t-il.

Il était vrai que les jours présents étaient pénibles. Le monde vivait un marasme depuis une éternité et plus personne ne se risquait à pronostiquer des jours meilleurs, pensa Paul.

A nouveau il risqua une boutade en présence du Directeur.

- Les gens pervers finissent dans la perversité.

- Allons jeune homme, personne ne mérite l'enfer que nous sommes en train de vivre par la faute de nos ancêtres. Haussa le ton le Directeur.

- J'ai l'impression que certaine personnes profitent de tout ce que leurs parents leur ont laisser, ironisa Paul.

- Qu'est-ce que vous voulez dire ? Le Directeur hésitant ne savait plus quoi dire.

- Vous vouliez me voir Monsieur le Directeur ? Continua Paul, content de son effet.

- Oui. Nous allons vous donner une autre mission Paul.

Le Directeur avait l'air de se ressaisir à la pensée de ce contrat. Cela rendit Paul hésitant à son tour.

- Voilà, cela signera la confiance que j'ai mise en vous malgré votre franc parlé. Peut-être l'ignorez-vous mais tout n'est pas sous le contrôle du SCCO au centre. Il y a un espace qui je dois l'avouer m'est réservé, le troisième étage. Je voudrais que dans un proche avenir, le SCCO gère tous les espaces du centre commercial pour prévenir tout incident.

- Quels types d'incidents Monsieur ? Demanda Paul.

- Je ne veux plus de zones blanches sur tout le centre.

   La mission que venait de lui proposer le Directeur était clair et rentrait parfaitement dans les compétences de Paul. Décidément ce Directeur avait l'air d'être de ceux qui voulaient tout contrôler même leurs plus proches relations. Que pouvait t-il se reprocher pour ne pouvoir faire confiance en personne. Les photos sur sa bibliothèque donnaient des frissons d'indignation à Paul. Il avait la nausée et la mit sur le compte des photos.

   Les contrats étaient prêts et le Directeur les lui fît signer devant lui. Le destin de Paul était plié, il ne lui restait plus qu'à faire des prières et n'y plus penser.

   Le nouveau bureau de Paul était à l'étage du siège à l'autre bout de celui du Directeur. Il avait accès à toutes les données de la société pas seulement aux documentations techniques. Il pouvait consulter tous les rapports des ressources humaines mêmes les plus confidentiels. Des milliards d'informations de tous ordres que Paul lisait à la sauvette, honteux de son indiscrétion au point de redouter de voir son nom apparaître dans un rapport.

   Toutes ces données lui étaient bien inutiles dans sa nouvelle mission qui consistait principalement à savoir par ou faire passer des câbles pour prolonger les tentacules du SCCO.

   Néanmoins maintenant Paul venait au bureau l'esprit moins soucieux. Ses nouvelles responsabilités le dévoraient moins. Il s'arrangeait pour passer un maximum de temps avec Sophie. Il avait presque oublié ses tourments sur les prétendus manipulateurs et voulait bien laisser en paix les gens s'ils voulaient rester dans l'innocence.

   Il eut l'accès privé du troisième étage pour prévoir sur place l'extension du système. Il y alla en milieu de matinée sans avoir prévenu la mère du Directeur.

   Elle le reçue feignant de ne pas le reconnaître. Elle ne fût pas surprise ni indignée de la raison pour laquelle Paul venait. Décidément cette vieille femme n'avait plus toute sa tête, pensa Paul. Elle n'avait pas l'air de se rendre compte de sa situation. Ce que projetait Paul, était tout simplement de faire de l'appartement de la dame un plateau de cinéma rempli de caméras ainsi que toutes sortes de détecteurs reliés au système. Elle ne pourrait plus avoir aucun secret. Son fils avait t-il peur d'elle ou au contraire s'inquiétait t-il pour elle ?

   Après tout le Directeur avait peut-être des directives supérieures qui lui faisaient craindre le pire pour l'avenir de la société. Il ne voulait plus effrayer Madame Vivant et c'est avec un maximum de tacts que Paul régla sa visite le plus rapidement possible. A la fin de la journée il dicta son rapport journalier au SCCO en préconisant un minimum d'accès aux ouvriers.

   Dans les jours qui suivirent, il eut plusieurs fois Madame Vivant en communication. Il lui demanda si les travaux ne l'indisposaient pas et qu'il ne fallait pas qu'elle hésite à le contacter si elle rencontrait des problèmes avec les ouvriers. Madame Vivant le contacta une fois pour lui dire qu'elle appréciait sa sollicitude mais qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète pour elle, c'était simplement son garnement de fils qui lui donnait beaucoup de problèmes. Paul ne trouva rien à lui répondre sinon que Monsieur le Directeur avait en ce moment beaucoup de responsabilités et que personnellement il ne faisait que son devoir. Madame Vivant le félicita et l'encouragea vivement dans sa tâche et qu'il ne devait pas hésiter à faire le ménage. Paul confondu ne sût en quoi ses tâches ménagères préoccupaient la vieille dame. Pensant qu'elle était alors fatiguée par la communication il coupa après lui avoir rendu ses hommages.

Chapitre 8

     Ses relations avec Sophie bien qu'ils se vissent souvent, laissaient à Paul un sentiment de culpabilité. Sophie hésitait toujours à se livrer et ce n'était qu'après de longues négociations qu'elle acceptait d'être à lui. Il ne comprenait pas les incertitudes de Sophie et mettait cela sur le compte de la même sauvagerie qu'elle avait en se livrant à lui. Paul s'attachait à elle bien plus qu'il n'aurait voulu mais elle représentait tout pour lui qu'il n'imaginait plus la vie sans elle.

   Ainsi un soir ou il lui demandait ou en était ses relations avec son supérieur, elle lui avoua qu'il lui avait proposé plusieurs fois d'aller boire un café avec lui au self de la galerie. Elle aussi était nouvelle dans la société et voulait faire de son mieux mais Marc Duchemin, son chef ne semblait pas l'apprécier beaucoup et il faisait tout pour la mettre mal à l'aise.

- Il fait pression sur moi pour que je quitte la société s'il n'arrive pas à ses fins avec moi. déclara Sophie.

Elle continua de parler :

- Tout dans cette entreprise est corrompu Paul. Le pire, c'est le Directeur avec sa mère. Elle passe ses journée aux communications avec son fils pour lui demander ce qu'il est en train de faire, lui faire des compliments sur sa cravate, sur sa façon de parler. Elle lui répète sans arrêt qu'elle l'aime et qu'elle fera tout pour lui.

- Tu crois qu'il ne peut pas se passer d'elle ? Lui demanda Paul.

- T'es fou ! Quand il coupe, il rit et dit qu'il faut excuser sa mère, qu'elle n'en a plus pour longtemps et qu'elle a déjà perdue la tête.

- Alors pourquoi s'embarrasse t-il d'elle ?

- Sûrement pour des raisons d'héritage, lui répondit Sophie. Elle continua :

- Tu sais, tu avais raison pour les gens en place. C'est eux qui pourrissent notre monde. C'est révoltant.

Chapitre 9

   Depuis ses nouvelles responsabilités, Paul n'était pas retourné voir Gloria. Un Samedi alors qu'il profitait de son week-end en regardant tomber des flocons de neige noirs de pollution, il s'aperçut que gloria était assise sur les marches d'entrée de sa maison, figée comme une statue dans le froid. Quand il voulut la faire entrer, elle sembla ne pas comprendre comme un robot en panne.

- Alors faux frère, tu flemmardes avec ton amoureuse ? Lui lança t-elle.

- Non petite, j'ai une réunion de travail, lui répondit Paul.

Il la fît entrer et une fois installé, il lui demanda des nouvelles de sa grand-mère.

- Elle dépérit à vue d'œil. Dit Gloria renfrognée.

Paul ne savait quoi dire. Il comprenait la peine de la petite et son désespoir. Elle commençait juste à se rendre compte de sa situation dans la vie et ce n'était pas réjouissant.

- Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? Lui demanda Paul.

- Je veux me marier et avoir beaucoup d'enfants. Lui répondit gloria.

- C'est tout ce que tu attends de la vie ? Ironisa Paul.

- Ce n'est pas ça vivre ? Lui répliqua la gamine.

- Si, c'est comme ça. Lui répondit Paul.

Il aurait voulu hurler mais son cri restait au fond de sa gorge. Maintenant il n'avait plus rien à dire, la vie l'avait servie. Il n'avait plus le droit de contester. En face de lui, Gloria le sentait. En même temps qu'elle le poussait à la révolte, elle le rendait impuissant. Gloria s'en alla, le laissant seul.

   Il ne pût rester à l'intérieur de chez lui plus longtemps. Il prit sa voiture et comme celle-ci voulait une direction, il lui indiqua la gare. Il y mangea et chercha la vieille femme avec qui il avait parlé sur un banc cet été. Il la trouva, toujours à donner à manger aux pigeons. Elle sembla le reconnaître et lui demanda si c'était bien lui qui rendait les derniers sacrements aux pigeons.

- Cela ne m'arrive que les jours fastes malheureusement. Répondit Paul.

- Et bien ? C'est un jour faste aujourd'hui. Il va être bientôt Noël et ça va être le début d'une nouvelle année, non ? Lui affirma la vieille dame.

Évidemment, la terre continuera à tourner quel que soit la vie de ses occupants, pensa Paul. Ils n'avaient pas d'autre solution que de continuer à suivre la marche des choses. Leurs révoltes ne servaient qu'à alimenter leurs conversations.

- Vous ne souffrez pas du froid en ce moment ? Demanda Paul.

- Souffrir ! Mais jeune homme, nous ne faisons que ça de souffrir et il ne sert à rien de se plaindre, croyez-moi. Lui répondit la vieille femme.

- Vous n'avez jamais chaud non plus ? Insista Paul.

- Le chaud, le froid. Vous me faites rire. Ce n'est pas parce que le thermomètre indique 100 degrés que l'eau boue.

Cette fois c'était elle qui l'avait soufflé. Non seulement la révolte était vaine mais il ne servait à rien de rendre la justice aux éléments. Ce piège que sentait Paul était celui des sentiments qu'il attribuait au monde extérieur, monstrueuse machine avalant tout ce qui lui résistait.

- Ne cherchez pas après les autres, jeune homme. Contentez-vous de sentir ou est votre propre intérêt. Vous ne changerez jamais les autres ni le monde. Dit la vieille femme en s'en allant.

   Une fois encore Paul restait seul avec lui-même qui était décidément son vrai problème. Cette fois cependant, il ne tournait pas en rond et la perspective de passer la soirée avec Sophie suffisait à lui rendre justice.

TROISIEME PARTIE : LA MISE A MORT

Se voir mourir pour conquête

Chapitre 1

   Après les fêtes, le mois de Janvier n'en finissait plus. Le temps constamment incertain prenait tout le monde au dépourvu. Il pleuvait sans crier gare puis le temps changeait pour laisser de chauds rayons de soleil remplirent les terrasses de cafés.

   Ce jour-là, Paul avait rendez-vous avec le comptable, Marc Duchemin. Celui-ci avait demandé à Paul de passer le voir pour qu'il discute de la situation de Madame Vivant. Le comptable semblait dérangé par le statut qu'il pourrait donner à la vieille femme maintenant qu'elle allait être rentrée dans les registres du SCCO. Paul ne connaissait rien aux règles comptables et il se demandait pourquoi Marc s'adressait à lui pour ce problème.

Comme d'habitude, le comptable attaqua à peine furent-ils assis.

- Je sais que tu es beaucoup attaché à Madame Vivant Paul.

Paul ne sût si Marc plaisantait. Celui-ci continua :

- Ton attitude envers Madame Vivant lors des travaux d'expansion chez elle a montré combien tu la respectais. Moi-même, la situation de cette dame m'émeut mais nous n'y pouvons rien, il va falloir qu'elle s'en aille. Conclu Marc.

- Mais c'est de la responsabilité du Directeur, répondit Paul.

- Justement, il m'a confié la tâche d'étudier de quelle façon mettre un terme à sa présence dans le centre. C'est une mission délicate et il faut que cela reste confidentiel Paul.

- Qu'ai-je à voir là-dedans. Demanda Paul.

- Je t'en parle car dans le cadre de ta mission il va falloir revoir les instructions des objectifs marketings du SCCO.

- Quel lien avec Madame Vivant ? Marc.

- Et bien cela est très complexe. Pour résumer, l'espace privatif est ignoré par le SCCO spatialement mais il ne l'est pas stratégiquement. Il lui rappelle sa mission première.

- Et qu'elle est-elle ? Demanda Paul.

- Mais de satisfaire notre clientèle Paul ! Donc il va falloir orienter le SCCO pour que celui-ci intègre un nouveau paramètre humain.

- Lequel ? Demanda Paul.

- La santé, Paul ! Vois-tu c'est une mission passionnante pour nous, tu ne trouves pas ?

- Franchement je ne te suis pas Marc. Que vient faire le départ de Madame Vivant là-dedans ?

- Nous allons nous servir de son départ du centre pour faire prendre en compte par les objectifs marketings du SCCO, la possibilité de changements radicaux dans le mode de vie des humains.

- Comment ça ? Balbutia Paul de plus en plus perdu.

- Il est prévu de remplacer les appartements du Directeur par un lieu d'aide aux plus démunis. C'est un objectif des plus humanitaires qu'il nous faut maintenant remplir Paul.

   La célérité avec laquelle la situation changeait déstabilisa grandement Paul. Les vies personnelles même celles des gens aisés ne valaient plus grand chose face à l'urgence de la crise ou tout le monde semblait plongé. Cette fois-ci les évolutions stratégiques de l'entreprise que venait de lui révéler Marc ne donnait plus envie à Paul de se révolter mais lui faisait simplement peur pour sa propre vie. En sortant de chez Marc, Paul lui assura qu'il allait faire le maximum.

   Ce que lui avait demandé Marc était incroyablement complexe. Il s'en rendait compte en consultant les Logs du SCCO. Tout en ignorant l'espace privatif, le SCCO faisait tout pour posséder un maximum de données sur la zone blanche en plein dans son territoire. Si la curiosité était bien un vilain défaut, le SCCO devait être la chose la plus pervertie de « la Victuaille Intégrée ». Bien sûr, le SCCO n'était qu'une machine, une machine des plus complexes, mais une machine qu'en même. Et c'était sa complexité qui la rendait invulnérable. Beaucoup de personnes essayaient de percer les secrets des ordinateurs pour n'importe quelle raison et cette attrait donnait à ces machines leur importance. Pourtant tout le monde savait que derrière chaque décision importante était cachée la main d'un homme.

   Plongé dans son travail, il ne voyait plus le temps passer et évitait Sophie au bureau qui le harcelait pour savoir ce qu'il faisait. Marc et Paul, seul dans leur secret se rencontraient le moins possible, tous les deux sidérés par l'énormité de leur entreprise.

   Alors que le Directeur lui demanda si son travail avançait comme il le souhaitait, Paul restant dans la confidence lui dit que tout serait bientôt résolu.

   Si Paul évitait aussi Marc, c'est qu'il avait l'impression que le comptable le singeait. Il avait toujours les mêmes désirs que lui : Il y avait Sophie, la situation de Madame Vivant avait l'air de le choquer comme Paul l'était et sa satisfaction de bientôt venir en aide aux nécessiteux le rendait comme lui euphorique.

   Paul sortait peu à peu de sa solitude et bientôt il pourrait voir avec d'autres yeux que les siens mais en attendant, les concordances de sentiments le remplissaient de jalousie.

Chapitre 2

   Paul mangeait néanmoins au Self à midi avec Sophie qui insistait pour qu'il continue à se fréquenter. Leur relation frustrait Paul et alimentait sa jalousie naissante. Ils évitaient tous les deux de parler de leur travail. La sympathie qui les reliait ressemblé à de la pitié mutuelle. Paul voulait encore de l'amour de Sophie mais Sophie elle, se sentait responsable de la situation où était Paul.

   Ce jour-là, alors qu'ils étaient tous les deux face à face mangeant sans parler, Gloria dans le dos de Paul s'approchait de leur table en ne semblant pas s'intéresser à lui. Elle s'adressa à Sophie.

- Vous travaillez ici Madame ?

- Oui pourquoi ? Répondit Sophie naturellement.

- Ma grand-mère vient de mourir et je n'ai plus personne pour s'occuper de moi. Je cherche un travail pour manger. Vous auriez quelque chose pour moi ?

- Et bien peut-être. Que savez-vous faire ? Questionna Sophie.

- Je suis ordonnée, sérieuse et courageuse. Je ne crains pas la fatigue. Ce monsieur peut vous le certifier. N'est-ce pas Paul ?

- Oui c'est vrai Gloria, tu es sérieuse. Répondit Paul qui ne fût même pas étonné de l'entendre dans son dos. Il ajouta qu'il était malheureux pour sa grand-mère.

- Vous avez sûrement quelque chose à faire pour les gens qui savent utiliser leurs mains ? Insistait Gloria.

- Vous savez jeune fille, tous les travaux manuels sont faits par des machines. Le personnel que nous recherchons est pour mettre en œuvre des idées et cela nécessite de longue études et beaucoup d'intelligence. Je suis désolée mais vous n'avez sûrement pas l'âge pour comprendre comment le centre commercial fonctionne. Ce que vous avez de mieux à faire c'est de faire valoir votre situation pour obtenir des aides alimentaires. N'est-ce pas Paul ?

- Je pourrai faire les démarches avec toi Gloria, Affirma Paul déjà à bout.

Gloria ne semblait pas comprendre.

- J'ai déjà travaillé, je ramassais les légumes à la campagne. Je préfère vivre de mon travail plutôt que de mendier. A la ville il doit y avoir mille choses à faire.

- Le nécessaire est fait par les machines Gloria, Répondit Paul. Tout ce qui reste aux hommes est de se battre pour que le plus grand nombre de personnes mangent à leur faim.

- Ce n'est pas vrai, vous vous battez pour vous cacher et profiter de tout et de tous. Si on n'est pas dès votre, on a aucune chance de vivre à l'abri. Répondit Gloria.

- Il faut des gens forts pour que les plus faibles aient de l'espoir. Répondit à son tour Sophie.

- Mais nous n'avons aucune dignité. Remarqua Gloria.

- Nous non plus Avoua Paul. Je serais toi je suivrais les tiens sur les routes Gloria.

- Va-t'en Gloria je t'en supplie Lança Paul dans un dernier souffle.

Chapitre 3

   Sophie était à son bureau harcelé par son travail avec la nausée, elle avait tant d'incertitude sur son propre jugement. Elle trouvait vraiment Marc de bonne foi. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il était à la hauteur de sa réputation. Il n'avait pas besoin de soutien qu'autre matériel. Elle avait eu tort d'en parler à Paul. Celui-ci n'avait vraiment pas besoin de ça. Elle n'aurait vraiment jamais raison d'être à une place tant à défaut. Si elle devait l'aimé c'était pour lui pardonner. elle allait être à son tour soumis au jugement et elle le sentait.

   Elle avait fait parler Paul sur les projets de Marc. Tout trois étaient sûr de leur bon droit. Le Directeur ,seul, ne savait pas leur projet. Quand viendra le moment des aveux alors quelqu'un aura tord mais ils seront tous trois dans la confidence.

Marc rentra dans le bureau.

- Sophie, j'aimerais que tu soldes le compte de Paul.

- Il y a un problème avec Paul, Marc ?

- Pas du tout il a fait un excellent travail Répondit Marc.

- Tu sais bien qu'il ne s'en remettra jamais.

- C'est pour ça, il faut arrêter les frais, Sophie.

- Le Directeur est d'accord ?

- Il m'a donné plein droit sur Paul, Sophie.

   Elle devait avertir Paul de son licenciement. Elle savait que Paul avait fait son travail comme elle avait pariée sur son échec, il n'en sera aucunement surpris. Paul au téléphone la remercia de sa franchise et lui demanda une journée pour ranger ses affaires pour « continuer le jeu » lui dit t-il.

Paul mangeait seul à la cafétéria de la galerie, Gloria sortant ne nulle part s'assit en face de lui comme par miracle.

- Tiens Gloria ! Comme cela me fait plaisir, Mentit Paul.

- Arrête tes bobards faux frères, lui lança Gloria. Je suis venue te voir pour te dire que j'en avais marre de vous tous.

- Mais de qui parles-tu Gloria ? S'exclama Paul.

- De vous faux frères, vous n'êtes qu'une bande de menteurs. Cria Gloria au bord des larmes. Je suis aussi venue te voir pour te dire adieu.

- Ça y est, c'est le printemps, les oiseaux repartent vers les pays doux. Ironisa Paul qui regretta aussitôt ses paroles.

- Non, j'en ai marre, je vais en finir avec la vie. Cria Gloria qui sortit de son sac un revolver qu'elle posa sur sa tempe.

   Paul eu juste le temps de lui enlever le revolver des mains et Gloria s'enfuit en courant. Dans l'après-midi était prévu une réunion entre lui et Marc et le Directeur. Il ne pouvait perdre son temps à essayer de raisonner la gamine. Paul finit son repas, pris le revolver, le mis dans une poche de son pardessus et rejoignit son ancien bureau où avait lieu la réunion.

   En arrivant Marc était déjà avec le directeur ainsi qu'avec Sophie. Le Directeur semblait dans tous ses états. Il criait :

- Vous êtes devenu complètement fou Duchemin, c'est quoi cette idée de transformer mes appartements en refuge de marginaux ?

Dès qu'il vît Paul, le Directeur le menaça de complicité :

- Je vous ai fait confiance et voilà qu'à peine arrivé dans la société vous me plantez un couteau dans le dos. Je vais vous étriper Paul Vyn !

   Furieux, il se jeta sur Paul. Paul avait sa main dans la poche au revolver, il le sortit, son bras tendu en direction de Marc et quand le Directeur s'affala sur lui, le bras de Paul tenant le revolver semblait vouloir l'enlacer. Au contact entre les deux hommes, le doigt sur la gâchette se crispa, l'arme détonna pour tuer Marc.

   L'explosion avait calmé le Directeur. Ils se relevèrent et virent Marc étendu à terre. Sophie était figée dans un coin de la pièce les deux mains sur le visage.

Épilogue

   Paul avait tiré mais ce n'était pas sur sa cible. Il avait tiré au hasard. Maintenant tout l'accuserait : il avait tué par jalousie. Mais c'était parfaitement faux, il en voulait à ceux qui détenait le pouvoir de manipuler les autres à leur guise. Il était coupable et victime. Herbert Vivant le regardait narquois, les yeux pétillants. Paul regarda Sophie sa tête encore entre ses mains puis son regard revint sur Herbert Vivant.

   Il ne comprit pas d'abord ce qu'il voyait, la façade du bureau derrière Vivant bougea puis s'affaissa. Il voyait une immense pièce pleine de lumière. Un homme en habits vifs lui faisait des signes d'avancer vers lui. Paul sentit toutes ses angoisses s'envoler. Il écarta le Directeur du bras et s'avança en direction de l'homme qui lui faisait signe et de la lumière. Il passa entre les cloisons et l'homme le prit dans ses bras.

- Merveilleux mon ami, quel spectacle ! Lança t-il toute en l'enlaçant.

- Et oui mes amis, quel terrible et merveilleux dénouement à notre émission. Continua t-il en se retournant.

- Mais je ne dis plus rien qui pourrait blesser notre héros. Chers téléspectateurs, notre candidat est encore plongé dans son histoire, notre histoire, mais d'ici quelques secondes, le temps qu'il franchisse La Porte des Étoiles alors il retrouvera toute sa mémoire. Avancez en direction de l'arche Paul.

   Au milieu de la scène, il y avait l'arche de la Porte des Étoiles que devait franchir Paul pour qu'alors toute sa mémoire lui soit rendue. Il ne comprenait pas ce qui arrivait mais sans réfléchir il passa sous l'arche.

   En même temps que le cauchemar de son meurtre quittait son esprit, aussitôt de l'autre côté de l'arche il éclata de joie. Il venait de retrouver la file de sa vraie vie où il était le candidat au jeu de télé-réalité « La porte des Étoiles ». Les candidats amputés d'une partie de leur mémoire se retrouvaient dans une vie mise en scène ou le but était de tuer son adversaire lui aussi amputé. Ils étaient deux candidats entourés d'acteurs jouant des personnages.

   Derrière lui, Herbert Vivant, son adversaire passait sous l'arche. Marc Duchemin et Sophie étaient sur la scène sous les applaudissements fournis d'un public ravi invisible dans le noir de la salle.

- Merci, merci cher public. Cette fois cela a été vraiment fantastique, déclara Bertrand Printemps, le présentateur vedette de l'émission. Il continua :

- Mais ne faisons pas attendre nos deux héros. Je vous rappelle que nous les suivons depuis six mois, jours après jours dans leur confrontation. C'est ainsi : nous n'avons pas manipulées leurs idées ni avant ni pendant l'émission mais ils devaient se confronter sans même se connaître. C'était écrit chers téléspectateurs, il devait y avoir un gagnant et un perdant. Je vous rappelle que la nature est ainsi faîte, le chasseur doit tuer sa proie. Il y a eu une victime, toute virtuelle je vous rassure, mais était t-elle celle attendue ?

- Faisons entrer sur scène tous les protagonistes de notre tragédie.

   C'était plus de cent personnes qui traversaient les cloisons du minuscule bureau de Paul. Ils envahissaient la scène sous les acclamations du public. Il y avait les agents de sécurité sur leur rouleurs, les administratifs : acteurs professionnels jouant leur carrière dans l'émission, d'innombrables anonymes : figurants payés aux cachets, Paul reconnu la vieille femme défraîchie aux pigeons mais aussi l'heureuse téléspectatrice gagnante d'un tirage au sort pour jouer dans l'émission le rôle de la Directrice.

Ils firent cercle autour de Paul, Sophie, Herbert et Marc. Le présentateur prit la parole après avoir calmé le public :

- Cher Paul, vous êtes le héros de cette émission mais nous ne savons rien de vous. Dites-nous qui vous êtes ?

Paul répondit sous les vivats du public conquis.

- Je suis Paul Vyn, j'ai 34 ans et je suis conducteur de bus.

Le présentateur s'approcha d'Herbert.

- Autre héros de cette émission, Herbert Vivant. Herbert, vous avez été discret mais on a senti que vous en saviez plus que ce que vous le montriez, qui êtes-vous ?

Herbert Répondit :

- Je suis Herbert Vivant, j'ai 53 ans et je suis Directeur Commercial de « la Victuaille Intégrée ».

- Le saviez-vous ? Lui demanda le présentateur.

- Non. Répondit Herbert Vivant alors qu'un frisson parcourait le public.

Bertrand Printemps, le présentateur vedette revint près de Paul.

- Cher Paul, dites-moi ainsi qu'à tout notre public, quel effet cela vous a t-il fait d'être le chasseur ?

   Paul s'était vite repris. Il était maintenant à l'aise sur cette scène longtemps désirée. Il était maintenant persuadé que l'enjeu du combat était Sophie. Son affrontement avec son Directeur avait été balayé par la balle qui avait fait tomber son concurrent amoureux. Il était le chasseur qui avait tué son rival. Son adversaire avait péri par sa propre faute. Il était persuadé qu'il avait gagné ayant le sentiment d'avoir rattrapé le temps perdu. Il avait su retrouvé l'instinct du chasseur.

Il prit la parole :

- Tout n'a pas été facile ni clair dans ma tête mais quand j'ai su que je devais agir, j'ai retrouvé tout mon instinct et j'ai su ce que je devais faire.

- Bravo Paul, c'est comme ça qu'il faut réfléchir, sans hésitation. Le félicita le présentateur.

- Mais Paul, vous avez un peu hésité sur votre adversaire, qui était t-il selon vous ?

- J'ai hésité entre Duchemin et mon Directeur mais cela ne fait aucun doute que Duchemin était bien ma cible.

Le présentateur se tourna vers Marc Duchemin :

- Marc, maintenant dites-nous si vous étiez bien la cible désigné de Paul, sinon qui étiez-vous ?

Marc Duchemin prit la parole alors que le public haletant attendait le vainqueur.

- Cher Bertrand Printemps, je n'étais pas l'adversaire désigné de Paul, j'étais son assistant. Déclara t-il.

- Et qui assistiez-vous ? Insista le présentateur.

- Herbert Vivant, répondit Marc.

Le présentateur s'approcha de l'actrice vedette : Sophie.

- Sophie, que deviez-vous faire dans cette émission de la Porte des Étoiles ?

- Je devais aider Paul à trouver son adversaire, déclara Sophie au présentateur.

- Pensez-vous avoir vraiment aidé Paul ?

- Je ne sais pas. Admis Sophie au présentateur.

FIN

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