Le Rêve

Florian Lapierre

Dans un phare, vit un vieil homme incapable de rêver. Un soir, deux étranges personnes trouveront refuge dans ce bâtiment. Durant cette nuit tous les vœux seront exaucés. Illustration: Louisa Bouneau


La lune.

Quel vœu inhabituel, sans toutefois être très étonnant pour un savant des astres. Mais leur voyage leur avait fait voir plein de souhaits, tous autant différents. Que ce soit, les retrouvailles d'un père qui n'avait pas revu sa fille, après quarante ans de séparation. Réunir un vieux couple qui espérait partir ensemble dans l'au-delà. Ou encore, un jeune enfant malade qui souhaitait passer la journée au bord de cette étendue d'eau salée qu'il n'avait jamais pu voir.

C'est ce à quoi elle aspirait. Elle désirait procurer à autrui ce cadeau.

Oui, toute la raison de ce travail était d'aider à produire des rêves beaucoup plus extravagants et tout simplement importants, pour que le mourant puisse créer un dernier souvenir joyeux ou ressentir un dernier bonheur. Tout cela était dramatique en un sens, mais ils contribuaient à redonner un espoir à ces gens. Et pour elle, c'était le plus important à ses yeux.

Puis, elle regarda son collègue tout en s'interrogeant. Le doute qui germait en elle depuis longtemps avait à présent atteint un nouveau stade. La question fusa dans son esprit. N'était-ce pas un mensonge qu'ils offraient comme dernier instant à ces gens ?

Le jeune homme en question se remit à pianoter sur son appareil et s'adressa au vieillard avec un simple hochement de tête.

— Le temps de configurer la machine et ce vœu sera réalité.

Sa compagne affichait un visage septique, qu'elle tenta de cacher avec un sourire devant la tête extasiée de l'homme au rêve, affalé sur son siège.

Il avait le regard dirigé vers quelque chose qu'ils ne pouvaient voir.

Elle prit le scientifique par le bras afin de l'emmener à l'autre bout de la pièce, là où plusieurs ouvrages étaient emprisonnés derrière des grilles de soies, dans une cage en bois. À l'abri d'une oreille attentive, bien qu'elle était presque certaine qu'elle ne l'était pas actuellement, elle émit ses doutes à voix basse.

— Es-tu certain qu'il faille lui créer ce faux souvenir ?

L'homme écarquilla les yeux, comme si elle avait commit la faute la plus grave à ses yeux.

— C'est ce que j'ai toujours fait et c'est bien pour cela que cet appareil existe je te rappelle ! Je n'étais déjà pas d'avis d'offrir ce service à ce bon vieux monsieur, mais tu m'as forcé la main. Alors pourquoi donc cette stupide question ?

Sa colère transparaissait, malgré le fait qu'il dut retenir sa voix qui portait bien trop. Toutefois, la jeune femme ne se laissa pas décontenancer.

— C'est que… je pense qu'il faudrait aller jusqu'au bout de ses véritables souvenirs. Celui qu'il nous a montré lors de la phase de test. Je… j'ai l'impression que c'est important pour lui et que ça pourrait lui procurer le bonheur attendu avant sa mort.

À l'évocation de ce destin funeste, elle alla poser son regard sur ce vieil homme avachi sur son siège, le regard perdu au loin, amaigri par le temps et affaibli de son état. La maigre parcelle de vie était comptée dorénavant.

Il fallait faire un choix. Elle le savait.

— Non. C'est hors de question.

Sa réponse tonna comme un éclair déchirant le calme de la nuit. L'homme qu'elle avait suivit dans ses travaux était catégorique. Son regard était impénétrable et son visage plus sévère qu'à son habitude. Tout ce qu'elle voyait, tout ce qu'il laissait paraître était une incroyable détermination sur la position qu'il avait prise. Pourquoi donc ?

— Je sais que ça peut te paraître étrange, si ce n'est complètement insensé.

— Et c'est le cas, l'interrompit-il.

Elle reprit sa respiration en essayant de montrer une assurance qu'elle n'avait pas.

— Toutefois, j'ai cette intuition. Comme une impression que son rêve n'est rien d'autre que la volonté de revivre un événement passé.

Il ne répondit pas. Il était lassé de devoir expliquer en quoi cela allait envers et contre tout son travail, et une certaine éthique vis-à-vis de l'accord avec le patient.

Elle devrait le savoir pourtant.

Mais à la place, elle laissait ses émotions prendre le pas sur ses responsabilités. Il avait l'habitude maintenant, et bien heureusement lui savait faire la part des choses.

Donc, il devait reprendre tout ceci en main.

Il se détendit subitement, posa sa main sur l'épaule de sa compagne dans un geste bienveillant et lui déclara d'une voix encore plus calme.

— Je comprends, mais il a été clair, ce n'est pas à toi de choisir, son vœu est personnel et il faut le respecter, quel qu'il soit.

Elle fit une moue de désapprobation. Elle n'était pas de son avis et elle comptait bien le faire savoir.

— Tu ne peux savoir ce que ça fait d'arriver aux portes de la mort et de choisir un dernier souhait avant de franchir le dernier mètre. C'est moi qui me suis occupé d'accompagner psychologiquement toutes les personnes qui ont profité de cette offre et je pense être beaucoup plus apte que toi à comprendre ces hommes et ces femmes.

Sa poitrine se soulevait et s'affaissait violemment, elle ne gardait plus ses émotions et extériorisait tout ce qu'elle gardait sous prétexte qu'elle n'était que là pour l'assister.

— Tu es beaucoup trop occupé aux réglages de ta création pour connaître ses bonnes utilisations, acheva-t-elle de dire à cet homme qu'elle comprenait de moins en moins.

C'était vrai, il ne comprenait pas ce qu'elle voulait lui dire

— J'écoute simplement ce qu'on me dit, il n'y a pas de sous texte ou de sens caché, rétorqua le scientifique toujours sur son appareil.

— Voilà la preuve de ton aveuglement, siffla la jeune femme. À qui a profité cette machine depuis le départ ? Et bien aux quelques personnes qui l'ont financée et ont eu la chance de l'expérimenter ! Nullement aux gens perdus et désemparés comme nous et qui sont envahis par les regrets.

À ces mots, il la fixa. L'œil interrogateur, il la jaugea.

— Comme nous ? Tu n'as pas à te plaindre de ta position, car je te signale que tu n'étais rien avant de me suivre sur ce projet. Ce n'est que grâce à moi que tu fais quelque chose de ta vie, aussi perdue soit-elle. Donc ne vient pas me faire la morale sur la bonne utilisation de cet engin auquel tu n'as prétendument pas le droit, car c'est mon travail de donner un dernier rêve à ces gens.

Elle se mordait la lèvre inférieure pour intérioriser ses sentiments, s'obligeant à se taire.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles…

— Oh que si ! Répondit le jeune homme dont la colère fulmina (il se retint au dernier moment de hurler dans le phare). J'ai un devoir, un seul et je le ferai quoiqu'il en coûte. De plus, sache que j'aide cet homme parce que c'est mon travail, mais et surtout, parce que tu as su me convaincre qu'il en avait besoin. Cependant n'oublie pas qu'il est de ma responsabilité de m'assurer qu'il n'y aura jamais d'abus avec cette machine.

Ils ne se regardaient plus dans les yeux désormais.

— Si tu n'es pas d'accord avec ma façon de voir les choses, tu pourras toujours t'en aller dès demain.

Ses paroles achevèrent leur relation.



Les deux ingénieurs revinrent devant le gardien du phare. Celui-ci leva les yeux en leur direction, comme un enfant devant ses parents.

Il attendait son cadeau.

Les cernes encadraient son regard, appuyant de ce fait qu'il avait veillé toute la nuit. Et après réflexion c'était exactement ce qu'ils faisaient tous. Toutefois, les deux observateurs ne savaient pas si les profondes rides striant son visage charnu, étaient dues à la lueur de la lampe à pétrole qui les soulignait, ou bien s'il avait subitement vieilli.

La dernière solution parut incongrue.

Ce vieil homme remarqua sans commenter que la tension entre les jeunes gens étaient à son comble. Il n'avait pas entendu le sujet de leur dispute, mais elle avait résonnée à ses oreilles malgré tout. Il trouvait cela triste que ces charmantes personnes ne s'adressent plus la parole.

Mais il n'y pouvait rien. Après tout, il était déjà incapable de s'occuper de lui-même.


Bien qu'ils ne se parlaient plus, ils exécutèrent chacun de leur côté la même opération que précédemment.

Elle alla poser le casque aux électrodes sur la tête du vieillard tandis que son collègue se mit à taper plusieurs lignes de codes incompréhensibles sur son appareil. Seul le bruit des doigts heurtant les écrans emplissaient l'air lourd et étrangement calme.

La respiration du vieux gardien était forte et saccadée. Physiquement, son corps semblait abandonné de toute énergie. Et si le bonhomme préservait une certain santé mentale, il minimisait ses efforts pour ne pas sombrer dans une impuissance totale. Il devait tenir encore un peu. Juste le temps de rêver.

Ils étaient là, dressés devant lui, examinant à tour de rôle la tablette et la relique du passé qu'il était. Son époque avait disparu mais lui subsistait encore. Pour l'instant. Il était toujours perdu dans ses pensées quand on s'adressait à lui.

— Nous allons commencer, vous allez vous endormir dans un premier temps et sans même vous en rendre compte le rêve commencera.

— C'est tout ? Demanda le concerné.

— Vous vous attendiez à autre chose, répondit l'homme d'une voix plus cinglante qui ne l'eut vraiment voulu.

— Non… à vrai dire, non.

Celui-ci regarda de nouveau l'amas de tôle et de câble qui formait une sphère et qu'il ne comprenait pas. Ce n'était pas son temps.

— Bien, la première phase a débuté, vous allez ressentir une grande envie de dormir et dans quelques…


Il n'entendit pas la suite, car il plongea subitement dans le vaste sommeil qui le submergea. Le silence des abysses flottait tout autour de lui. Tout était ténèbres et vide. Il n'y avait pas de bord auquel se raccrocher. Il était au milieu de nulle part, et comme un plongeur qui ne s'était plus exercé depuis des années, il se mit à paniquer. Comment pouvait-il respirer sous l'eau ? Sa gorge s'étrangla et l'air qui résida dans ses poumons fut projeté dans l'eau tandis que celle-ci s'infiltra en lui. Il porta sa main à sa gorge par réflexe, mais cela ne pouvait en rien le sauver. Son instinct lui commanda de regarder autour de lui bien que tout était flou. Il n'y avait pas de point de repère et il ne savait même pas dans quelle direction se trouvait la surface.

Il allait finir noyé.

Soudain, une faible lumière passa tel un fantôme sous ses yeux. Il pensa tout d'abord qu'il s'agissait d'une illusion créée par son cerveau asphyxié. Mais, après quelques secondes, cette même aura lumineuse passa de nouveau au-dessus de ses pieds.

Était-ce la surface ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.

Guidé par une force au-delà du physique, il se mit à nager plus vite que jamais en direction de cet espoir. Il le savait, cela ne pouvait être que son unique salut pour se sortir de ce gouffre sans fond. Cependant, il avait beau battre des bras furieusement, l'étincelle passagère ne semblait pas se rapprocher pour autant. Seule l'obscurité immense et profonde l'entraînait avec elle aux tréfonds des Abîmes.

Des étoiles commençaient à scintiller devant ses yeux et il sentait qu'il allait dans très peu de temps s'étrangler et s'évanouir, ou bien l'inverse. Il redoubla d'effort, fuyant autant que possible ce destin qui lui était désigné. Sa mort ne viendrait pas maintenant. Non, il devait encore la voir.

Oui, il le voulait.

Ses doigts traversèrent enfin la frontière, pourtant inatteignable il y avait encore peu. L'air s'engouffra dans ses poumons, tandis qu'il recracha toute l'eau qu'il avait ingurgitée. Une quinte de toux le secoua pendant un bon moment, alors qu'il se mit à nager à la surface de cette étendue noire. Il n'y avait pas grande différence avec les abysses, quoi qu'ici il pouvait respirer. Toutefois, en levant la tête, il remarqua que les étoiles n'avaient pas quittées ses yeux. Non, elles étaient partout dans le ciel, entourant et guidant le regard curieux et admiratif vers une seule et unique lumière.

Le phare trônant au milieu des eaux sombres.


Il regagna le ponton en bois à la nage, bien décidé à atteindre cet éclat doré. Un étrange sentiment naquit au sein de son être, lui susurrant que son foyer se trouvait ici, au cœur du brasier brûlant là-haut.

Il poussa la porte grinçante, et s'engagea à l'intérieur du bâtiment. Là, une vague chaude immergea ses sens, tandis qu'il distingua des teintes oranges venant des escaliers menant à l'étage. Il faisait presque entièrement noir au rez-de-chaussée, c'est pourquoi en se dirigeant vers les escaliers, il heurta un objet qui tomba au sol, dans un bruit très semblable au brisement de verre. Oubliant aussitôt sa maladresse, il commença son ascension.

À mi-chemin du sommet, il déboucha sur une petite pièce illuminée par une bougie négligemment posée sur la table et dont la cire coulait sur les parchemins étalés en vrac. En s'approchant, il vit immédiatement une infinité de petits points placés consciencieusement sur le papier. Il savait de quoi il s'agissait.

Il le savait, car c'était lui qui avait croqué cette carte.

En regardant sa main droite, il vit une plume et ses doigts étaient tachés d'encre noire. Il reposa cet outil à côté du pot où se trouvait une autre plume imbibée de cette sève noir corbeau. Ensuite, il laissa ses croquis d'étoiles dans le ciel pour se concentrer sur de nouvelles choses. Deux grandes bibliothèques encadrèrent son passage à l'escalier menant au sommet. Il ne n'y prêta pas la moindre attention, délaissant le savoir et la connaissance intemporelle entreposés et acquis dans ces meubles. Tout en grimpant jusqu'à l'étage suivant, il sentit à chaque marche une chaleur réconfortante.

Une fois en haut, la pièce était vide. Une lumière blanchâtre mettait sous projecteur un télescope pointé vers les cieux. Il s'approcha, piétinant les ombres omniprésentes et captant du regard la seule et unique source lumineuse. Son œil vint caresser la lentille qui déformait les ondes lumineuses qu'elle recevait, grossissant par ailleurs les objets célestes recherchés. Une nuée d'étoiles brillait intensément sans prêter attention au reste de l'univers. Chaque point pouvait abriter en son sein une population civilisée autre que nous. Y a-t-il des curieux et des rêveurs qui nous regardent en ce moment même de l'autre coté de la galaxie ? Se questionna le vieil homme curieux. Se demandent-ils, eux aussi, si les étoiles regorgent d'inconnus et de mystères ? Songea le penseur. Se sentent-ils seuls au monde ? Demanda l'homme déprimé.

Il détourna son regard de l'outil lui permettant de voir au-delà du ciel et se retrouva sur le sommet du phare. Il ne sentait pas l'air, seulement la présence du vide tout autour de lui, ainsi que la forme lunaire projetant un halo de lumière blanche sur le bas monde. Il voyait ce qu'il croyait être l'eau stagnante tout autour de lui, reflétant par moment, les éclats blancs qui ravivaient ses pupilles pleines d'étoiles. Le lent remoud des vagues faisait danser les formes miroitantes avec le ciel bleu nuit qui scintillait de mille façons. La lune se dédoublait dans ce paysage composé en deux parties, où l'étendue d'eau quiète, tentait subtilement de calquer l'harmonie douce et stable des grands cieux. Perdu dans sa contemplation, l'homme au phare en vint même, l'espace d'un instant, à confondre la mer et le ciel.

Puis, un vent chaud vint l'enlacer et réchauffer son cœur froid. Il se retourna pour voir l'intense brasier qui se consumait au sommet du phare. Le feu était gorgé de lumière orange au cœur rouge, qui débordait de toute part, s'échappant par rayon incandescent, vers l'horizon. Il ressentait un bien fou à se tenir près de ce brasier.

Un sentiment de plénitude combla une partie vide de son être. Il se demandait si cette sensation provenait de cette lumière chaude et aimante à ses côtés, ou bien de l'éclat rafraîchissant et rassurant de la lune perchée là-haut, inaccessible.

C'est justement avec une certaine mélancolie qu'il contemplait cette lune lointaine, dont la face visible et pleine était creusée de cratères invisibles à l'œil nu. Il ne savait pas pour quelle raison, mais il avait l'impression de flotter avec le phare très lentement dans sa direction, ou bien que ce caillou blanc se rapprochait inlassablement vers eux.

Pourquoi cela ? Il n'en savait rien. Toutefois, il ne comprenait pas où il était, s'il rêvait, ou encore si pour une raison qu'il ignorait, il vivait réellement cela. Par réflexe et curiosité, il se pinça. Hormis une douleur piquante et incisive, il ne ressentit rien de plus. Allait-il atteindre ce rêve pour de vrai ?

Il l'avait toujours voulu.

Il avait toujours voulu toucher cette mère nocturne qui veillait sur lui depuis tout petit. Et c'est même à ce moment là, qu'il avait confié ce vœu aussi précieux et cher à ses yeux, à la seule personne qu'il ait aimé.

Mais elle n'était plus là.

Il était seul avec ses rêves, ses espoirs et ses attentes. Il ne pourrait partager sa joie avec quelqu'un qui savait à quel point cela lui tenait à cœur. Oui, elle lui manquait. Il se souvenait de sa présence. De sa chevelure. De son parfum. Elle le regardait de ses yeux noisettes tandis qu'elle rejetait en arrière sa chevelure châtain foncée. Il y avait de la musique, lente et entraînante. C'était la fin du mariage, tous les grands dansaient ensemble en se tenant par les mains, la taille et parfois finissant par s'embrasser. Il le voulait lui aussi. Il voulait vivre cela avec quelqu'un.

Elle le regarda.

Ce fut furtif. Elle venait de détourner le regard à l'instant, mais elle l'avait bel et bien regardé un instant.

Il devait y aller. Non, il avait trop peur. Trop peur d'un refus.

Peut-être qu'il se méprenait. Il ne voulait pas que tout le monde le voit essuyer un échec devant cette fille. Non non, il devait tenter sa chance, sinon il allait le regretter. Mais son cœur se tordait et l'empêchait d'avancer vers sa destinée. Il devait lutter contre lui-même.


— Que se passe-t-il ?

L'homme prit de panique s'adressa aussitôt à sa collègue qui regardait sa tablette où les images défilaient sous ses yeux.

— Il rêve.

— Non non ! Ce n'est pas un rêve ça ! J'avais calibré le rêve, je sais très bien ce qu'il est censé voir et imaginer, et cela ne fait pas partie de son rêve. Ce sont des souvenirs.

Il s'était rapproché pour voir de ses yeux les images corrompues qui s'étaient invitées à ce qu'il avait composé pour le vieillard. La jeune femme regardait pleinement à travers les yeux du garçon et s'enivrait de ces souvenirs.

— C'est la suite de ce qu'il nous avait montré. C'est la suite de cette soirée avec cette jeune fille. C'est important.

— Non, cela n'a aucune importance car ce n'est pas ce qu'il nous avait demandé. Son dernier vœu était d'aller sur la lune. Pas de revivre un souvenir d'enfant.

— Voyons ne sois pas si borné ! S'exclama sa collègue qui pointait son regard le plus noir vers cet homme sourd à tout ce qu'elle pouvait lui dire. Il a volontairement plongé dans ses souvenirs. Ce n'est pas un hasard ni un dysfonctionnement de la machine et tu le sais très bien.

— Peu importe, je vais le réveiller.

Il se dirigea vers le rêveur et sa compagne s'écria avec détresse.

— Non ne fais pas ça ! N'interrompt pas son souvenir je t'en prie.

Il la regarda fixement, ses yeux durs et son visage fermé. Il avait déjà posé sa main sur l'épaule du vieil homme en plein sommeil.


Une main se posa sur son épaule.

Alors, on n'ose pas inviter une jeune fille à danser ?

C'était l'homme qui se mariait aujourd'hui. Son visage était fermé, malgré son sourire en coin et une certaine malice dans ses yeux. Ses cheveux étaient rasés courts, mais bien coiffés pour l'occasion. D'ailleurs, il était chic, mais sa posture était très décontractée et cela contrastait avec son costume serré.

Toutefois, peu importait.

Cet homme avait très bien cerné son désarroi.

Oui… enfin peut-être, bafouilla le garçon maladroitement.

L'homme rigola. Cela adoucit son visage.

Et que dirais-tu d'inviter cette jeune demoiselle, que tu regardes avec avidité.

Le garçon le regardait gêné de ne pas comprendre.

Avec passion si tu préfères. Ou avec amour.

Non non ! Nia l'enfant, qui se mentit à lui-même avant tout.

Ah bon ? Et tu ne veux pas danser avec elle ?

Non, danser c'est nul.

C'est dommage, car elle t'a regardé, annonça le marié, en regardant dans la direction de la fille.

C'est vrai ? S'exclama le garçon, qui avait trahit un coup d'œil en sa direction.

Peut-être.

Mais… si jamais elle refusait ?

Ah ! Tu as envie de danser maintenant ? Interrogea l'homme qui arborait de nouveau un sourire narquois.

L'enfant ne savait toujours pas comment l'apprécier. Mais il avait besoin de conseil, d'aide et surtout d'écoute.

C'est que… peu m'importe que ce soit danser, me promener ou même lui parler. Je veux juste… aller la voir. Enfin…

Et bien vas-y, invite la. Tu ne connaîtras sa réponse qu'en lui demandant.

Mais si elle me dit non ? Je ne pourrai jamais croiser son regard. J'aurai trop honte.

Honte ? Honte d'avoir eu le courage de t'avancer devant elle et de la regarder dans les yeux pour danser ? Et bien garçon, crois-moi, tu auras eu plus de cran que tous les autres.

Comment ça ?

Regarde bien.

L'éclairage était sombre et coloré, mais il discernait ses camarades de jeux, tous isolés dans leur coin comme lui. Ils étaient dans quelques cas en petit groupe, à prétendre que cela n'avait aucun intérêt, ou même à se moquer de ceux qui voulaient y aller. Seul un des plus jeunes de leur groupe avait invité une grande fille à danser. Ils avaient dû se moquer de lui, car elle faisait deux têtes de plus et elle était très belle. Mais actuellement, le petit dansait avec elle, car elle avait accepté avec un grand sourire. Tandis que les autres garçons jalousaient ce garçon téméraire, au courage inégalé.

Allait-il faire partie du camp du petit garçon, ceux qui agissent ou bien ceux qui se contentent d'être spectateurs de la vie ? Il voulait vraiment essayer.

Je vais l'inviter, déclara le garçon emplit d'un courage soudain.

Alors vas-y maintenant, car après celle-ci, il ne reste qu'une dernière chanson pour danser.

Quoi ?

Tu ne comptais pas attendre encore longtemps ? Il faut se lancer maintenant, sans réfléchir. Car réfléchir t'empêche d'agir. Tu comprendras un jour. Si tu commences à te demander si quelque chose est faisable, si tu dois le faire maintenant ou attendre un moment plus propice et bien crois moi, tu regretteras d'avoir attendu. Il n'y a jamais de moment plus propice. Il n'y a que l'instant qui compte. Car tu as à peine le temps de penser au futur qu'il est déjà passé.

Oui mais…

Tu étais sur de toi, reprends-toi et fonce. Ne regrette pas.

La musique s'arrêta, un silence emplit la salle, puis, la dernière danse se mit en route. Les cavaliers et cavalières changèrent et de nouveaux couples se formèrent, l'espace d'une chanson, d'une danse, d'un souffle.

Elle était toujours seule, assise sur un banc en face de lui. Entre eux, trois couples tournaient au rythme de la musique au centre de la salle. La tête de l'une des filles reposait sur les épaules de l'homme pendant qu'il se mouvait calmement et langoureusement. Deux enfants plus jeunes que lui se tenaient par la taille et par les épaules et copiaient de façon enfantine les grands autour d'eux.

Il devait y aller, le temps passait et ne l'attendait pas. Il ne voulait pas regretter. Non il ne le voulait pas. Son cœur l'enserra douloureusement, son souffle se coupait et il respirait mal. Il sentit d'ailleurs la sueur lui couler le long de bras, du dos et des aisselles. Heureusement qu'il fait sombre, se dit-il.

Il contourna la piste de danse d'un pas qui se voulait nonchalant et déterminé à la fois. Sous les regards qu'ils s'imaginaient peser sur lui, il avait l'impression que sa démarche ne ressemblait à rien et qu'il devait avoir l'air ridicule. Mais au moins, elle ne le regarda pas lorsqu'il marcha vers elle pour l'inviter. Il prononça son prénom pour l'interpeller. Elle tourna la tête vers lui, ses lèvres formant un léger sourire qui marquait habituellement son visage. Trop tard pour reculer, il fallait y aller, jusqu'au bout à présent.

Ça te dis de danser ?

Il avait espéré trouver une phrase plus jolie, plus classe, mais sur le coup tout lui échappa et il n'y eu que ces simples mots qui sortirent de son cœur. Elle lui répondit, mais la musique était forte et il avait un doute sur sa réponse bien qu'il crut la comprendre. Même s'il fallait passer pour un idiot, autant y aller !

Oui ? Demanda-t-il, incrédule avec un sourire niais.

Cette fois, il l'entendit.

Oui, dit-elle en souriant et en se levant de son banc.

Le sourire remontant jusqu'aux oreilles, le garçon alla jusqu'au centre de la piste, la fille à sa suite. Il ne lui prit pas la main car il était trop gêné, même s'il le regretta après en y repensant. Elle n'aurait sûrement pas refusé.

Arrivés au milieu de la salle, les autres couples dansaient et quelques regards se posèrent sur eux inévitablement. Mais cela, le garçon ne le remarquait plus. Non, tout ce qui comptait pour lui était cette fille. Seulement elle.

Ses mains étaient moites, elle le regardait avec un air timide et attendait son premier geste. Imbécile qu'il était, il attendait lui aussi, de peur de la toucher en premier. Toutefois, à un moment parfait, ils s'attrapèrent, lui sa taille et elle ses épaules. Une fois cela, la musique les guida, les déplaçant en harmonie avec le reste des couples qui tournait sans s'arrêter.

Ce n'était pas vraiment de la danse. Ils bougeaient lentement en accord avec la lenteur de la musique en tournant sur place tout en se regardant dans les yeux. Et que demander de plus, s'interrogea le garçon.

C'était tout ce qu'il voulait.

Il était crispé, tout sauf détendu. Son cœur battait la chamade et sa respiration était forte. Mais il la regarda, plongeant son regard emplit de joie et d'un amour timide dans ses yeux noisettes qui se liaient aux bleus des siens. Il ne détourna jamais la tête de sa compagne. Ce moment était trop précieux et il en savoura toutes les secondes qui parurent une éternité sur le moment. Ses doigts serrant sa taille si agréable tandis que les mains de la jeune fille se relâchaient sur ses épaules. Il ne se tint jamais aussi droit de toute sa vie ! Il savait que c'était un souvenir fort que son esprit forgeait et qu'il ne l'oublierait jamais. Oh non jamais.

Puis le rêve s'estompa et la triste réalité refit surface.

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