Le rêve de Célia

Emmanuel Signorino

                                                   Le rêve de Célia

            Une fois de plus, il avait rêvé de celle qui depuis presque un mois hantait chaque nuit son sommeil. A son réveil, il ferma les yeux quelques instants pour prolonger encore un peu cette étrange sensation qu’il aimait tant. Marie vint se blottir contre lui et inconsciemment, il la repoussa. Elle se redressa et demanda :

« Tu as encore rêvé d’elle c’est ça ? »

Alexandre ne répondit pas, mais son épouse interpréta son silence comme un aveu. Au début, elle n’avait pas cru un seul instant à tout cela, et avait imaginé qu’il la trompait, mais ensuite, elle avait bien dut se faire à l’idée qu’Alexandre ne mentait pas et que depuis trois semaines, il rêvait sans cesse d’une jeune femme blonde d’une vingtaine d’années. Un soir en rentrant du travail, il avait enfin osé lui parler. Il lui avait longuement raconté en détail un de ses rêves. Marie avait demandé si cela le troublait à ce point. Pour seule réponse, il s’était contenté de murmurer oui. C’était ensuite que les doutes étaient venus, avant de s’évanouir lorsqu’elle sut avec certitude qu’il n’avait pas de maitresse. La semaine suivante, ils étaient partis à Deauville pour le week-end. Le samedi, Marie retrouva Alexandre, comme si le fait de changer d’air lui avait fait oublier tout cela. Mais le lendemain matin, il ne lui fallut que quelques instants pour se rendre compte, qu’une fois de plus, cette inconnue s’était mise entre eux, les séparant un peu plus chaque jour. Marie n’avait pas pu se contenir et avait laissé éclater sa rage et son impuissance.

-Mais tu te rends compte de ce qui se passe entre nous Alexandre ?

-Ce n’est qu’un rêve. Se défendit-il

-Il revient toutes les nuits, et tu penses sans cesse à elle, n’est-ce pas ?

Alexandre avait de plus en plus de difficultés à cacher la vérité à sa femme. Oui, il ne s’écoulait pas une heure sans qu’il songe à cette jeune femme au visage pale. Très vite, il avait ressenti le besoin de lui trouver un prénom. Sans savoir pourquoi, « Célia », s’était imposé de lui-même. Il se surprenait parfois à le murmurer lorsqu’il pensait à elle. Mais tout cela, Marie l’ignorait. Il n’avait pas osé lui confier cela. C’était son petit secret entre Célia et lui, donnant un peu plus de réalité à leur histoire. Alexandre ne trouvait plus les mots pour rassurer sa femme. Il avait bien essayé de lui faire croire que tout cela s’arrêterait bientôt, tout en se persuadant du contraire. Lui, ne se posait plus de questions, ou plutôt avait trouvé les réponses à ses interrogations. Il ne doutait plus de l’existence de Célia. Oui, elle était bien réelle, il était impossible que son esprit, son inconscient invente avec tant de précision un visage, et puis lorsqu’elle posait son regard bleu sur lui, tout cela lui semblait si vrai. A chaque fois, le rêve était identique. Alexandre se trouvait dans un lieu inconnu, baignée par une lumière blanche crue, et soudainement Célia apparaissait, s’avançant vers lui avec son sourire tendre. Il essayait bien de faire un pas vers elle, mais tout son corps était paralysé et ne pouvait se contenter que de l’observer. Durant les quelques instants où leurs regards se croisaient, Alexandre se sentait heureux, comme jamais il ne l’avait été dans la réalité, même si Marie lui apportait du bonheur, mais il s’agissait d’un bonheur simple auquel il s’était habitué et ne le faisait plus vibrer. Ce dimanche matin, quand Alexandre fit l’amour avec Marie, pour la première fois, le visage de Célia vint se superposer à celui de sa femme et il ferma les yeux pour le chasser de son esprit. Marie le serrait de toutes ses forces, avec ses jambes passées autour de sa taille. Elle aimait sentir cet amour les unissant, lui faisant oublier tout le reste. Marie perdait conscience en faisant l’amour, elle devenait une autre, une inconnue, qu’elle avait appris à apprécier, car si différente d’elle-même, tout en faisant partie intégrante de son être, de son soi. Encore enlacés, leurs mains jointes, Marie avait posé son visage sur la poitrine d’Alexandre.

-C’était si beau, dit-elle à voix basse.

Alexandre encore troublé par l’intrusion de Célia, hocha silencieusement la tête. Il attendit quelques instants et se leva. Dans la salle de bains, il n’eut pas le courage d’affronter son regard dans la glace. Il s’assit sur la baignoire et se mit à pleurer.

            Dans l’après-midi, Alexandre avait retrouvé le sourire. A Deauville, ils avaient leurs habitudes ainsi que leurs amis Carla et Sébastien avec qui ils dinèrent ce soir là. Au milieu du repas, Marie retrouva Carla à la cuisine.

-Tu ne trouves pas qu’Alexandre a changé ? demanda-t-elle.

-Il me semble un peu fatigué non ? Hésita Carla.

-Pas seulement.

-Vous avez des problèmes tous les deux ?

-Je ne sais pas si je peux t’en parler.

Carla prit la main de Marie dans la sienne et elle osa enfin se confier.

-J’ai peur de le perdre tu sais, parfois je ne le reconnais plus.

Et elle lui raconta tout en détail. Carla n’en revenait pas, tout cela lui semblait si étrange, mais elle n’eut pas le temps d’en parler avec Marie, Alexandre et Sébastien, s’impatientant un peu, étaient venus aux nouvelles, et ils étaient repartis tous les quatre de la cuisine comme si de rien n’était. A la fin de la soirée, au moment de se quitter, Carla promit à Marie de l’appeler le lendemain. Une fois à l’hôtel Alexandre alla de suite au lit. Marie elle, traina un peu, fumant une cigarette sur la terrasse. Quand elle rejoignit son mari, il dormait déjà. Elle l’imagina retrouvant cette femme imaginaire qui était en train de détruire leur couple, et se leva.

-Je ne peux plus supporter cela hurla-t-elle ! Demain tu vas voir un psy !

Alexandre ouvrit les yeux et baissa la lumière.

-Qu’est ce qu’il y a ? Qu’est ce que j’ai fait encore ?

-Rien, justement ! Tu ne fais rien pour l’oublier, au contraire. Tu n’attends qu’une chose la retrouver toutes les nuits !

-Non bredouilla-t-il

-Arrête de me mentir, je ne suis pas conne, je le vois bien !

Marie s’habilla.

-Où vas-tu ?

-Je sors, j’en ai marre !

Il essaya de la retenir, mais elle refusa qu’il la touche.

- Laisse-moi ! Et elle claqua la porte.

Alexandre resta assis sur le lit. Il ne fit même pas l’effort de la rattraper. Il était partagé entre le désir de dire à Marie qu’il n’aimait qu’elle, et celui de rencontrer à nouveau Célia, qui déjà lui manquait. Malgré lui, ses yeux se fermaient, et il sentait le sommeil s’emparer de lui. Il ne résista pas bien longtemps à la tentation et se laissa glisser lentement, pour finalement perdre conscience. Dans un carnet Moleskine, chaque matin à son réveil, Alexandre notait dans les moindres détails, les souvenirs de ses rêves, commençant toujours par celui de Célia. Il prenait le temps de soigner son écriture à chaque fois qu’il écrivait son prénom, comme un écolier consciencieux, s’appliquant de son mieux pour se faire bien voir de son professeur. Quand l’absence de Célia se faisait douloureuse, il relisait ces pages, et en un instant, tout lui revenait. Il lui semblait alors, qu’elle était à nouveau près de lui. D’elle, il ne connaissait que son visage, et sa silhouette blanche, légèrement floue, comme baignée d’une lumière vaporeuse. Pas une seule fois, elle ne lui avait répondu, et pourtant ce n’était pas faute d’avoir essayé. A présent Alexandre cherchait par tous les moyens à rentrer en contact avec elle. La liberté que lui accordaient ses rêves, ne lui permettait pas hélas d’atteindre son but. En sa présence, il devenait timide, mais avec le temps, avait réussi à surmonter cette peur, et nuit après nuit, il lui adressait la parole, mais en vain. La jeune fille se contentait de lui sourire tendrement sans jamais s’approcher assez près pour qu’il puisse ne serait-ce que l’effleurer. Marie avait erré dans les rues de Deauville en pleurs, avait éconduit un homme se proposant de la consoler. Elle était rentrée deux heures plus tard, épuisée, découragée. N’osant pas s’allonger à côté d’Alexandre, elle s’assit dans un fauteuil et se laissa prendre par le sommeil. Ce fut Alexandre qui la réveilla en l’embrassant dans le cou. Elle n’eut pas la présence d’esprit de le repousser, et accepta ses baisers.

-Marie, je t’aime. Je t’aime.

Mais déjà, elle n’écoutait plus et songeait à Célia. Elle aurait préféré qu’il la trompe. Au moins, les choses auraient été beaucoup plus simples. Sans doute ne l’aurait-t-elle pas pardonné et maintenant tout serait fini entre eux. Mais là, c’était impossible, elle ne pouvait se résigner à la perdre de cette façon. Elle se sentait impuissante face à une rivale irréelle. Ils déjeunèrent sur la terrasse sans se parler, puis Marie brisa la glace en demandant à son mari s’il acceptait de voir un psychiatre.

-Oui bien sur, si cela peut t’aider

-Mais Alexandre, c’est toi qui a besoin d’aide voyons ! Pas moi.

-Tu dois avoir raison. Oui je vais prendre rendez-vous.

Sans être vraiment convaincu du bien fondé de la chose, il avait accepté pour la rassurer, car pas un seul instant il ne doutait de lui et sa santé mentale.

Le lendemain après-midi, il avait quitté le bureau un peu plus tôt pour retrouver Marie qui avait insisté pour l’accompagner à son rendez-vous chez le docteur Steiner. Au téléphone, elle lui avait simplement dit, qu’elle et son mari avaient un problème conjugal, et pensait qu’il pourrait sans doute les aider. Le petit homme chauve au regard gris, les fit patienter dans la salle d’attente où trônait une statuette de Freud sur une table basse où diverses revues étaient empilées à la va vite. Le bureau du Dr Steiner était à son image, minuscule, dépouillé, d’une simplicité désarmante. Devant leur silence, il prit l’initiative.

-Que puis-je faire pour vous, pour quelle raison êtes-vous là ?

Après avoir regardé Alexandre, Marie prit la parole.

-Mon mari a des cauchemars, et cela a une incidence sur notre vie de couple.

Alexandre se défendit.

-Ce ne sont pas des cauchemars dit-il !

-Pour moi oui, fit Marie excédée.

Le Dr Steiner demanda à Alexandre de lui raconter en détail un de ses rêves.

-Mais c’est toujours le même s’interposa Marie.

-Laissez votre mari, s’exprimer je vous en prie.

Et Alexandre commença donc son récit. C’était une souffrance pour Marie de l’entendre parler de Celia comme s’il s’agissait d’une personne vivante. Elle en avait la nausée.

-Et ce rêve se déroule de la même manière toutes les nuits depuis deux mois c’est ça ? demanda le Dr Steiner.

-Oui, presque toujours.

- Expliquez-moi.

-J’ai l’impression, que plus le temps passe et plus je m’attache à cette femme. Je sais cela peut paraitre étrange.

Le Dr Steiner se contenta d’hocher la tête silencieusement et prit le temps d’écouter Alexandre, puis Marie. Il les rassura et prescrit à Alexandre un léger décontractant à prendre le soir avant de s’endormir.

-Excusez moi j’aimerais parler quelques instants avec votre femme demanda le psychiatre.

Alexandre le remercia et les laissa seuls.

-Je ne veux pas vous inquiéter, outre-mesure, mais vous avez bien fait de venir me voir. Il ne faut pas laisser s’installer ce genre de situation. J’ai peur qu’il s’agisse des premiers symptômes d’une dépression. N’hésitez pas à m’appeler si tout ne rentre pas dans l’ordre ou si vous en ressentez le besoin. Tenez-moi au courant s’il vous plait. Dans une semaine par exemple.

-Merci, mais dites moi, tout va rentrer dans l’ordre n’est-ce pas ?

-Oui il n’y a aucune raison. Rassurez-vous.

 Alexandre l’attendait dans la voiture, l’air absent, le regard perdu. Il ne lui demanda même pas ce qui lui avait dit le psychiatre. C’est elle qui aborda le sujet.

-Il pense que tu couves une dépression. C’est grave.

-Non, je suis juste fatigué, tu te fais trop de souci, dit-il pour la rassurer.

            Ce soir là, Alexandre se coucha de bonne heure et avala le petit comprimé mauve.

Marie n’avait pas sommeil et lut un moment avant de le rejoindre. Cette nuit là, Alexandre eut du mal à retrouver Célia. Elle lui semblait si lointaine, si floue et malgré tous ses efforts, il n’arrivait pas à se rapprocher d’elle. A son réveil, Marie était encore assoupie. Il la regarda dormir. Il n’arrivait plus à la trouver aussi séduisante qu’ avant, tout en étant conscient qu’elle n’avait pas changé depuis leur mariage, ou tout du moins pas plus que lui. Objectivement il savait qu’elle était belle, mais n’avait plus d’attrait à ses yeux. Maintenant il n’y avait plus que Célia qui comptait pour lui, et c’était justement cela qui le troublait, mais de moins en moins. Avec le temps, il s’était fait à l’idée de tomber amoureux de cette inconnue. Il allait se lever lorsque Marie lui demanda s’il avait bien dormi, sous-entendant :

« Tu as encore rêvé d’elle ? »

-Oui pas trop mal fit-il d’une voix douce.

Elle prit son visage dans ses mains.

-Cela va aller, on va s’en sortir. Je t’aime.

            Toute la journée au bureau, il n’avait cessé de songer à Célia et à leur rendez-vous gâché par l’anxiolytique qu’il avait pris pour faire plaisir à Marie. Cette nuit là, Célia lui était apparue si lointaine, si floue. Elle qui d’habitude était si proche de lui. Leur rencontre avait été si brève, lui laissant un arrière gout d’inachevé et de frustration. Pour supporter l’interminable attente qui la séparait d’elle, il se souvint des autres nuits auprès d’elle où il se sentait vraiment vivre. A plusieurs reprises, il ne répondit pas quand on lui adressa la parole. Au début ses collègues s’en amusèrent, puis très vite s’inquiétèrent de ses absences répétées. Seule la sonnerie du téléphone parvenait à le tirer de sa rêverie et une fois la conversation terminée, il replongeait immédiatement dans cette léthargie. En partant, c’est à peine s’il salua les autres. Ce soir là, il se montra particulièrement attentionné envers Marie. Elle pleura en cachette dans la cuisine, repensant aux premières années de leur mariage, où ils étaient heureux tout simplement. Au moment de se coucher Alexandre fit mine de prendre son traitement, mais se contenta seulement de boire le verre d’eau posé sur la table de nuit. Il se débarrassa du comprimé mauve resté dans sa main, aux toilettes. Il embrassa Marie tendrement, avant de se retourner de son côté et d’éteindre la lumière.  

            Enfin il retrouva celle qu’il avait attendue toute la journée. Toujours sans un mot, elle s’avança vers lui en souriant. Alexandre tenta désespérément une fois de plus d’engager la conversation, mais en vain. Lorsqu’il s’approcha si près au point de pouvoir la toucher, elle disparut et il se réveilla. La semaine s’écoula lentement. Alexandre ne supportait plus son travail, ou tout du moins, toutes ces heures où il devait rester éveillé, toutes ces heures durant les quelles il était séparé de celle qu’il aimait. Il ne parlait presque plus au bureau, et les autres lassés de son silence, ne faisaient plus aucun effort de leur côté. Ils avaient pourtant bien essayé au début de l’aider, mais Alexandre n’avait rien voulu savoir et nié l’évidence. Un soir dans la salle de bains, fatigué, il ne fit pas attention que le comprimé avait manqué sa cible, et était  tout simplement tombé par terre. Machinalement comme toutes les autres fois il tira la chasse et rejoignit Marie au lit. Le lendemain, elle se leva et alla aux toilettes. C’est en se lavant les mains, que son regard fut attiré par cette petite tache violette sur le carrelage blanc. Elle se baissa et ramassa le comprimé. Elle hésita, mais si peu et comprit alors qu’Alexandre, une fois de plus lui avait menti. Elle se mit à pleurer.

            Le jour même, Alexandre s’absenta de son travail pendant plus de trois heures sans prévenir personne. Lorsqu’il revint, il semblait détendu et ne comprit pas un instant pourquoi les autres le regardaient ainsi. Ne pouvant plus supporter l’absence de Célia, il avait tout simplement pris une chambre dans un hôtel et s’était endormi dans l’espoir de la retrouver.

Et elle avait répondu à son invitation, toujours aussi mystérieuse et silencieuse, baignée par cette lumière blanche si douce, apaisant Alexandre à chaque fois.

            Marie avait attendu ce moment toute la journée. Alexandre assis sur le lit, un verre d’eau dans la main, faisait semblant d’avaler son médicament.

-Tu te fous de moi ou quoi ? demanda Marie

-Pardon ?  

-Tu me prends vraiment pour une conne ! Tu crois que je n’ai pas compris ton petit manège. Tu peux t’arrêter de suite, et foutre toute la boite d’un coup aux chiottes, cela ira plus vite.

Là, il n’essaya même plus de nier et se tut.

-Pourquoi, mais pourquoi, cria Marie. Tu n’as plus confiance en moi ?

Il ne répondit pas et s’allongea.

-Tu crois t’en tirer comme ça ? Je ne vais pas te laisser dormir pour retrouver cette pute.

-Tais-toi, tu ne sais pas de quoi tu parles, cela suffit ! dit Alexandre

-Oh la, la il ne faut pas toucher à ta petite chérie, c’est ça ? Mais Merde, redescends sur terre, tu es amoureux d’un rêve, tu te rends compte ?

-Tu ne peux pas comprendre, c’est impossible.

-Tout ce que je comprends, c’est que le Dr Steiner avait raison, tu es gravement malade.

Alexandre lui demanda de se calmer, car il était fatigué et avait besoin de se reposer.

-Non, hors de question !

Sans un mot il se leva et s’habilla.

-Où tu vas comme ça ?

-A l’hôtel.

            Le lendemain matin, il se rendit directement à son travail où son directeur le prit à part et lui demanda des explications au sujet de son absence de la veille. Alexandre s’excusa mais ne trouva rien d’autre à dire. Mr Contenson perdit alors patience.

-Mais vous vous moquez de moi, ayez un peu d’imagination au moins ! Inventez-moi une histoire crédible. Je ne sais pas, votre femme était malade, vous avez du l’emmener à l’hôpital. Cela passe toujours généralement ce genre de trucs.

-Non, Marie va très bien, je vous remercie Monsieur, et il s’en alla.

-Alexandre, attention, vous allez trop loin là.

Mais il n’écoutait déjà plus.

            Lorsqu’il rentra à la maison, Marie l’attendait. Ils essayèrent bien de parler, mais quelque chose s’était brisé et plus rien ne serait comme avant. Tous deux en étaient conscients, mais ne pouvaient rien faire contre cela. Marie n’avait même plus le courage de se battre pour leur histoire d’amour, pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Les jours suivants, tout se précipita. Un matin Alexandre ne se rendit pas à son travail et passa toute la journée au lit. Comme un dimanche, il eut la joie de retrouver à plusieurs reprises Célia. Marie ne supportant plus de le voir ainsi, était allée chez sa mère et n’était rentrée que le soir. C’est à peine si Alexandre s’était rendu compte de son retour. Plus le temps passait et plus Marie devenait invisible à ses yeux, perdant petit à petit de sa réalité. Lui-même, maintenant s’interrogeait sur le sens de ce mot. Existait-il une seule réalité, ou alors une multitude de réalités n’en faisant qu’une. Et si tous les autres se trompaient, et si la seule et unique réalité était justement celle qu’il connaissait avec Célia. Le lendemain, malgré les conseils de Marie, une fois de plus il avait refusé d’aller travailler, sans même songer à prévenir son directeur. Marie s’en chargea et fit part de ses inquiétudes à Mr de Contenson qu’elle connaissait un peu. Il prit le temps de l’écouter et lui avoua à demi-mots que lui aussi se faisait du souci pour Alexandre.

-Il a tant changé en si peu de temps.

            Alexandre ne quittait presque plus son lit, se lavait un jour sur deux, ne se rasait plus. Marie impuissante, le fuyait, passant le plus clair de son temps chez ses amies ou avec sa famille. Mais Alexandre semblait si serein, si heureux, que son bonheur en était presque écœurant, car malsain et insultant pour Marie. Un matin vers neuf heures, on sonna, Marie ouvrit aux infirmiers. Alexandre dormait si profondément qu’il n’avait rien entendu. Quand il se réveilla, il était déjà trop tard, deux infirmiers l’avaient immobilisé.

-Bonjour Monsieur, vous allez venir avec nous à l’hôpital, vous avez besoin de vous reposer.

-Mais c’est ce que je fais ici, répondit-il calmement

-Oui sans doute, mais là, vous allez nous suivre, ce sera mieux.

-C’est toi hurla-t-il en regardant Marie, c’est toi pour me séparer de Célia !

Marie se mit à pleurer et s’enferma dans la chambre, elle ne voulait pas assister à tout cela. Elle entendit seulement les cris et les insultes d’Alexandre.

            Trois mois s’étaient écoulés depuis l’hospitalisation d’Alexandre. Dès qu’elle en avait eu l’autorisation, Marie lui avait rendu visite. La première fois, elle ne le reconnut pas, tant il avait changé. Bouleversée, elle prit sur elle, et lui parla tendrement, mais il ne l’écoutait pas. Le regard vide, il semblait fixer un point imaginaire sur le mur blanc. Très vite Marie renonça à ces visites qui lui faisaient trop de mal. Les psychiatres étaient assez pessimistes. Les différents traitements s’étaient montrés inutiles. Alexandre fuyait la réalité de son plein gré, et ils étaient impuissants face à cela. Ils avaient laissé peu d’espoir à Marie.

            Trois mois, qu’il avait appris à vivre sans Celia, qui depuis son arrivée ici l’avait abandonnée. Il avait bien essayé de refuser les médicaments qu’on lui proposait, mais les injections douloureuses avaient fini par le convaincre, qu’il était inutile de vouloir leur résister. Assis sur son lit, toute la journée, sur le mur, devenu un écran de cinéma, il se repassait en boucle, le film de ses nuits avec Célia. Ici tout était blanc, cette couleur qu’il avait tant aimée grâce à Célia, était devenue la chose qu’il haïssait le plus au monde. Un matin la porte de sa chambre s’ouvrit, mais quelque chose avait changé, comme si les différentes nuances monochromes du blanc s’étaient soudainement mélangées pour n’en former qu’une seule, douce, pure comme celle qui autrefois entourait le visage de Célia. Il fit l’effort de lever les yeux et à cet instant il la vit. Célia était devant lui, comme dans ses songes les plus précieux, mais elle se tint à distance. Un autre infirmier était avec elle.

-Célia, dit Alexandra. Tu es là mon amour.

La jeune femme recula et l’infirmier prit le relais en tendant le pilulier à Alexandre.

-Célia, viens mon amour, je t’attendais et il se leva.

-Allez, on avale ça !

-Célia !

L’infirmier ne perdit pas de temps et sortit de la chambre avec la jeune fille.

-Ben tu n’as pas de chance, pour ton premier jour ici, tu provoques une crise ! dit-il en souriant pour rassurer la nouvelle infirmière.

                                                                      FIN

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