Le Rêve... Pour fortune!
robert-henri-d
L'hiver qui s'était d'abord installé dans la plaine avait pénétré jusqu'au coeur de la forêt alourdie par une brume épaisse qui s'insinuait parmi des arbres démesurés tendant leurs bras désabusés difformes et empesés, tandis qu'un petit homme trapu chaussé de vieux sabots emplis de paille, avance péniblement: il a le dos voûté par le poids de son chargement de fagots. D'un pas claudiquant sur le sol verglacé, il glisse çà et là fatigué sur des cailloux et se fourvoie dans les ornières cachées du chemin sinueux, cela déséquilibrant son fardeau chaque fois... D’un coup maladroit de son épaule endolorie, il redresse pourtant le tout de son mieux, et repart d'un mouvement hésitant et glacé, vers la lumière de son destin capricieux. Quelque peu angoissé par l’opacité de la forêt, le petit homme accélère sa cadence, ses yeux sont à présent fixés sur la luminosité lointaine qui scintille comme un diamant de givre, mais c'est alors qu’il s’en approchait un peu que celle-ci s'est mise à danser en sautillant de part et d’autre du sentier gelé; puis cela s’arrêta un instant, avant que reprenne le même balai vacillant. Alors le petit homme s'était senti frémir d'angoisse. Il crut remarquer qu'une traîne évanescente évoluait derrière la lueur étrangement capricieuse qui barrait son chemin. Tout tremblant, il s’arrête un instant, pose ses fagots, puis il frotte ses yeux énergiquement à plusieurs reprises, mais la lumière est toujours là bas devant à poursuivre sa sarabande qu'accompagne à présent l’étrangeté fantomatique d'un lambeau de brume égarée tel un blanc feu follet. Pourtant le petit homme est courageux: reprenant son fardeau de bois sec, il poursuit malgré tout son chemin, les yeux rivés sur le sol, n’osant les lever vers la clarté... Le sentier devient moins sinueux, les arbres plus épars, tendis que des fougères mourantes qu'il caresse au passage semblent en frémir d'émotion.
Le petit homme va bientôt atteindre la clairière où dort sa maisonnette, veillée par la lune qui s'installe dans l'ombre timide du soir naissant. Encore quelques poignées de minutes et elle éclairera peut-être la trop grande intimité de la lande alentour.
Lorsqu’il était enfant, la mère du petit homme, lui avait conté plusieurs fois l'or de longues veillées hivernales, qu’une femme du bourg voisin avait été accusée il y a longtemps de cela pour avoir semblait-il procédé à des actes de sorcellerie. Ainsi les notables du village, afin que la population retrouve la sérénité et eux leur dignité malsaine, décidèrent de la condamner à être brûlée vive en place publique. malgré ses cris et face à l’intolérance et l’inertie des habitants superstitieux, la sois dite sorcière avait donc périt sur un bûcher érigé face à l’église, mais alors qu’elle était dévorée par les flammes purificatrices, elle leur avait juré qu’elle trouverait un moyen de se venger. Cette affirmation plongea certainement la foule d’alors dans l’effroi qui prise d’une panique soudaine, s’éparpilla sans assister davantage au supplice écoeurant de la chair brûlée, car, sorcière ou pas, la pauvre femme avait néanmoins prononcé une malédiction, alors en dépit des actes exorcistes, toutes les personnes présentes à l’exécution se calfeutrèrent chez elles dans l’espoir d’échapper à la honte de ce qu‘ils avaient fait.
Depuis ce jour à l’horreur fatidique, une peur incontrôlable hanta les villageois, et personne ne se hasardait plus d’aller à la nuit tombée dans les sombres sous-bois de la forêt qu’il ressentaient trop opaque et profonde, et d’ailleurs quelqu’un qui s’y était parait-il malencontreusement attardé en revenant de la ville par le raccourci forestier, par un soir de grande brume, jura ses grands cieux d’avoir fuit l’âme errante de la sorcière probablement en quête d’un corps.
A ce souvenir, le petit homme empli d’effroi, avait abandonné son bois et s’activait cette fois, afin de rejoindre sa cabane au plus vite où l’idée d’une soupe fumante le réconfortera. Ses narines en frémissant déjà. Fuyant l’esprit hantant peut-être la forêt il se surprit même à courir si bien qu’il était arrivé devant sa porte, le souffle court, les jambes tremblantes. Dans l’âtre, la grosse marmite bouillonnait de plaisir . Il en soulèva le couvercle, humant l’arôme enjouée, puis il s’assied au pied de la cheminée pour s’y réchauffer quelques instants, tout en se félicitant d’être arrivé sans encombre dans sa chaumière... Demain, il irait récupérer ses fagots laissés pas très loin sur le bord du sentier. Rasséréné, il prend un bol en grès, se saisit de la louche qu’il plonge voluptueusement dans la soupe odorante, verse le bouillon brûlant qu’il accompagne de quelques morceaux de pain rassis, et déguste religieusement se maigre bouillon qu’il s’imagine plantureux qu’il termine d’une lampée qui se révèle au moins chaleureuse pour son corps rassuré. À peine repu du liquide, il dégrafe le haut de son pantalon, aprés avoir dénoué la ficelle lui servant de ceinture, et s’affale entre les bras eaides mais tout de même accueillants d’un très vieux fauteuil aux ressorts gamissants sous un cuir trop avachit. Engourdi par la douce chaleur que diffusait l‘âtre garni d‘une grosse bûche: le Petit homme harassé par sa course effrénée dans la forêt somnolait inconsciemment, lorsqu’il fut réveillé par des coups frappés contre sa porte. Cela se répétant plusieurs fois avant qu’il ne réagisse. Mais, ses craintes l’assaillent de nouveau: et si c’était l’âme errante? Si elle était là, derrière la porte, attendant qu’il ouvre pour l’emporter à jamais dans le brouillard des nuits froides éternelles. Les coups résonnent à nouveau, comme des ordres impatients. Après tout, ce n’est peut-être qu’un voyageur égaré pensa le petit homme. Digne de courage et de générosité hospitalière il se lève tremblant tout de même un peu de son héroïsme, il entrouvre la porte au froid qui glace, jette un regard furtif dans l’entrebâillement...
Quelle ne fut pas sa surprise! En y apercevant une jeune fille aux cheveux de feu emmitouflée dans une couverture alourdie par la neige, ses yeux rougis par l’air vif: elle se tient devant lui ouvrant cette fois la porte grande: le regard est implorant, les lèvres frémissantes, grelottante, ne peuvent articuler un mot. Elle est là comme pétrifiée, à bout de forces. Alors dans un geste compatissant, le petit homme l’entoure de ses bras et l’aide à entrer précautionneusement, la soutenant à chacun de ses pas mécaniques. Puis il l’installe avec délicatesse dans son fauteuil près de l’âtre et lui tend un bol de soupe fumante, attendant en silence qu’elle lui parle. Il ne peut s’empêcher de la dévisager: elle d‘une beauté sauvage, elle boit avidement le liquide brûlant qui la réchauffe peu à peu. De temps en temps elle l’observe, furtivement, comme guettant apeurée le moindre de ses mouvements. Lui, fébrile, s’est effacé dans un coin de la pièce, semblant léché par instant de la clarté vacillante émise parcimonieusement de l’âtre rougeoyant, sensible à chacune des vibrations transies de son invitée nocturne, chacune de ses demandes muettes affleurant le regard de braise voilé par de longs cils recourbés. Le petit homme ignore quel comportement adopter face à cela. Tout à coup il prend conscience qu’aucune femme n’a jamais pénétré en sa trop modeste demeure. C’est avec amertume qu’il réalise alors qu’à l’instar des soins limitatifs que lui avait accordé sa mère dès sa prime enfance, elle avait en fait abusé souvent de sa candeur, tout autant que de sa confiance obligée par les infirmités dont il souffrait: elle lui avait transmis et maintes fois certifié pour s’en débarrasser, que vivre dans les profondeurs de la forêt lui assurerait une protection contre la moquerie des enfants et le protégerait aussi de la vindicte des adultes. C’est donc l’esprit empli de crainte et de doute envers la société qu’il passa son enfance à la fuir, et son adolescence à la haïr, ratant ainsi son entrée dans le monde des adultes. Pour seuls compagnons véritablement charitables, il avait eu en premier les animaux de la ferme et puis ceux de la forêt qu‘il n‘avait en aucun cas voulu piéger pour s’en nourrir... Il n’avait jamais dérogé à cet ordre péremptoire vivant des végétaux qu’il savait trouver dans son environnement protecteur. Il ne souhaitait pas créer de souffrances supplémentaires et inutiles aux êtres de chair, se disant que dans la forêt il y avait tout le nécessaire. Ainsi les années passaient sans qu’il n’en ressente la moindre frustration.
La jeune fille avait posé le bol sur ses genoux. Puis elle s’était doucement assoupie. La couverture ayant glissée de les épaules nues, le petit homme hésitait ne sachant décider s’il devait ou non la lui remettre en place craignant de l’éveiller, puis il se décide à le faire tout de même avant d’aller raviver le feu. Après un dernier regard à la belle endormie, il gagna son lit et s’allongea enfin sur sa paillasse tout en nourrissant quelques scrupules de ne pas avoir songé à la lui proposer mais épuisé par tant d’émotions, il s’endormit à son tour, la tête emplie de rêves enchanteurs, balayant pour lui ses peurs et ses angoisses.
Alors qu’il était à voyager enfin heureux dans ses songes, la jeune fille s’étira mollement, allongea ses jambes vers les tisons, massant délicatement ses petits pieds en grimaçant. Puis une fois debout, elle se débarrassa de sa couverture en la posant sur le dossier du fauteuil, puis elle dénoua ses longs cheveux, les libérant comme une joyeuse cascade tombant jusqu’au creux de ses reins. La longue capeline qu’elle avait de masquée par la vieille couverture scintillait en féerie mouvante par les rougeoiements complices des flammes, en jetant mille paillettes autour d’elle. Du bout des doigts elle se saisit d’une flammèche et la transforme en un farfadet qui soudainement animé d’une frénésie débordante, change la paillasse du petit homme en un lit charmant recouvert de draps de satin blanc, l’ornant d’un baldaquin d’or pourvu de jolis voilages fins, d’un édredon gonflé de plumes d’eider et devant, dépose une paire de chausses cousues de fils d’or.
Le farfadet, tel un oiseau qui serait « Vif Argent », ne cesse de virevolter en tous sens passant simultanément d’un recoin à l’autre de la pièce qui se transforme à chacun de ses mouvements. La bonne vieille grosse table devient une table d’apparat nappée et dressée, pourvue de chandelles allumées dans des photophores en étain. Des mets raffinés se cachent sous des cloches en argent exhalant à peine leurs suaves senteurs adroitement cuisinées. Il y a des verres de cristal ouvragés, des couverts estampillés venant parachever cet étalage de luxe. Le vieux fauteuil aux accoudoirs et au dossier élimés devient, en un déplacement d’air, une méridienne recouverte d’un boutis de velours pourpre à l’aspect somptueusement alangui. La triste cheminée engluée de suie est subitement parée de marbre veiné et rehaussée d’une tapisserie de chasse épique, éclairée par deux candélabres allumés.
La jeune fille riait silencieusement de bonheur devant l’agitation incessante de «Vif Argent» tout en lui chuchotant de prendre garde à ne pas éveiller le petit homme tant que la métamorphose n’est pas terminée. Le farfadet exécutait sa tâche en prenant soin que tout corresponde au désir insufflé par les rêves du dormeur. Puis par un claquement de doigts de la belle disparut...
Dans la nuit réalité, le feu s’est pourtant éteint. Les chandelles sur le rebord de la cheminée se sont consumées. La marmite dans l’âtre s’est tue. Le vent glissant sous la porte glace le petit homme qui se réveille sous la morsure d’un grand froid qui l’envahit jusqu‘aux os.
Alors qu’il étire ses membres engourdis d’avoir longtemps rêvé. Puis il plisse les les paupières un instant pour soulager ses yeux secs, et c’est en les ouvrant éveillés que tout commença autrement... Comme dans son rêve...
Les mets sur la table endimanchée parfumaient à nouveau la pièce de douces saveurs. La liseuse recouverte de coussins mordorés apparaissait confortable et accueillante. Le feu ravivé distillait la bonne chaleur. S’asseyant dans son lit il effleure d’une main l’édredon soyeux, tandis que l’autre rencontre un coussin festonné de dentelles, alors il se loge aux creux des draps satinés...
Que s’est-il passé durant mon sommeil se demande le petit homme: - suis-je donc mort? Est-ce le paradis?
Un son soudain le fait bondir vers la porte, il y colle une oreille vaguement inquisitrice et croit entendre piaffer de l‘autre côté. revient en hâte vers le lit, glisse ses pieds dans la paire de chausses de brocards, et ouvre la porte... Et là, voici que devant lui, il découvre avec stupéfaction un cheval blanc, attelé à un cabriolet. Ne comprenant plus rien à cette situation kafkaïenne, il prit néanmoins le parchemin qu’un homme en livrée lui tendait. Après en avoir lu le contenu il décida que son rêve avait du bon, alors il alla prendre sur la méridienne, un collant chamarré brodé d’or, une chemise à jabots, une redingote de velours bordeaux, une montre à gousset, un catogan afin de se vêtir proprement, mais en passant devant la psyché pour s‘assurer de sa mise, il vit l’image d’un jeune homme fringant dans ses bottes, ne souffrant d’aucun handicap, et présentant un charme certain.
Certes, cette histoire me direz-vous est peut-être trop enfantine, mais sachez qu’à tout âge un homme sensible reste en son intérieur un enfant qui à besoin de rêver souvent pour s’accepter tel qu’il est: pauvre d’amour maternel en somme, bien que de bonne morale résiduelle... Alors, s’il vous arrivait de savoir aider une personne dans la peine qui ne se serait pas reconnue en vous qui trop l’avez vécue sachez que la vie imprévue pourrait bien vous mener ensuite à des évènements, prometteurs de meilleure fortune.
Robert-Henri D