Le rocher de La Galère

robinpclt

Une journée d'été comme une autre, dans un endroit isolé du monde.

Le sentier n'était pas difficile d'accès, mais réservait aux imprudents une somme d'obstacles visant à les empêcher d'atteindre la crique. On marchait sur une terre poussiéreuse, encerclé par les cigales, à l'ombre des basses forêts de pins. Le vent puissant, poussé par les flots, avait fini par faire flancher les troncs grâce à sa ténacité. Cette végétation anémorphosée, pareille à une carapace, dissimulait le ciel aux yeux qui auraient aimé s'y perdre. Tout ce qui poussait ici semblait subir la violence d'un souffle atomique constant, effet accru par la chaleur étouffante.

Le rocher avait une forme de sous-marin, et dominait l'espace alentour. On y grimpait en sautillant de bloc en bloc, en maintenant l'assurance de son pas pour ne pas se fouler la cheville. Tel un aimant, la pierre attirait des meutes de jeunes gens, prêt à en découdre avec le vide et l'adrénaline salée. Tous se pavanaient sur La Galère, de son nom propre, en affichant un air déterminé. L'ego du monde entier s'entassait sur ce bout de caillou. Les yeux, aveuglés par la lumière du soleil reprenaient toute leur vigueur pour toiser le corps de l'autre, sa posture et ses contorsions quand il s'élançait de différentes hauteurs. S'en était presque indécent, terriblement risible, tant les fiertés s'affrontaient sur ce minuscule point de la planète. C'était un rassemblement antique de vieilles statues grecques, dont la musculature se recouvrait d'une fine pellicule de sel. Les plus grassouillets, eux, se planquaient dans un coin, priant pour qu'aucun de ces dieux ne remarqua leur complexe. On sautait en avant, en arrière et dans toutes les positions possibles. Mais l'acrobatie seule ne suffisait pas. Il fallait en plus, tomber de l'endroit le plus haut, quitte à y risquer la vie. La vie était bien peu comparée au sentiment d'admiration, aux encouragements et à la piètre reconnaissance délivrée par le simple fait de se jeter à l'eau.

Pourtant, à mesure que passait la journée, la gloire s'estompait, et la populace repartait dans l'autre sens. Les gamins baillaient de fatigue pendant que les plus vieux se détournaient des cabrioles afin d'offrir leur attention aux portables. Une forme de lassitude s'était installé, alors que le soleil descendait de son piédestal. L'euphorie passait en abandonnant les esprits ivres d'une longue journée à boire les désirs et les illusions estivales.

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