Le ruisseau qui serpente, hommage à Brassaï

eminence

Un ruisseau dans la nuit noire. Que peut-il vouloir nous dire ?

Dans cette rue froide et grise serpente un ruisseau,

Ruisseau pierres et bitume, immobile comme glacé.

Reptile ville, longe pente, vers le bas, du haut,

Au pied d'un réverbère, à peine illuminé.


Mais qui pourrait dévier notre ondulant serpent ?

La nuit ? les rires d'enfants ? leurs bateaux de papier ?

Ils dorment. De jouer serait-ce le moment ?

C'est l'heure des pas variés des quelques passants.


Macadam, pour enjambées très vives ou traînantes,

Martelé de souliers, de bottes, d'escarpins, mêmes

Quelques pieds nus t'en souvient-il ? D'ivres ou d'amantes

Pour fouler ou caresser ces écailles si blêmes.


De l'incise d'un talon, de la mollesse semelle,

Le trottoir sait jauger de l'humeur l'altitude.

Noir et blanc, il voit les mille couleurs fades ou belles :

De gaieté ou de spleen, d'amour, de solitude.


S'élèverait-il souffler aux humaines oreilles,

D'une sagesse reptilienne, un bien précieux conseil ?

Il y susurrerait quelques maximes anciennes :

Antique “Hâte-toi lentement”, “Carpe diem”.


Mais qui l'entendrait, ce ruisseau bas, froid, muet ?

Les arbres bruissants, eux, réussiraient : hauts feuillus,

Charmes, hêtres, platanes, au long des rues bien ordonnés,

Convaincraient le marcheur à bonne hauteur de vue.


Alors, savant inutile, il fuit notre serpent.

Humble, il court sombre et froid, vers la descente toujours.

Il croise en silence les vaniteux ascendants,

Bipèdes érigés tout à leurs vains parcours.


En silence, il disparaît comme un fugitif.

Sage et sourd, affronte la tangente en furtif.

On l'attend, là-bas. L'eau vive qui le guide

L'agite et l'anime, en ses tourbillons morbides.


Sa fin se précipite, il rejoint ses semblables :

Autres caniveaux, torrents et ruisseaux aimables.

C'est aux grands fleuves, qu'ils joignent leurs minuscules courants

Ils renaissent et existent ? On les croyait mourants !


Immobile et froid, dénué de tout sentiment ?

Plutôt sage, calme notre ruisselant serpent,

A la faveur d'un nuage reviendra porter

Nos pas. Le philosophe, saurez-vous l'écouter ?

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