Le Sacré-Cœur d'Esmeralda
Boris Miramont
Brinquebalé par sa femme du musée d'Orsay à l'île de la Cité, ce touriste hollandais est essoufflé, épuisé. Accroché comme un collier, son appareil photo hybride de dernière génération oscille d'est en ouest. La lanière imprègne son cou d'une bande couleur confiture de fraises Bonne Maman. Dans son malheur, sa transpiration dense allège la douleur du mouvement.
A bout de souffle, il abandonne un instant sa conjointe. Les batteries de sa cigarette électronique sont à plat. Et non rassasié de la pollution émanant du popotin des vélibiens, il se rend au trot au troquet du coin. Dans un français parfait, il demande un Zippo et une cartouche de Gitanes. Le buraliste plaque l'addictif sur le comptoir. Un bruit de sabot de flamenco éclate du zinc. Ça valse, ça tambourine, les maracas accompagnent en contre temps les pas de Notre-Dame bien roulée. Son nom, Esmeralda. Virevoltante, elle s'extirpe du paquet de paille. Elle est nature, à consumer sans filtre.
Flamme fatale, le cœur s'emballe. En une bouffée, elle remplie le pauvre étranger d'une embellie pulmonaire. Les ambulanciers de l'Hôtel Dieu arrivent trop tard…bien avant tout de même sa compagne obnubilée par le regard des gargouilles fascinantes. La gypsy queen, à peine entamée, s'effondre en braise sur le macadam. Un jeune homme à l'affût la ramasse discrètement sur ce lieu de crime passionnel. Sur son ongle jauni, il l'écrase, l'éteint puis la range soigneusement dans un écrin. Une centaine de foulées et de marches d'escalier mouvants plus loin, il disparaît dans la crypte du métro Châtelet.
Culminant sur ce mont, cette butte, cette bosse de Quasimodo, la basilique est sa prochaine destination. Dans son ascension extra-funiculaire, ses doigts flirtent avec la brunette à la robe blanche froissée. Il s'assoit enfin sur l'une des marches du parvis. Il la rallume et lui crapote à la bouche : « Dieu est un fumeur de Havanes, tout près de toi, loin de lui, j'aimerais te garder toute ma vie, comprends-moi ma chérie ».