Le sapin de Noël d'Ella

Hélène Bahia

Le sapin de Noël d'Ella

               Elle s'appelait Ella. Elle avait consacré toute sa vie à s'occuper de ses enfants puis de ses parents. Les uns après les autres, ils étaient partis vers un autre monde, celui d'où l'on ne revient jamais. Le sort s'était acharné sur elle et à plus de soixante ans, elle se retrouvait toute seule et sans logis...

               Quelques années après le décès de ses parents, ses deux filles et leur famille périrent dans un accident d'avion alors qu'ils rentraient de vacances au soleil. A la suite de cette tragédie, son mari l'abandonna la laissant sans ressource. Ella, comme tant d'autres femmes, s'arma de courage et s'accrocha à la vie. On lui proposa un emploi de vendeuse dans un grand magasin. Ainsi, elle côtoyait du monde et oubliait ses peines. Toujours la première arrivée et la dernière partie, ce magasin représentait tout pour elle. Il était sa raison de vivre. Au moment des fêtes de Noël, l'immense sapin qui se dressait dans la coupole lui paraissait familier, l'apaisait comme s'il l'entraînait vers les cieux parmi ses chers disparus. Chaque année, le sapin réapparaissait, paré de boules et de guirlandes différentes et elle était envahie par cette sensation de sérénité.

               Ella ne comptait jamais ses heures de travail, ni ses services... Hélas, une nuit, seule dans son studio, elle fut saisie d'un malaise. Elle se sentit partir. Elle se vit flotter autour de l'immense sapin de Noël du magasin, jouer à cache à cache avec ses "filles" tout en s'accrochant aux décorations multicolores puis, elle dépassa la verrière et s'engouffra dans un tunnel si lumineux qu'elle eut l'impression d'être aveuglée. Une douce musique la berçait, ses parents l'accueillaient en souriant. Soudain, elle fit le chemin à l'envers, retraversa la coupole en verre... Ce fut le trou noir.

               Le lendemain matin, sa voisine et collègue, fut inquiète de ne pas la voir en bas de l'immeuble comme à l'accoutumée pour prendre ensemble le métro. Ayant un pressentiment, elle se précipita chez Ella, sonna à sa porte. Devant son silence, elle insista en l'appelant mais en vain. Elle se souvint qu'un jour, par précaution, Ella lui avait confié les doubles de ses clés. Elle courut chez elle et revint tout aussi rapidement. Dès qu'elle franchit l'entrée, elle aperçut Ella gisant sur le sol, aussi blanche qu'un linceul mais un souffle de vie l'habitait encore : elle respirait. Les secours intervinrent très vite. Ella ne se réveilla que huit jours après. Ni son corps ni sa parole ne réagissaient. Sa rééducation allait être longue et pénible. Pendant trois années, elle resta hospitalisée. A force de volonté, elle réussit à remarcher et à s'exprimer correctement. Lorsque sa guérison complète fut déclarée, on la renvoya à son domicile... malheureusement, faute de payer le loyer, elle n'en avait plus. Son amie, la voisine, l'hébergea mais Ella ne put y rester très longtemps. Un jour d'automne, elle se décida à rejoindre un foyer d'accueil où les séjours autorisés n'étaient que de courte durée. Ainsi, elle alla de foyer en foyer. Dans la journée, et par tous les temps, elle marchait dans les rues, sa canne à la main, s'asseyait sur un banc public en compagnie des pigeons qui venaient quémander quelques miettes. Ils étaient ses seuls amis.

               Noël approchait, la neige avait déjà recouvert d'un blanc manteau toute la ville. Ella restait fidèle à ses habitudes, affrontant le froid, elle allait nourrir ses pigeons. Ce matin-là, le soleil avait fait son apparition, les cristaux de glace scintillaient et l'animation avait repris dans le square qu'elle fréquentait. Des enfants jouaient à se lancer des boules de neige. L'une d'entre elles atteignit le visage d'Ella. Aussitôt, le jeune garçon responsable de cet incident s'approcha d'elle. Confus, il s'excusa. Ella n'était point blessée mais des larmes coulaient sur ses joues. Le garçonnet s'assit auprès d'elle essayant de la réconforter. Il s'appelait Simon et Ella se prêta au jeu des questions. Elle lui confia qu'elle avait eu un petit-fils comme lui. Simon, à son tour, lui raconta sa courte existence. Orphelin depuis l'âge de six mois, il vivait chez ses grands-parents. Sa grand-mère venait de mourir et elle lui manquait terriblement. Soudain, Simon se leva, prit la main d'Ella en l'obligeant à le suivre. Il l'entraîna chez son grand-père qui habitait tout à côté, une chartreuse au fond d'un jardinet dans lequel trônait fièrement un magnifique épicéa de plus de trois mètres de haut. Simon demanda à Ella de patienter avant d'entrer, le temps de parler à son grand-père. Lorsqu'il ressortit, la mine réjouie, il s'exclama :

               - C'est bon Ella, Papi accepte de t'héberger chez nous si tu veux bien faire la cuisine car depuis le départ de mamie, nous ne mangeons que des surgelés ou des pâtes ! Tu es d'accord, n'est-ce pas ? Dis oui !

               Ella ne pouvait espérer mieux. Trouver un toit, un foyer avec un enfant ! Elle s'empressa de répondre :

               - J'adore faire la cuisine et je vais vous mijoter de bons petits plats à ton papi et à toi, c'est d'accord mais à une condition : pour Noël, vous devez décorer ce sapin. Il est trop nu ! Il lui faut des guirlandes lumineuses, des boules de toutes les couleurs... sinon je repartirais !

               Un homme un peu voûté, grand plutôt maigre, aux cheveux blancs et hirsutes, non rasé apparut sur le perron :

               - Marché conclu ! Dès demain, vous aurez votre sapin de Noël, Madame ! Mais Simon et moi voulons manger un bon poulet aux olives et un gâteau au chocolat pour le repas de ce soir !

               Ainsi, Ella vécut longtemps auprès de Simon et de son grand-père. Elle avait trouvé son havre de paix, son sapin de Noël...

                                                                                                                              Hélène BaHia

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