Le savon

Pierre Gravagna

Une hymne au savon de Marseille

              Fine lamelle fondue sous une aisselle, ton prédécesseur vient de disparaître. Alors, j'ouvre le placard et dans la boite, celle où est écrit « Marseille », je glisse une main humide. Petit cube presque blanc, ta vie va démarrer. Tes côtés sont ornés de petites décorations naïves dont les prochaines douches vont me priver. Impossible de résister ! Je te colle à ma narine pour que ma mémoire avale ton odeur. Pas un parfum, une odeur, sans fioritures, sans prétention, sans histoire. Avant de te remettre dans le porte-savon, je l'ai bien lavé avec moi sous la douche. Puis je vous laisse tous deux, proprets, sur le lavabo, à gauche de la brosse à dents. Les douches et les bains passent, tu n'es pas toujours fidèle à ma peau. Plein de mousse parfois, tu participes à de drôles de jeux. Tu glisses entre deux cuisses. Mais c'est que, déjà, tu n'es plus vraiment toi-même. Un peu honteux, tu sais que tu ressembles à une savonnette. Et que la mort est proche, que bientôt ma main humide se glissera dans la boite, celle où est écrit « Marseille ».


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