Le Sombre

My Martin

Si tu sais aimer, tu ne craindras pas la mort

Les mythes -"récits épiques, fables, contes"- nous précèdent.

Ils plongent leurs racines loin dans le temps. Ils vivent, évoluent en arborescence, agrègent des histoires, des personnages. Ils nous transcendent, nous parcourent, construisent notre imaginaire et notre psyché. Ils nous génèrent, nous orientent, sous-tendent notre vie, car nous sommes faits d'images et de mots.


Ainsi Orphée -"L'Obscurité de la nuit", "L'Orphelin", "L'Esclave"-, qui jouait de la lyre et chantait.

Sa lyre avait sept cordes, en hommage au sept muses et comme caisse de résonance, une carapace de tortue. 

Poète des origines, né en Thrace (Nord-Est Grèce), région sauvage.

Son père était le Roi Œagre -"De la pomme de sorbier sauvage"-, ou selon certains auteurs, le dieu Apollon -dieu solaire, dieu moral. Sa mère était Calliope -"A la belle voix"-, nymphe des bois, muse de l'éloquence et de la poésie épique.

Orphée charmait hommes et femmes par son chant harmonieux, ainsi que les animaux, les rochers même le suivaient pour l'écouter.


Il voyagea en Orient, où il fut initié aux mystères. Orphée fut un passeur, un conciliateur, un devin. Il transmit les rites d'expiation, pour apaiser le courroux des dieux.

Le prêtre lui dit : "si tu sais aimer, tu ne craindras pas la mort".


Déjà âgé, il appartint à l'équipage des Argonautes (du navire Argos, "Le Rapide", nef à cinquante rames), sous la direction de Jason -"Le Guérisseur", fils du roi de Thessalie, en Grèce centrale-. Ils font partie de la génération précédant celle de la guerre de Troie.

Orphée faisait office de "chef de nage" : par son chant, il donnait la cadence aux coups de rame des Argonautes.

Ils partirent à la conquête du Bélier à la Toison d'Or. Ce bélier était gardé en Colchide (Géorgie actuelle) par un féroce dragon qui ne dormait jamais.

Le bélier symbolisait le feu, le soleil, le statut de héros ; par ailleurs, depuis toujours, on utilisait les peaux de mouton en Colchide -de "khalkos", qui désigne le cuivre- pour l'orpaillage, piéger les paillettes d'or, abondantes dans les cours d'eau de la région.

Les actions d'Orphée furent décisives pour conquérir ce fabuleux talisman.


Son épouse, la nymphe Eurydice -"A la justice sans bornes"- mourut, mordue par un serpent. Il se souvint alors de l'enseignement du prêtre en Orient.

Il savait aimer, il ne craignait pas la mort. Il vaincrait la mort. Ou elle le tuerait, conne elle avait tué Eurydice, mais elle ne pourrait tuer leur amour éternel. Il durerait plus que la mort transitoire, dérisoire.

Il prit sa lyre et descendit aux Enfers -"Lieu en-dessous". Il charma les terribles Juges par son chant pour sauver Eurydice, la ramener à la vie. Mais au dernier moment, il se retourna pour la contempler.

Eurydice bascula en arrière


... Et n'eut rien que le temps de lui crier Adieu.      ...

Tristan L'Hermite (château du Solier, Lozère, 1601 - Paris, 1655) "Orphée", La Lyre


précipitée dans le Royaume des Morts, où elle erre à jamais.


Orphée fut tué par les Ménades -"les Furieuses"-, les adoratrices qui dansaient dans le cortège du dieu Dionysos -"Deux fois né", dieu du vin, de la vigne et de l'ivresse.


Pourquoi ?

... Par dépit, car Orphée ne leur accordait pas d'attention, inconsolable après la disparition d'Eurydice.

... Orphée avait médit de Dionysos, il s'était détourné de lui, il avait offensé les dieux. Il ne les avait pas apaisés par les rites appropriés, alors que cependant il les connaissait.

... Orphée haïssait les femmes. La haine et l'amour puisent leur force à la même source. Orphée s'était retourné volontairement pour perdre Eurydice. Il avait pris conscience qu'il ne l'aimait plus. Il ne désirait plus vivre après d'elle, ombre de malheur.

... Orphée ne savait plus aimer, tourné vers le passé. Il ne savait plus vivre, il ne croyait plus en l'avenir. Il devait craindre la mort, mourir. Il était déjà mort.


Le mythe se poursuivit, le corps d'Orphée fut démembré. Ensevelie dans l'île de Lesbos, sa tête coupée rendit des oracles pendant la guerre de Troie (XIIe siècle avant J.-C.).


Dès le VIe siècle avant J.-C., se développa l'orphisme, courant d'une communauté religieuse fermée (initiation, mystères).


*


Dans le département des Deux-Sèvres, est situé le château d'Oiron, centre d'art contemporain appartenant à l'État. 

Ce beau château a été édifié à partir du XVIe siècle par la famille Gouffier, qui a jadis rassemblé une fabuleuse collection d'art.

Il abrite une collection spécifique, "Curios & Mirabilia" -Curiosités & Merveilles-, sur le thème du cabinet de curiosités.


Claude Gouffier (1510-1570), Grand Écuyer de France, fut comte de Caravas/Caravaz (Caravaggio, en Lombardie).

L'un des plus grands collectionneurs et amateurs d'art de son temps : il possédait des tableaux de Raphaël, des tapisseries, des tentures de cuir, des livres enluminés, de l'argenterie,...

Il inspira le personnage du marquis de Carabas, dans le conte "Le Maître chat ou le Chat botté", de Charles Perrault (1628-1703).

... Le roi, qui passa un moment après, voulut savoir à qui appartenaient tous les blés qu'il voyait. « C'est à monsieur le marquis de Carabas, » répondirent les moissonneurs ...


A l'étage, la galerie, avec douze scènes peintes peu avant 1550 par un atelier italien originaire d'Émilie, librement inspirées de l'Iliade et de l'Énéide.

La dernière composition -peinte en premier- présente l'entrée des Enfers, gardée par le chien à trois têtes Cerbère. Et le Tartare -étymologie obscure, peut-être d'après une onomatopée pour caractériser un monde effrayant, mauvais, ou même racine que "Barbare"-, endroit le plus profond où les pires criminels reçoivent leur châtiment.


Partout dans le château, Claude Gouffier a inscrit sa devise "Hic Terminus Haeret"

-"Ici est la fin" ou "Ici est un défenseur de la culture et de ses chefs d'œuvre"-,

paroles de Didon dans l'Énéide, qui annonce son suicide au retour d'Énée.


*


Fable "Les deux pigeons" (1678)

Jean de La Fontaine (né à Château-Thierry -Aisne- en 1621 - mort à Paris en 1695)


   Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.

   L'un d'eux s'ennuyant au logis

   Fut assez fou pour entreprendre

   Un voyage en lointain pays.

   ...


   Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !

   Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?

   Ai-je passé le temps d'aimer ?


*


"Si tu sais aimer, tu ne craindras pas la mort."


Ai-je aimé ?

je crains la maladie, la vieillesse et la mort

je ne sais rien


*

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