Le syndrome de la page blanche
candeur
L'une en face de l'autre, elles se regardaient sans un mot. Dans l'air, la tension était palpable. L'une narguait de sa blancheur de vierge. Tandis que l'autre menaçait de son stylo plume. Leur face à face durait depuis des jours. Aucune d'elles n'était prête à céder la première.
-Chérie, je suis rentré ! lança soudain une voix, rompant le silence dans lequel elles s'étaient enfermées.
L'homme qui avait prononcé les mots apparu à l'encadrement de la porte. Il posa un regard attristé sur la jeune femme qui, la tête baissée, n'avait osé lâcher des yeux sa redoutable adversaire.
-Ce n'est pas en dévisageant cette malheureuse feuille que l'inspiration viendra, fit tristement remarqué le quarantenaire.
L'intéressée leva enfin le visage, tout en lui adressant un pauvre sourire. Elle avait les traits tirés et le teint blafard. Cette page blanche qu'elle redoutait tant était en train de lui ruiner la santé. Elle se leva difficilement et vint déposer un rapide baisé sur les lèvres de son fiancé. Elle retournait en direction de sa tortionnaire, mais il la retint par le bras. Il la serra fermement dans ses bras, comme s'il avait peur qu'elle ne lui soit enlevée par ce tourment qui la hantait, et il lui avoua tristement :
-Tu me fais peur. Cela fait des mois que tu n'as pas écrit un mot. Tu restes cloitrée ici à la laisser te ronger de l'intérieur.
Il n'avait pas besoin de préciser qui était le « la ». Elle savait. Ils savaient tous les deux. Elle n'essayait même pas de le contredire : elle le savait mieux que personne. Et pourtant, chaque jour, elle ne pouvait s'empêcher de retourner s'asseoir devant elle, en attendant qu'elle ne la détruise un peu plus d'heure en heure, tel un toxicomane ne pouvant se passer de la drogue qui le tue à petit feu.
-Tu dois sortir ! Tiens, ce soir, je t'invite au restaurant. Va vite te préparer, reprit-il, essayant de dissimuler les tremblements de sa voix.
-Mais, et mon roman…, tenta la jeune femme dans un cri de désespoir, comme un enfant que l'on aurait privé de son jouet.
-Au diable ton roman ! s'emporta-t-il soudain. Tu ne vois donc pas que tu finiras par mourir de ce maudit roman dont pas un seul mot n'a déjà été écrit !
Choquée par la violence de l'homme qu'elle aime, elle s'enfuit dans la salle-de-bain où elle éclata en sanglots. Lui, tomba lourdement sur le sol, regardant avec désolation la bibliothèque où s'alignaient fièrement les livres qu'elle avait déjà écrit.