Le syndrome de Stockholm avec John Holmes

thibaultdenisty

N'ayant jamais mis les pieds en Scandinavie, je pensai bêtement, petit, que la propension d'un otage à tomber amoureux de son geôlier était propre à ces grandes têtes blondes de suédois-es.

J'ai compris que l'expression était liée à un fait divers qui s' y était déroulé quelques années auparavant.

Rien à voir, donc.

Ca me rassurait.

Lorsqu'il est entré chez moi par effraction, je lavais les verres que des amis avaient laissé vides la veille au soir. Je n'ai pas poussé un seul cri.

La pluie battait fort contre le velux de la cuisine. J'aurais pu menacer de l'écorcher vif avec le laguiole qui marinait dans l'eau stagnante. Mais je savais qu'aucun objet contondant ne pouvait faire le poids avec son argument, grâce à qui il avait réussi, le bougre, à se forger une légende dorée, comme la mouche cantharide posée sur ledit couteau.

Je suis resté dans un entredeux assez étonnant : mi hagard, mi excité.

La pluie, dehors avait cessé. Dans cet état semi comateux, aucun bruit.

Les gouttelettes qui ruisselaient sur ses moustaches, détails symétriques qui naissaient là ou se termine le poil et venaient se mourir sur ses lèvres charnues et sensuelles, rythmaient la pulsation de l'air dans mes poumons ; tandis que lentement mais sûrement je tombai amoureux.


Devant cette situation ubuesque, il rit en soupirant et en inclinant légèrement la tête en arrière, comme le font les mauvais comédiens.

J'aurais du me méfier de son rictus.

Son air angélique ne l'a pas empêché de m'assommer (un petit coup, rien de méchant) et de me trainer ventre à terre derrière le sofa où il m'a ligoté avec une multiprises ramenée d'Amérique du Sud. Mes mains et mes pieds sont devenus violets, engourdis par le câble blanc, boa de fortune.

Mon nom est Holmes, John Holmes.

Je lui ai craché au visage. Et j'ai revu sa filmographie défiler. Je sentais ce doux plaisir de pouvoir en une seconde inverser les rôles, venger toutes ces femmes, frêles et innocentes qui avaient eu l'honneur de tourner avec lui. A ce moment là, je commençai vraiment à le détester.

Ah ça ! Pour un vantard, c'était un vantard.

Je n'ai pas tout de suite su sa motivation pour la simple et bonne raison que je ne comprenais rien à son anglais californien. Il ponctuait toutes ses phrases par des idiotismes trop exagérés pour être honnêtes. Alors de ma main gauche, liée mais néanmoins agile, je lui fis signe de me dessiner sur un papier ce qu'il voulait me dire.

Je guettais fébrilement les mouvements de son crayon en espérant qu'il ne me dessinât point un S doublement barré. Je voyais déjà mes amis et ma famille se cotisant pour payer ma rançon.

Quand je vis qu'il avait dessiné un visage avec un grand nez, la lumière fut.

Il avait visiblement eu entre les mains un script que j'avais écrit comme premier jet quelques années plus tôt.

Une histoire peu banale d'un homme qui avait un pénis à la place du nez. Un Cyrano en somme, un bergeracois des temps modernes.

Il écrivit sur le papier froissé :

« Let's do a movie of this shit. And you give me the leading part. I know everyone in Hollywood, very easy to produce. Sign this contract and I ll set you free.»

Au même moment, il sortit de sa gibecière 3 papiers froissés et mal agrafés : le contrat.

C'est injuste, le métier de scénariste devrait être considéré comme à risque.

J'étais partagé entre le mépris que je portais à sa façon de faire et l'idée séduisante de lui confier au rôle de composition. Après avoir négocié dans un sabir qu'il me détache pieds et poings, je lui demandai alors de me déclamer la tirade. Celle d'un nez mal placé, celle d'un sexe frontal, surélevé.

Il obtempéra. Et me demanda ensuite 5 minutes, temps nécessaire selon lui à entrer dans le personnage. Je lui objectai que d'habitude il avait besoin de moins de temps pour pénétrer la conscience de ses partenaires. Il rit sans comprendre.

5 petites minutes : le temps de m'assoir sur le sofa, de m'allumer une cigarette et d'étudier le texte qu'il sortit de son sac.

Dans un élan affectif et plein d'entrain, il se mit à débiter le texte. Et je découvris émerveillé le spectacle qui s'offrait alors.

Il ne semblait rien comprendre aux mots et aux effets de style que je m'étais efforcé de penser, de ciseler. Mais il avait dans son regard cet air qui électrise les yeux des ambitieux et ceux d'un homme qui monte à l'échafaud.

Les mots fusaient comme les balles d'un M16 bien huilé. Je le regardais faire, mi crucifié, mi tétanisé mais excité comme jamais ; tandis que ses vers savourés, faisaient corps avec mes pensées comme un métal chauffé a blanc épouse un moule. Il sautait tel un cabri et s'inventait des dizaines de partenaires qui l'encerclaient.

Il finit dans un explosion d'émotions.

Le silence.

Seuls son souffle d'avoir trop sauté et le mien de l'avoir écouté. Il vint vers moi, m'embrassa et me demanda pardon pour tout ce qu'il avait dérangé. Il disparut comme il était entré, sans autre forme de salut.

Je souris. Je tenais enfin un vers qui tienne la route :

« C'est un vit, un chibre. Que dis je ? Un chibre ? C'est un monticule ! »

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