Le taureau, au cou nerveux
My Martin
D'après le livre "Appia" (2015)
de Paolo Rumiz, né en 1947. Italien, écrivain voyageur
312 avant J.-C., à l'époque de la République romaine. La Via Appia, construite sur ordre d'Appius Claudius Caecus, politicien et auteur romain
La reine des routes. Rome-Brindisi, 580 km
Permettre une circulation plus rapide des personnes, du commerce et des armées
La route part de Rome, longe la côte tyrrhénienne, traverse les terres de la Campanie et de la Basilicate, pour terminer dans les Pouilles
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[...] A la sortie d'Itri (Latina, Latium), un mithræum, dans une roselière, entre deux terrasses plantées d'oliviers. Nous descendons dans l'antre, où l'on sacrifiait le taureau
L'autel, les conduites pour l'eau de pluie, la vasque, tout est encore là, et pourtant tout pourrait disparaître d'un moment à l'autre, englouti par le vide sous-jacent, par la faute d'une carrière qu a grignoté la montagne et qui maintenant, est sur le point de devenir un dépôt de déchets inertes
Un gentilhomme napolitain, Pasquale Valentino, nous a amenés là, après avoir entendu parler de notre passage et du but de notre voyage
"Cet antre a été le refuge de nombreux habitants d'Itri et de Gaeta pendant l'occupation allemande, puis on en a perdu le souvenir. Nous l'avons retrouvé il n'y a pas longtemps et nous savons déjà qu'il pourrait disparaître encore une fois, et pour toujours [...]
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[...] Dans la chambre noire du mithræum. Il m'attend dans les ténèbres, le dieu au manteau étoilé rouge et bleu. Il se tient là depuis deux mille ans, le couteau à la main, concentré sur le sacrifice rituel. Les détails surgissent au fur et à mesure que l'œil s'habitue à l'obscurité. La tête du taureau blanc, tiré en arrière par les narines, l'œil écarquillé de l'animal, la dague qui lui sectionne les artères du cou. Le scorpion lui pince les testicules, tandis qu'un chien court lécher le flot de sang. Le serpent. Un bref instant, j'ai le sentiment d'être resté tout seul dans le mithræum, devant la "tauroctonie" qui s'accomplit dans les profondeurs de Capua Vetere (Caserte, Campanie), à l'écart du fourmillement de vie à la surface
[...] Je suis devant un rite ésotérique, quelque chose de très postérieur à l'ère républicaine. Les liturgies d'une société secrète, liée par un serment de l'élite à l'ombre du trône impérial
Mithra, le sosie de Jésus, né lui aussi dans la pénombre et mort à trente-trois ans à seule fin de monter au ciel et de ressusciter à la vie éternelle. Culte de l'obscurité des catacombes, apporté à Rome par des marchands et des légionnaires, comme le christianisme. Lui aussi, le long de la Via Appia [...]
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Antiquité
Le culte du dieu Mithra
Mithra, divinité d'origine perse (Iran) ou indienne
Religion pratiquée en Iran oriental et Asie centrale
XIVe siècle avant J.-C. Dans un traité d'alliance proche-oriental, la première mention écrite relative à Mithra
En persan, Mithra signifie "contrat". Le dieu juge, apporte prospérité et abondance à ceux qui tiennent parole. Il punit les traîtres
Fin du Ier siècle après J.-C. Le culte viril (initiation, grades pour les adeptes) séduit les élites, puis se diffuse dans tout l'espace de l'Empire romain
Une centaine de mithræa sont connus -Rome, Ostie. En France, Bordeaux, Strasbourg, Angers, Biesheim (Haut-Rhin), Septeuil (Yvelines)
Franz Cumont 1868-1947. Historien belge. Le culte de Mithra aurait été introduit dans l'Empire romain par les soldats, de retour des campagnes d'Orient
Pour d'autres spécialistes. Un culte « né en Asie Mineure » (Turquie)
En même temps que Mithra, Rome se serait approprié des concepts du monde gréco-oriental ; il n'est pas possible d'établir une filiation entre le culte romain et les anciennes vénérations de Mithra, en Orient
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Fin du 1er à la fin du IVe siècle après J.-C. De la Macédoine (nord de la Grèce antique) à la péninsule ibérique, le culte est représenté dans les sculptures monumentales de l'Empire romain
Le culte est lié à l'astronomie / l'astrologie
Mithra, dans la grotte
Le jeune homme, genou plié, sur le taureau agenouillé
Il plante les doigts de sa main gauche dans les narines du bovin, le forcer à rejeter sa tête en arrière, à tendre le cou
De son bras droit, le dieu plonge son glaive, dans la gorge. Tranche les artères
Le sang du taureau donne naissance à la vie nouvelle
Les rites initiatiques ont lieu dans une cavité, près d'une source
Le culte de Mithra n'est pas clandestin ; il s'intègre dans le polythéisme romain
Pascal Capus, chargé des collections de sculpture romaine, fonds numismatique et méditerranéen, à Toulouse
"Le système qui caractérise la religion romaine est le polythéisme. Rome accueille des centaines de divinités venant de partout -les "sacra peregrina" (les cultes étrangers. Égyptiens, syriens, iraniens)
Ces dieux qui viennent de l'étranger, apportent des réponses que la religion d'État ou la religion officielle, n'apportent pas
Isis. Déesse funéraire égyptienne -Ier siècle avant J.-C., à Rome. Rusée, magicienne, épouse exemplaire. Elle revivifie Osiris, son bien-aimé, après son assassinat et son démembrement. Mère aimante, elle élève son fils Horus et le protège des assauts de Seth, dieu de la violence et du mal
Cybèle -"caverne", en phrygien. Magna mater, la Grande Mère. Déesse salvatrice de la terre et maîtresse des fauves. Elle possède un dieu parèdre (associé), Attis. Ses prêtres s'émasculaient en son honneur
Esculape. Il soulage la souffrance et ressuscite les morts. Le dieu de la médecine, importé de Grèce à la suite à d'une épidémie de peste (290 avant J.-C.)
Comme Mithra, des divinités importées, pour obtenir des réponses concrètes"
Certains dieux étrangers (ainsi Mithra) sont cantonnés au cadre privé
Réglementé et soumis à autorisation, sans caractère public, leur culte relève de la liberté individuelle
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Le mythe est représenté par les images sculptées, gravées, peintes sur des supports variés
Quatre scènes
Épisode « pétrogène » -né de la pierre. Le dieu sauveur naît du rocher
Nu. Armé. Coiffé du bonnet phrygien (de Phrygie, au cœur de l'Anatolie)
Encadré par les deux dadophores, Cautès (torche levée, Soleil levant) et Cautopatès (torche baissée. Soleil couchant, la mort)
Le porteur de lance (« miles ». Militaire)
Le pacte. Sol, dieu suprême du jour, envoie un corbeau messager à Mithra. Il lui ordonne de sacrifier un taureau
Mithra capture le taureau et le transporte dans une grotte. De son glaive, il procède au sacrifice. Mithra sauve, régénère le monde
Plusieurs animaux sont présents
Un chien et un serpent (les forces du mal) boivent le sang qui s'écoule de la gorge entaillée de l'animal
Pour en prendre le sperme, un scorpion pince le taureau, aux testicules
L'alliance. Sol et Mithra se serrent la main. Ils partagent un banquet
Mithra monte au ciel
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Philippe Roy, docteur en Sciences de l'Antiquité
Le culte de Mithra se célèbre sous terre. Les mithræa sont des bâtiments, à demi enterrés, pour représenter la notion de caverne. Ou dans les sous-sols d'un bâtiment préexistant. Plus rarement, dans des grottes réelles
La caverne est l'environnement du sacrifice. Mithra, dieu solaire, apporte sous terre son travail de générescence
Margaux Bekas, conservatrice du patrimoine
"A travers l'iconographie que nous ont livrée les sanctuaires découverts dans le monde romain, Mithra apparaît comme un dieu rédempteur. Il immole le taureau, un acte accompli à des fins salvatrices
Par le sacrifice du taureau, Mithra fait renaître la nature. Il régénère la végétation et du monde
Mithra est bienveillant, il protège le cosmos. Il est le garant de l'ordre universel"
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Le dieu porte une tunique plissée, un pantalon bouffant et un haut bonnet de feutre -traditionnellement associés aux peuples de cavaliers d'Iran et d'Asie centrale
Dans l'Empire romain, l'image de Mithra associe à ces éléments orientaux, un visage imberbe et juvénile, une chevelure bouclée -qui rappelle les représentations d'Apollon (dieu de la clarté solaire, de la raison, des arts) ou d'Alexandre le Grand (356 à 323 avant J.-C.)
Non spécifique à Mithra, cette iconographie corresponde à l'image de « l'Oriental »
Le bonnet phrygien caractérise les personnages venus d'Orient
comme Attis -dieu de la végétation perdue et retrouvée
ou Cautès et Cautopatès, les deux porteurs de torche qui accompagnent le dieu
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Constituées d'un faible nombre d'adeptes, les communautés financent l'entretien du sanctuaire. Si plusieurs communautés peuvent coexister sur un même territoire, elles restent autonomes
Sans autorité centralisée, chaque groupe s'organise à sa guise -associations reconnues par les pouvoirs publics, ...
Souvent, les communautés se forment dans un cadre professionnel
entre soldats d'une même légion
entre fonctionnaires -comme ceux de l'office des douanes
entre artisans ou commerçants
entre employés d'une même structure
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Le mithræum évoque la grotte, lieu central du récit mythologique
Chapelle voûtée, où se déroulent les banquets (des coqs sont consommés) et les sacrifices
semi-enterrée ou installée en sous-sol
La voûte peinte est décorée d'un ciel étoilé
Lorsque le mithræum est bâti en élévation, afin de maintenir la pénombre, les murs demeurent aveugles
Édifié par la communauté des adeptes, le mithræum est bâti à partir de bois, terre. Taille réduite, nombre limité de fidèles
Pascal Capus, attaché de conservation du patrimoine. "L'eau joue un rôle fondamental. A l'origine du mythe, Mithra né d'une roche, décoche une flèche contre une autre roche. L'eau coule, féconde, irrigue la terre désolée"
La pénombre évoque la grotte dans laquelle Mithra a mis à mort le taureau
L'entrée du sanctuaire se fait par un vestibule, situé le plus souvent en sous-sol
Les initiés revêtent leurs habits rituels
Ils s'avancent dans la salle d'assemblée, rectangulaire (11 x 5 mètres), constituée d'un couloir central surcreusé
Des banquettes, des murs colorés, imitant parfois le marbre
En vis-à-vis, deux niches voûtées en briques, aménagées dans l'épaisseur des banquettes
Assemblées en lustres ou disposées sur les banquettes, sur des autels ou dans des niches, des lampes à huile
sur les murs, ombres mouvantes
L'autel. Une image surélevée représente le dieu Mithra. Il sacrifie un taureau
Les initiés progressent, dans leur compréhension du monde terrestre et du sens de la vie dans l'ordre cosmique
Des textes, par les auteurs chrétiens (négatifs par rapport au culte concurrent de Mithra). Des épreuves. Violence. Yeux bandés, piscine, eau glacée. Couronnes. Glaives
Sept degrés. Le premier degré, "corax" (corbeau). Le plus élevé, "pater" (père)
Plusieurs éléments croisent la symbolique chrétienne
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Margaux Bekas. "Le culte de Mithra est considéré comme un culte à mystères
Dans l'Antiquité, à partir du IIᵉ siècle après J.-C. La catégorie des cultes à mystères est construite par les auteurs chrétiens. Elle regroupe les cultes rendus à des divinités, parfois orientales -comme Mithra
A partir du XIXᵉ siècle. La catégorie est utilisée pour désigner des cultes qui comportent un caractère supposé initiatique. Ils permettraient d'accéder à un savoir philosophique, secret"
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28 février 380 après J.-C. Édit de Thessalonique (ville portuaire grecque sur la mer Égée). Théodose (379 à 395), dernier empereur à régner sur l'Empire romain unifié. Il impose à ses peuples d'embrasser la foi « catholique » suivie par les évêques de Rome et d'Alexandrie. Choix religieux et politique. La même année, l'empereur reçoit le baptême catholique
Le christianisme unique religion de l'empire. Les hérétiques et les païens sont poursuivis
391 après J.-C. Toutes les pratiques païennes sont interdites. Les temples sont démolis
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Aux frontières de l'Empire romain, les peuples « barbares » semblent être à l'origine des actions violentes commises à l'encontre des sanctuaires de Mithra
Mithra est fort associé aux légions romaines ; briser les images divines est un acte symbolique