le tour de france
Eric Laffaille
Le tour de France
Nous allions en vacances au bord de la mer, à Granville. Mes grands-parents y louaient un appartement dans la haute ville, à proximité de la maison de notre cousine Madeleine.
Je passais mes journées « à la cabine », sur le plat. Je traduis pour les non initiés, il s’agit de la cabine de bain de la cousine, quant au plat c’est le fameux plat-gousset, promenade surélevée, longeant la mer, sur laquelle des cabines de bains sont posées en rang d’oignon. Il y a également de grands espaces avec du sable pour que les enfants puissent jouer lorsque la marée est haute et que la plage naturelle est recouverte par la mer.
J’arrivais en tout début d’après-midi. Ma grand-mère s’installait dans un transat devant la cabine, chapeau de paille rivé sur la tête ; mon grand-père lui, quand la mer était basse, enfilait ses chaussures, des plastiques comme on disait, prenait sa besace, son pic et son crochet et partait à la pêche aux crabes et aux coquillages. Les cousins, Alain et Christophe nous rejoignaient assez vite, Madeleine arrivait ensuite.
Nos copains étaient déjà là, Gilles et jacques ; eux avaient la chance de pique niquer sur la plage avec leurs grands-parents, moi je n avais pas le droit.
Le tour de France était alors l’événement sportif national (bien avant le football malgré les exploits de Kopa et de Reims), surtout en plein mois de Juillet. Nos héros s’appelaient Anquetil, Poulidor, Baramontes, Altig…
Nous passions nos apres midi à jouer aux petits coureurs.
A une heure et demi nous commencions à tracer le parcours, soit à la main, soit à la pelle ou encore quand le sable était trop sec à la fesse en trainant par les pieds un camarade assis par terre. Ce procédé avait l’avantage d’être rapide mais les routes tracées ainsi étaient bien moins belles. L’idéal, c’était les lendemains de pluie, le sable humide s’agglomérait parfaitement et nous pouvions alors bâtir des montagnes. Le traçage du parcours pouvait prendre plusieurs heures en fonction de la longueur et de la complexité que nous souhaitions donner à l’étape du jour, en règle générale, cela nous emmenait jusqu’à 15h. Les 3 heures réglementaires s’étant écoulées (même réduites à 2h30) nous pouvions alors aller nous baigner. Au retour, nous entamions les hostilités, quatre heure à la main.
Des règles bien précises existaient. Pour faire avancer son petit coureur, il fallait taper dans une bille avec un doigt, le pouce l index ou le majeur. Si la bille sortait de la route on faisait dec, si la bille coupait un virage il y avait coupette, dans ces cas on passait son tour et notre coureur restait sur place.
Nous possédions chacun plusieurs coureurs et il nous arrivait de jouer avec des pelotons d’une cinquantaine de figurines, les parties pouvant durer plusieurs heures, les genoux dans le sable, les mollets exposés aux coups de soleil…
A l’arrivée nous notions sur un papier les temps de chaque coureur, un coup de retard représentant 10 secondes, nous établissions un vrai classement général. Il y avait bien sur un maillot jaune, quand c’était un des miens qui le portait, il s’appelait bien évidemment Jacques Anquetil.
Je garde un souvenir tenace de ces parties, à tel point que j’ai transmis cette passion à nos enfants et à mon épouse. Près de cinquante ans plus tard, nous passons chaque année une semaine de vacances, fin aout à Granville ; même si nous logeons maintenant à Kairon ,près de St Pair, tout à coté de Granville, ces vacances ressemblent à un pèlerinage, et chaque année nous emportons avec nous des pelles, des billes et les petits coureurs.
Pendant que nous sommes plongés dans le jeu avec nos enfants (qui sont grands maintenant) il y a toujours quelqu , un homme, jamais le même, dans les 50 à 60 ans qui observe de loin et puis qui finit par se rapprocher, il a alors les yeux plein de rêves, et plein d’émotion il dit
« moi aussi j’aimais bien jouer aux petits coureurs dans le temps »
rien que pour ce moment de magie, cette année encore je construirai des parcours et des montagnes de sable sur ce plat gousset.