Le trader et le hacker qui détestaient les mollahs (§ 2 )

puremorning

§ 2 - Londres 

 

La sonnerie stridente du réveil tira Argang Pakravany d'un rêve pas très agréable et il ne sut jamais qui le poursuivait. Il regarda le réveil : « Il n’est que six heures, encore cinq minutes » se dit-il. Il se rendormit aussitôt. Il se réveilla en sursaut trente-cinq minutes plus tard, sauta de son lit, agacé « ma journée commence bien, je suis en retard ! »

Il se prépara du café et prit une douche brûlante qui acheva de le réveiller. Il sortit récupérer son journal mais il n’aurait pas le temps ce matin, comme à son habitude, de parcourir les pages économiques. Tant pis. Il aimait beaucoup lire la presse financière tout en buvant son café avant de partir au bureau.

Il pénétra dans son dressing et choisit un élégant costume bleu marine en laine froide avec de très fines rayures d'un bleu légèrement plus clair, d'un créateur britannique M. John qu'il aimait beaucoup. «Très british,  pensa-t-il, mais plus pour très longtemps ». Il enfila une chemise en popeline perle puis hésita devant les nombreuses cravates parfaitement suspendues sur plusieurs cintres. Finalement, il opta pour une en soie gris clair parsemée de légers motifs crème. Il aimait bien cette couleur qui mettait en valeur ses yeux vert foncé.

Il mouilla légèrement ses cheveux et se coiffa. Il appréciait davantage son visage maintenant. La trentaine le marquait à peine et il gardait un physique juvénile. Il plaisait beaucoup aux femmes. Les Anglaises raffolaient de son physique de «latin lover». Argang accordait beaucoup de soin à sa chevelure, très épaisse et brillante. Ses cheveux étaient toujours parfaitement coupés, seule dépassait une grande mèche indisciplinée qui couvrait une partie de son front.

Vers sept heures quinze, il fut prêt et quitta la petite maison qu’il louait dans le quartier de Havering. Il monta dans son Audi, appuya sur la télé commande pour actionner l'ouverture du portail puis inséra un CD de Pendrago dans son lecteur, un de ses groupes favoris. Il écoutait en boucle leur dernier album Passion et surtout le titre éponyme qui lui donnait la pêche pour la journée.

La circulation était dense. «Trente minutes de retard et ça bouchonne» grommela-t-il. Il aimait bien conduire dans Londres très tôt le matin. Il partait généralement vers six heures trente car il y avait peu de monde à cette heure matinale surtout à la City.

Il pénétra dans Cannon Street quarante-cinq minutes plus tard et s’engouffra dans le parking souterrain du grand bâtiment occupé par la banque St Gallen. Il aperçut la seule place vide qui restait et s’y gara. Agacé et déjà stressé, il prit l’ascenseur pour rejoindre son bureau. La plupart de ses collègues étaient déjà devant leurs écrans. Ils furent un peu surpris, car Argang arrivait en général le premier.

Il attrapa le Financial Time qui traînait sur le bureau de son collègue Irwin et le parcourut rapidement. Peu concentré, il lut les mauvaises nouvelles sur la santé économique du pays qui s’aggravait de jour en jour. Les faillites d’entreprise se multipliaient avec leur cortège de chômeurs.

Il était content de la décision qu’il avait réussie à prendre. Il rentrerait bientôt en France dès qu'il obtiendrait sa mutation au siège social de sa banque à Paris la Défense.

Les récents événements en Iran, la crise financière qui avait fortement secoué le monde bancaire précipitèrent son envie de retourner à Paris auprès de ses parents et de ses amis.

Un mois auparavant, il avait croisé tout à fait par hasard, dans Picadilly, Jérémy Senneville, un ancien camarade de lycée.

Ce fut une agréable surprise de le revoir et ils passèrent un moment ensemble dans un pub. Ils échangèrent des souvenirs et Argang demanda des nouvelles de quelques anciens copains de lycée qu'il avait complètement perdus de vue depuis la fin de la terminale.

Jérémy travaillait comme contrôleur depuis cinq ans au middle office au siège de la banque St Gallen à Paris La Défense, le plus grand quartier d'affaires en Europe. Argang en profita pour lui demander comment s'étaient déroulés à Paris les différents événements qui avaient secoué le monde de la finance ces derniers mois.

– Comme tu le sais, notre banque a perdu deux milliards d'euros dans les fonds toxiques. Plusieurs traders parisiens ont été virés récemment, d'autres viennent de quitter la banque. La purge a été faite aussi au contrôle. Le patron du service a été viré. Il a payé pour les autres. Tant que ça rapportait à St Gallen, pas de souci. Ensuite, il fallait donner l'exemple, mais c'est Axel Meursot notre président qu'il aurait fallu virer, expliqua Jerémy à son ami.

– La direction de St Gallen a fermé les yeux trop longtemps. À mon avis, on ne sait pas encore tout. Il y a eu trop de laxisme. La Commission bancaire est en train de mener des investigations. Plusieurs bureaux ont été réquisitionnés par les contrôleurs de la banque de France et les responsables défilent les uns après les autres. Tout est épluché et cela prendra des mois. Il faut voir la tête qu’ils font. Je ne sais pas ce qu’ils cherchent. Cela risque de nous exploser à la gueule à n'importe quel moment. À mon avis, les fonds toxiques ont le dos large. Il paraît qu’à la présidence, c’est le branle-bas de combat.

Argang soupira.

– Le milieu est pourri par la cupidité. La rapacité des dirigeants de la finance a entraîné des prises de risque insensées et la création de ces fonds toxiques. Comme tu le dis tant que le fric rentre, y a pas de souci. Dans le cas contraire, on cherche des boucs émissaires. Ce système existe depuis des années, il fallait bien que ça explose à un moment. Mais bon j'ai eu ma part aussi, je crache dans la soupe. Je réfléchis en ce moment, j'ai envie de changer d'air, de revenir en France. Ta rencontre n'est peut-être finalement pas un hasard .

– Oui, notre rencontre était improbable et nous voici ensemble dans ce pub !

– Je me demande si certains événements n’arrivent pas parfois à un moment donné de ta vie où tu te questionnes sur ton existence. Ta rencontre aujourd'hui dans Londres, une ville pourtant si étendue, est curieuse tout de même. Oui, c'est fou de t'avoir vu aujourd'hui. Moi aussi je veux changer de job !

Jérémy but une gorgée de bière puis poursuivit :

– J'aimerais, moi aussi devenir trader. Ca fait déjà cinq ans que je suis au middle office et je pense que je peux assurer en trading sans problème. J'ai déjà postulé l'année dernière, sans succès. Ma formation, paraît-il, est peu compatible avec du trading de haut vol. Ils cherchent des potentiels, des mecs qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs. La banque ne veut pas de candidats qui font joujou avec leurs sous. La seule solution serait toi !

– Comment ça moi ? Mais je ne connais plus personne à la Défense ! Les deux trois mecs avec qui j'ai débuté sont partis depuis longtemps ! Je ne connais même pas le patron des salles des marchés ! Même le DRH a changé.

– Oui, je sais, mais il y a une possibilité par adoubement en quelque sorte. C'est une particularité unique chez St Gallen. N'importe qui peut accéder aux plus hautes fonctions de la banque s'il est recommandé par un membre de la direction. Bien sûr, il faut qu'il ait le potentiel et surtout qu’il ait fait ses preuves. Le Président Meursot a commencé à vingt ans après un bac comme caissier. Puis il a pris des cours et a passé son BTS Banque, une licence professionnelle puis un master en finances. Il est devenu Fondé de pouvoir et à quarante ans, il a été nommé directeur Financier. A partir de ce moment-là, il a côtoyé Willot, l'ancien président de la banque. Il l'avait pris sous sa coupe et quand il a pris sa retraite à soixante-dix piges, il a nommé Meursot pour lui succéder.

– Belle carrière par la promotion interne ! Ça alors ! Tu connais son parcours par cœur !

– Oui, c'est lui-même qui a communiqué sa biographie récemment dans le journal interne où il invitait tout le monde à reprendre des études via la formation professionnelle pour pouvoir progresser.

– C'est en contradiction avec ce que tu m'as dit. Tu veux changer de métier et tu te fais éconduire. Tu sais ce qu'il te reste à faire.

– Tu rigoles, j'ai trente ans et je n’ai pas envie de passer toutes mes soirées à travailler. J'ai un master en audit et contrôle de gestion et ça fait cinq ans que je contrôle. Ils se méfient maintenant de nous, les contrôleurs, qui connaissent par cœur toutes les ficelles du métier. Comment crois-tu qu'a fait Alban Merkel ? Il connaissait à fond les protocoles de contrôle et il aurait conservé des mots de passe. J'ai envie de passer de l'autre côté de la barrière, dans la lumière. Si tu reviens à la Défense, je compte bien sur toi pour m'aider.

– Hé attends ! Pour l'instant je suis toujours à Londres et il faudra des mois pour que je fasse mes preuves à Paris.

– Tu rigoles, tu es un de leurs meilleurs traders ici à Londres et dans le milieu, ça se sait. Je veux devenir trader moi aussi et j'ai postulé dans pas mal de boîtes ces derniers mois. Négatif. Ils cherchent des mecs qui ont fait leurs preuves, combien ils ont fait gagner à leur banque et depuis combien de temps. Les banques ont perdu beaucoup trop d'argent et elles veulent reconstituer leur magot le plus vite possible. Te revoir est une vraie chance surtout que tu veux rentrer en France. Tu me proposes comme trader junior et tu m'apprends les ficelles du métier .

– Au moins, tu es honnête. Je te fais signe dès que je rentre à Paris, mais je ne te cache pas que je vais aussi postuler ailleurs. Est-ce toujours de Mestre le patron de toutes les salles des marchés ?

– Non, ce connard est parti chez Desfroge. Il ne te voyait même pas quand tu le croisais dans l'ascenseur. Tu n'es pas de son monde ! Son remplaçant s’appelle Cédric La Fourvière.

– OK, je te tiens informé, Jérémy. A bientôt ! Je t'appelle pour te donner de mes nouvelles.

Jerémy lui tendit sa carte de visite et sortit du bar pour prendre son Eurostar.

Argang était songeur. Allait-il devoir se farcir Jérémy Senneville s'il rentrait à Paris ? L'avoir en permanence sur son dos ? Mais après tout, il était peut-être capable de devenir trader. Revoir Jérémy serait sans doute une bonne chose. Il connaissait tout le monde et ses renseignements seraient précieux.

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