Le Train

helix

petite pensée sur les voyages en train

Et c'est à ce moment précis que je me suis demandée pourquoi je n'étais pas née plante verte.

Pourquoi me diriez-vous ? Tout a commencé un matin grisâtre, comme de nombreux matins dans notre chère ville. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle j'ai renoncé à ouvrir mes volets dès mon réveil, me laissant l'espoir que, oui, à travers ces panneaux grinçants, tachetés de moucherons et autres insectes estivaux, se cache un rayon de soleil. Une fois la désillusion passée, je me prépare doucement, guettant ma valise dans l'entrée de peur qu'elle parte sans moi. Comme à mon habitude, je claque la porte avec quelques minutes de retard. Même en ayant avancé l'heure de l'horloge, mon cerveau ne peut intégrer de partir à l'heure, c'est un fait. Parfois il vaut mieux accepter certaines choses que de chercher à les contrôler, la vie est beaucoup moins difficile ainsi. Une sorte de fatalisme ? Sûrement.

Destin fatal qui me poursuit lorsque la voix du chauffeur de métro grésille : “Suite à un voyageur malade, nous devons stationner à quai. Merci de bien vouloir patienter”. Je patiente donc, aussi calme qu'une viande pimentée. Après avoir affronté couloirs, escaliers, escalators, vieilles dames et touristes, j'arrive enfin à la gare. Léger coup d'oeil au tableau des départs : quai n°4. Je fonce, déjà en nage. Dernier coup de sifflet du contrôleur et me voilà dans le train. Je prends le temps de souffler un peu et, regardant mon billet, j'enregistre le numéro de ma place. Pour l'instant, aucune raison évidente de vouloir se réincarner en plante, je vous l'accorde. Certains noteront peut-être mon défaut de ponctualité comme raison valable, mais étant donné que je n'ai pas loupé mon train, je ne peux considérer cette opinion. En effet, les personnes trop ponctuelles ont développé selon moi une peur frénétique du temps, ce qui induit peut-être un désordre mental. Mais ceci n'est que mon avis, laissons cela à la psychanalyse.

En fait, tout commence ici, au moment où je suis dans ce train, sans échappatoire quelques heures durant. On pourrait dire que j'exagère en tournant cela à l'enfermement, mais cette fois-là, ce fût le cas.

J'ouvre donc la porte de mon wagon, entendant ce doux bruit de sas tel un fer expirant son trop-plein de vapeur, mais... entendant seulement ce bruit. La loterie de la SNCF m'avait en effet attribué le lot du wagon des travailleurs acharnés... Ce wagon c'est le calvaire de tous ceux qui possèdent la carte 12/25. Un supplice de tous les instants qui vous propulse directement dans votre futur proche, ne passez pas par la case départ, ne recevez pas votre jeunesse. Et le destin se jouait encore de moi en me cloîtrant là quelques heures. Je prends une grande inspiration, non seulement pour reprendre mon souffle après ma course effrénée contre la montre, mais aussi pour respirer l'air aseptisé d'un bureau mobile. Je sens les regards lourds se poser sur moi au fur et à mesure que j'avance dans ce couloir de la mort. Ce regard envieux et en même temps plein de ressentiment. Tous ces trentenaires qui sont finalement rentrés dans le moule du costume-cravate-ordinateur. Et me voilà qui vient leur rappeler leur jeunesse passée. Je suis la viande fraîche et tendre au milieu d'os rongés par la vie. Arrivée au niveau de mon rang, je dérange déjà ma voisine, ayant pris le côté fenêtre pour rêvasser tranquillement. Elle me dit bonjour et s'excuse, me laissant à peine la place de passer. Et oui, car dans ce wagon, la politesse est de rigueur même si vous ne le pensez aucunement, simple reflet de l'endoctrinement bureaucratique. Même dans le train, les bonnes habitudes persistent. Car, dans les bureaux, ils ont dû s'adapter pour faire leur place, se soumettre au protocole. Tels des jeunes premiers, ils ont tous subi la désillusion. Adieu songes et rêveries, bonjour réalité et cauchemars. Et finalement, coincée ici, le mien commençait aussi.

Après m'être installée le plus discrètement possible, je me relève sur mon siège pour tenter de respirer un peu d'oxygène, mais, trop tard. Je suis déjà sur le Titanic et les eaux infernales de la trentaine tentent de m'engloutir. Plusieurs choix s'offrent à moi : me laisser couler en prenant un objet d'enrichissement culturel appelé livre ou, nager à en perdre haleine pour trouver un radeau appelé songe. Un coup d'oeil furtif à ma voisine qui, je le sais, m'observe clandestinement. Elle travaille sur son ordinateur portable dernier cri, cadeau empoisonné reçu après des mois de machine-à-café-courrier-Word&Excel.

Cela finit de me convaincre. Une dernière grande inspiration et je décide de m'enfoncer dans mon siège, mon casque sur la tête, apaisée par la douce mélodie qui envahit mes oreilles. J'oublie alors un peu l'atmosphère oppressante qui m'entoure et commence à rêvasser, regardant le paysage défilé.

Finalement, dans ce wagon, je suis déjà cette plante verte. Un objet statique, inaltérable, colorant l'univers gris de ce bureau ambulant. Je suis l'être qui transforme leurs sombres dépôts en oxygène étincelant.

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