Le treizième, arrondissement d'avenir

Jean Marc Kerviche

Promenade

Ce matin, j'accompagnais mon épouse à l'Ecole parisienne de Gestalt située rue de l'Espérance dans le quartier de la Butte aux Cailles et, m'en retournant j'avais l'intention de me rendre à la Fnac, où j'ai depuis longtemps pris l'habitude de me ressourcer.

            J'empruntais alors la rue des Cinq diamants pour rejoindre le boulevard Auguste Blanqui, et quelle ne fut pas ma surprise d'y découvrir des stands d'exposition installés au bout de la rue. En effet, se présentaient à moi sur le boulevard des étalages qui n'avaient rien à voir avec le marché habituel que l'on connait, et comme je suis d'un naturel curieux, et qu'en plus j'avais tout mon temps, je me suis bien évidemment arrêté et j'ai commencé à arpenter l'allée qui séparait les étals. J'apprendrai plus tard, qu'il s'agissait en fait d'une manifestation dénommée « Forum des associations du 13ème arrondissement ».

            Et comme, c'est bien connu, le hasard ne favorise que les esprits préparés, j'avais sur moi quantité de flyers contenant ma prose : diverses petites histoires sorties de mon imagination et autres petites anecdotes authentiques que je commençais à distribuer aux stands ayant pour vocation l'écriture, et fatalement je me retrouvais devant un groupe de personnes de l'association ADA 13, qui d'emblée me proposa de participer à un concours d'écriture sur le 13ème.

            Je m'avançais alors et leur parlais d'une curiosité toute particulière, laquelle j'imaginais se situer dans le 13ème arrondissement, et je leur annonçais tout de go mon intention d'écrire sur le sujet qui se révélait être le « plancher de Jeannot » exposé devant l'entrée principale de l'Hôpital Sainte- Anne.

            Non seulement aucune des personnes présentes ne me démentait sur sa situation, mais enthousiasmés par l'idée, tous m'y invitèrent chaleureusement. Il est vrai que dans tout Paris, il existe des lieux particuliers tout aussi emblématiques comme le Martyrium de Saint Denis, également lieu de naissance des Jésuites à Montmartre, le Mémorial du bûcher de Jacques de Molay sur l'Ile de la Cité, le monument de l'amiral de Coligny retraçant l'épisode de la Saint-Barthélemy dans le 1er, le vrai ou faux chêne sous lequel rendait la justice Saint Louis à Vincennes, l'injonction du « Roi » placée devant l'Eglise Saint Médard dans le 5ème sommant Dieu de ne point faire de miracles en ce lieu, le Cèdre bleu de l'Atlas dénommé « Arbre de la Liberté » du parc de Choisy, le Mur des Fédérés et le Mur des Otages dans le 20ème, les cinq dalles de la guillotine à l'entrée de la rue Croix-Saint Faubin face à l'ancienne prison de la Roquette dans le 11ème, le Mur des Justes dans le 4ème, le monument commémoratif de la Rafle du Vel' d'Hiv' dans le 15ème, ou dans un autre ordre, plus joyeux, le passe-muraille et le Mur des je t'aime dans le 18ème, mais également des endroits, matérialisés par une plaque, ayant accueilli pendant un temps des hommes que la célébrité n'étouffait pas encore :  Lénine dans le 14ème, Khomeiny à Neauphle-le-Château, sans oublier Chou En Lai au 17 de la rue Godefroy toute proche de la place d'Italie ; des agitateurs en puissance recherchant chez nous l'asile et la tranquillité avant de partir pour changer la face du monde.

            Et vu que ce fameux plancher a été exposé en 2005 à la Bibliothèque Nationale de France autrement nommée Bibliothèque François Mitterrand, qui comme chacun sait se trouve dans le 13ème, je ne suis pas tout à fait hors sujet.

            Sur ce plancher, donc, se trouve un plaidoyer gravé avec la rage et le désespoir d'un homme conduit par l'absurdité de la guerre à se perdre lui-même dans la paranoïa et la schizophrénie. Je transcris ici, tel quel pour qu'on s'en rende compte, le texte entaillé dans le bois à l'aide d'un couteau :

« LA RELIGION A INVENTE DES MACHINES A COMMANDER LE CERVEAU DES GENS ET BETES ET AVEC UNE INVENTION A VOIR NOTRE VUE A PARTIR DE RETINE DE L'IMAGE DE L'ŒIL ABUSE DE NOUS SANTE IDEES DE LA FAMILLE MATERIEL BIENS PENDANT SOMMEIL NOUS FONT TOUTES CRAPULERIE L'EGLISE APRES AVOIR FAIT TUER LES JUIFS A HITLER A VOULU INVENTER UN PROCES TYPE ET DIABLE AFIN PRENDRE LE POUVOIR DU MONDE ET IMPOSER LA PAIX AUX GUERRES L'EGLISE A FAIT LES CRIMES ET ABUSANT DE NOUS PAR ELECTRONIQUE NOUS FAISANT CROIRE DES HISTOIRES ET PAR CE TRUQUAGE ABUSER DE NOS IDEES INNOCENTES RELIGION A PU NOUS FAIRE ACCUSER EN TRUQUANT POSTES ECOUTE OU ECRIT ET INVENTER TOUTES CHOSES QU'ILS ONT VOULU ET DEPUIS 10 ANS EN ABUSANT DE NOUS PAR LEUR INVENTION A COMMANDE CERVEAU ET A VOIR NOTRE VUE A PARTIR IMAGE RETINE DE L'ŒIL NOUS FAIRE ACCUSER DE CE QU'IL NOUS FON A NOTRE INSU C'EST LA RELIGION QUI A FAIT TOUS LES CRIMES ET DEGATS ET CRAPULERIE NOUS EN A INVENTE UN PROGRAMME INCONNU ET PAR MACHINE A COMMANDER CERVEAU ET VOIR NOTRE VUE IMAGE RETINE ŒIL NOUS E FAIRE ACCUSER … NOUS TOUS SOMMES INNOCENT DE TOUT CRIME… TORT A AUTRUI NOUS JEAN PAULE SOMMES INNOCENTS NOUS N AVONS NI TUE NI DETRUIT NI PORTE DU TORT A AUTRUI C EST LA RELIGION QUI A INVENTE UN PROCES AVEC DES MACHINES ELECTRONIQUES A COMMANDER LE CERVEAU SOMMEIL PENSEES MALADIES BETES TRAVAIL TOUTES FONCTIONS DU CERVEAU NOUS FAIT ACCUSER DE CRIMES QUE NOUS NAVONS PAS COMMIS LA PREUVE LES PAPES S APPELLENT JEAN XXIII AU LIEU DE XXIV POUR MOI PAUL VI POUR PAULE L'EGLISE A VOULU INVENTER UN PROCES ET COUVRIR LES MAQUIS DES VOISINS AV MACHINES A COMMANDER LE CERVEAU DU MONDE ET A VOIR LA VUE IMAGE DE L ŒIL FAIT TUER LES JUIF A HITLER ONT INVENTE CRIMES DE NOTRE PROCES »

                A la lecture de ces lignes, il est permis de s'interroger sur les traumatismes engendrés par les guerres et leurs raisons très souvent inavouables… ce que n'ont pas manqué d'étudier d'éminents spécialistes, et ce pourquoi il est en bonne place, rue Cabanis, au vu de tous devant un établissement traitant la santé mentale.

            Cependant, ne souhaitant pas si peu que ce soit m'être mépris, d'à peine cent mètres, revenons dans les limites du 13ème :

            Que n'a-t-on dit à propos de cet arrondissement de Paris au nord duquel jadis les transports de bois, de vins, de céréales et autres nécessités abondaient sur ses quais, passages obligés des péniches, chalands et gabarres qui descendaient la Seine, de l'amont en provenance des forêts du Morvan et des vignobles de Bourgogne vers l'aval à destination du cœur, ou plus exactement du ventre de Paris.  Que n'a-t-on évoqué sur l'ancien Hôpital de la Salpêtrière, à la fois lieu de rassemblement et de réclusion de tous les pauvres de la capitale au temps d'un Louis qui ne brillait que pour lui-même devenant plus tard un endroit où la Folie était traitée par l'enfermement et au besoin par les fers pour finalement recevoir un jour la dépouille d'une princesse refoulée d'une famille royale qui ne la désirait plus.

            Le 13ème, lieu de passage, avec sa Gare d'Austerlitz, ses aiguillages, ses entrepôts et dépendances alternant entre les départs et les arrivées des Auvergnats, avec cette avenue d'Italie, point de départ de la mythique nationale 7, « qui fait d'Paris un p'tit faubourg d'Valence », avec son quartier asiatique et ses premières tours dépassant les cent mètres, lieu d'échouage des boat-people et des communautés extrêmes orientales rejetées en quête de paix, de repos et de nouvelles racines.

            De tout temps lieu d'innovation, avec la manufacture royale des Gobelins créée par la volonté d'un roi, maintenue et développée par le bon vouloir d'un autre sans délaisser les récents entrepôts du Mobilier National où se fournissent les châteaux et somptueuses demeures de la République. Oui, le 13ème est en plein bouleversement avec sa bibliothèque François Mitterrand et son nouvel environnement. Il renait avec ses nouvelles rives de Seine devenues méconnaissables aux anciens, avec ses nouvelles voies, ses nouvelles structures de béton et d'acier englobant les futurs immeubles-ponts de l'avenue de France au-dessus de la gare d'Austerlitz, et sa Halle Freyssinet qui prétend concurrencer Sophia Antipolis et la Silicon Valley de Palo Alto. « Incubateur de startups » disent-ils ! Pourquoi ne le serait-ce pas ?

            On peut toujours rêver, l'utopie mène toujours le monde quand il ne devient pas fou…

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