Le Vent des Plaines (2008)
alyciane
La fleur éclose tremble. La brise glacée venu du large, léchant la vallée, la fait danser au rythme de ses murmures. Et dans toutes les terres d’Irlande, dans toutes les vallées de pierres écorchées, toutes les fleurs tremblent.
Car c’est le nouveau jeu qui se prépare, le jour des fêtes est arrivé. Et dans la lande déserte aux yeux aveugles, entre les herbes hautes et les plantes parfumées, s’entassent les créatures du printemps. Fées coquines et braillards lutins aux chaperons abîmés, gobelins et korrigans affamés, commencent donc leurs aventures estivales.
Jamais on avait vu plus drôle assemblée par delà les salines que ces petites créatures débraillées, chantantes et dansantes. Quand la corne sonna _une tige de pissenlit fraîche_ c’est un essaim joyeux qui se serra devant les bancs du banquet. Ils se poussent et gesticules, tendent leurs longues oreilles pour mieux entendre. Alors, un frissonnement parcouru le cours, et déjà les esprits se séparent en riant, se divisent en deux bastions colorés et saugrenus. On s’écarte en jetant un œil derrière soit, chuchotant les dernières recommandations.
On joue ! On joue ! Le jeu commence. C’est le jeu des humains.
A droite, les créatures des prairies piaillent d’impatience, à dos de lapereaux blancs. Ils ont sortis leurs plus beaux atours, fait d’écorces et d’herbes tressées. Un peu plus loin, derrière les premières lignes, quelques uns jouent de la flûte d’un air enjoué. A gauche, les esprits des forêts font des rondes dans les airs. Les fées les plus dilettantes finissent les couronnes de fleurs pendant que d’autres taillent de longues épines. Quelques ailes s’échauffent et une poussière brillante s’éparpille alentours.
Une bourrasque s’engouffra dans la plaine, fit voler quelques pétales. Et les petites armées se ruèrent l’une vers l’autre, se jetèrent contre leurs frères avec une fureur acharnée. Des airs fusent des échardes mortelles, transpercent les malheureux au contrebas. Des pierres volent, les griffes et les dents lacèrent. Des crochets, des mandibules, armes grotesques des prés, font couler le sang sur la lande hurlante. Et le précieux butin de la bataille, quelques glands volés par des farfadets trop gourmand, trônent près des corps tombés par delà une bute.
C’est le jeu des humains ! Le jeu de la guerre ! Et ce sont les cris des esprits mourant que le vent emporte jusqu’au village d’à côté, trop empressé pour écouter le dernier râle de la nature. Il hurle dans les arbres qui frémissent en chœur. Le jeu des humains n’est plus un jeu, c’est une tuerie.
La fleur éclose n’est plus : elle s’est envolée dans la bourrasque, comme toutes les fleurs des vallées. Comme les esprits de la nature qui s’en sont allés. Et les plaines vides, balancées par l’air du large, semblent délaissées, tombées dans une langueur mélancolique.
Mais pour les aveugles, rien n’a changé.