Le Viol
My Martin
Jean-Honoré Fragonard
né à Grasse, le 5 avril 1732
décédé à Paris, le 22 août 1806 (74 ans)
Peintre, graveur, dessinateur, illustrateur, dessinateur en bâtiment
L'un des principaux représentants du style rococo / rocaille français. Ce style apparaît sous la Régence et vers 1745, culmine sous le règne de Louis XV ; courbes, formes rondes, ovales. Il supplante le classicisme, formel et solennel, qui a marqué le règne de Louis XIV
Jean-Honoré est le fils de François Fragonard 1699-1781 gantier parfumeur à Grasse (le parfum dissimule la forte odeur que dégagent les gants en cuir)
et de Françoise Petit, née en 1710
Après la mort de son frère Joseph (âgé de dix mois), il reste enfant unique. 1738. A l'âge de six ans, il quitte Grasse pour s'installer avec sa famille, à Paris
Les dispositions artistiques de Fragonard sont précoces. 1745. A treize ans, il est clerc chez un notaire, qui remarque ses dons artistiques
Un temps, il travaille avec Jean Siméon Chardin 1699-1779. Natures mortes, peintures de genre et pastels
1746. A l'âge de quatorze ans, il est apprenti dans l'atelier de François Boucher 1703-1770, le maître de la peinture rococo
Représentations idylliques et voluptueuses de thèmes classiques, mythologiques et érotiques, d'allégories décoratives, de scènes pastorales. François Boucher est le peintre de la cour de Louis XV et "le favori de la favorite", la marquise de Pompadour (plusieurs portraits)
Le jeune Fragonard affirme ses dons. François Boucher le présente bientôt au grand prix de peinture de l'Académie royale. Fragonard (20 ans) le remporte en 1752, grâce à son tableau, "Jéroboam sacrifiant aux idoles"
Trois années à l'École royale des élèves protégés, dirigée par le peintre Carle Van Loo 1705-1765
L'école est créée en 1748 par le roi de France Louis XV, afin de permettre aux lauréats du grand prix de l'Académie royale de peinture et de sculpture, de passer trois ans d'études « particulières ». Sous la conduite d'un peintre et d'un professeur pour l'Histoire, la Fable et la Géographie. Puis le traditionnel séjour à l'Académie de France, à Rome
1756. Fragonard (24 ans) effectue son Grand Tour. En compagnie
de l'architecte néo-classique Victor Louis 1731-1800
et de son ami, Hubert Robert 1733-1808. Le peintre n'a pas remporté le Prix de Rome mais grâce à l'appui du comte de Stainville, ambassadeur de France à Rome, il obtient une place de pensionnaire à l'Académie de France, à Rome. Peintre des ruines, mémorialiste de Paris et de l'histoire de la Révolution française
Académie de France, à Rome. Palais Mancini, Via del Corso (siège de l'Académie de 1725 à 1803)
Créée en 1666, sous l'impulsion de Colbert et du Bernin (sculpteur baroque), l'Académie de France à Rome coïncide avec la politique de travaux entreprise par Louis XIV, à la fin du XVIIe siècle -le Louvre, les Tuileries et Versailles
L'Académie accueille les artistes qui ont remporté le Premier Prix de Rome et certains pensionnaires protégés par des mécènes. Les jeunes artistes pensionnés par le roi acquièrent un complément de formation, au contact de Rome et de l'Italie. Soumis à une discipline rigoureuse, les pensionnaires consacrent leur séjour à la réalisation de copies de l'Antique ou de la Renaissance
L'étude des maîtres occupe une place essentielle. Fragonard est influencé
par le peintre vénitien Giambattista Tiepolo 1696-1770. Fresquiste virtuose. Effets de luminosité et de théâtralité, exubérances formelles, apothéose de l'âge baroque. Sa peinture exalte les splendeurs du monde aristocratique
et par Pierre de Cortone 1596-1669. Peintre, décorateur, architecte du baroque commençant, le premier représentant du nouveau style
Jusqu'en avril 1761, Fragonard (29 ans) réside à Rome
Avril à septembre 1761. Fragonard part en voyage avec son mécène et commanditaire, l'abbé Jean-Claude Richard de Saint-Non 1727-1791. Graveur, dessinateur et amateur d'art
Florence, Bologne, Venise, Sienne, Gênes. Ils admirent les chefs-d'œuvre que copie Fragonard, à la demande de son mécène
A son retour, Saint-Non entreprend de publier la relation de leur périple. "Voyage pittoresque de Naples et de Sicile", chez Jean-Baptiste Delafosse, Paris, 1781-1786. 5 volumes in-folio. 542 planches et vignettes, gravées par les meilleurs artistes du temps -Charles-Nicolas Cochin, Pierre-Philippe Choffard, Heinrich Guttenberg, Joseph de Longueil, ...
Fragonard obtient un atelier -son domicile- au palais du Louvre
La Grande Galerie. Au rez-de-chaussée, des boutiques ouvrent au nord. A l'entresol, un passage au premier étage, les logements des artistes
Fragonard est chargé de décorer la galerie d'Apollon, entre le pavillon du roi et la Grande Galerie ou Galerie du bord de l'eau -jonction entre le Louvre et les Tuileries
1765. Il peint son tableau "Corésus et Callirhoé", pour la manufacture des Gobelins -tenture "Les Amours des dieux"
Il entre à l'Académie Royale de Peinture -succès au Salon
Peintures religieuses ou mythologiques. Paysages inspirés de peintres hollandais. Scènes de bonheur familial
Fragonard (33 ans) prend conscience qu'il n'atteindra pas le premier rang dans son art. Il se spécialise dans le genre libertin, les scènes galantes -succès auprès de la Cour de Louis XV
*
Libertine, libertin. Du latin, "affranchi" ; liberare, "libérer"
Libertinage, synonymes : galanterie, immoralité, débauche, vice, licence (littéraire), dissolution (littéraire ou vieilli), débordements, dérèglements, dévergondage, frasques, [vieux] athéisme, impiété, incrédulité, irréligion, libre pensée
(Celle, celui) qui a une conduite, des mœurs très libres ; qui sans retenue, s'adonne aux plaisirs de la chair
Honoré de Balzac, La Cousine Bette (1846-1847). "Les libertins, ces gens que la nature a doués de la faculté précieuse d'aimer au delà des limites qu'elle fixe à l'amour, n'ont presque jamais leur âge".
*
1770-1772. La Liseuse. 81,1 × 64,8 cm
La toile représente une jeune fille, avec un livre à la main droite. Le bras gauche sur l'accoudoir du fauteuil. Absorbée par sa lecture. Calme
*
1767. Les Hasards Heureux de l'Escarpolette. 81 × 64 cm
Fantasme du trouble François-David Bollioud de Saint-Julien (1713-1788), baron d'Argental, receveur général des biens du clergé
« Je désirerais que vous peignissiez Madame sur une escarpolette qu'un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant et mieux même, si vous voulez égayer votre tableau. »
« Image de marivaudage badin ».
Poussée par son vieux mari dans l'ombre, à droite, une jeune femme en robe rose se balance. Elle dévoile ses jambes à son amant dissimulé par la végétation, à gauche
*
1771. Les Progrès de l'amour dans le cœur des jeunes filles
Commande de Madame du Barry, la dernière favorite de Louis XV (1768 à 1774. Morte guillotinée le 8 décembre 1793, à Paris)
Série de quatre tableaux ; La Poursuite. La Surprise (ou La Rencontre). L'Amant couronné. La Lettre d'amour
Les tableaux sont installés au pavillon de musique de Louveciennes, Yvelines, dans un salon de forme demi-circulaire. Mais ils ne s'accordent pas avec le style d'architecture néoclassique du pavillon. Les tableaux sont restitués à Fragonard
Le peintre les installe dans la Villa de son cousin Alexandre Maubert, à Grasse, et crée 10 nouveaux panneaux en 1790-1791
*
Vers 1774-1778. Le Verrou
Huile sur toile. 73,5 × 93,5 cm
1773. Le commanditaire, collectionneur, est le marquis de Véri, Louis-Gabriel Véri-Raionard 1722-1785
Scène théâtrale. Scène d'amour ou viol ? Plusieurs moments représentés ?
Dans la chambre, le couple, debout. Lutte. La femme résiste à l'homme qui l'étreint. Il verrouille la porte. Le verrou est excentré, en haut à droite de la toile
Verrou, dictionnaire Littré : « Moyen de fermeture consistant en une barre de fer ronde ou carrée, de même dimension dans toute sa longueur, ayant une queue au milieu et un mouvement de va-et-vient entre deux crampons ».
La chambre est en désordre, une chaise est renversée. Le lit est défait ; hautes tentures de baldaquin, lourd velours cramoisi. Plis, fentes, touffeurs ombrées
Sur une table, une pomme -dans la Genèse, le Péché originel
Dans l'angle en bas à droite du cadre, un bouquet de fleurs tombé à terre. Symbole de la virginité. A la sortie de la messe de mariage, la mariée jette son bouquet en l'air. La jeune femme qui le rattrape, se mariera dans l'année
Le Verrou -l'amour profane- est le pendant de L'Adoration des bergers -l'amour sacré. Bethléem, la Crèche, naissance de l'Enfant Jésus ; les bergers se prosternent devant la Vierge et l'Enfant
1775. L'Adoration des bergers. Huile sur toile. 73 × 93 cm
Le Verrou. La lumière se pose sur les personnages. Le profane n'a pas d'éclat propre
L'Adoration des bergers. La lumière émane des personnages. Le sacré éclaire l'âme
Par le dessin, Fragonard (32 ans) ébauche le sujet. Il applique la peinture, fines couches. La touche est claire, précise, nerveuse
*
La seconde moitié du XVIIIe siècle est une période de bouillonnement intellectuel
Les Lumières. Œuvrer pour le progrès du monde, s'engager contre les oppressions religieuses et politiques. Renouveler le savoir, l'éthique, l'esthétique du temps. Combattre l'irrationnel, l'arbitraire, l'obscurantisme, la « superstition » des siècles passés
Les mœurs sont plus libres. La peinture de genre cherche à plaire. « L'Amour à la mode, galant, badin, ravisseur ».
En peinture, deux écoles
la retenue, l'expression romantique. Jean Siméon Chardin 1699-1779, scènes de genre, « les vertus bourgeoises ». La jeune fille au volant (1740)
le style rococo / rocaille. Antoine Watteau 1684-1721, les « idylles galantes ». Le Pèlerinage à l'île de Cythère (1717)
La Grèce rêvée. Le « siècle de l'Arcadie ». La nature sauvage est préservée, harmonieuse. Les dieux grecs et romains sont nus, les corps se dévoilent
*
Le maître de Fragonard, François Boucher 1703-1770
L'Odalisque brune (1745). Étoffes et coussins. Seulement couverte d'une étoffe en travers du corps, la jeune femme est allongée sur le ventre. Avec ironie, elle regarde le spectateur. Le tableau fait scandale
Fragonard (14 ans), travaille dans l'atelier de François Boucher -un an après la présentation de L'Odalisque brune. Le tableau marque le jeune peintre
Le Verrou. Fragonard s'inspire des écrits de son époque
Pierre-Marie Gault de Saint-Germain 1754-1842. Peintre, historien de l'art et critique d'art. « L'Arioste, Boccace, La Fontaine furent ses inspirateurs et ses maîtres : ingénieux, spirituel dans l'invention, il eut quelquefois la fraîcheur du coloris de ses modèles inimitables ».
"Les Liaisons dangereuses", Pierre Choderlos de Laclos, officier de carrière 1741-1803
Roman épistolaire de 175 lettres, écrit à partir de 1779 et publié en 1782. Duo pervers de deux nobles manipulateurs
La marquise de Merteuil demande à son ami, complice et ancien amant, le vicomte de Valmont, de bien vouloir déniaiser sa jeune cousine Cécile Volanges, avant son mariage avec le comte de Gercourt. Dans le but de se venger du futur mari
Le roman "Point de lendemain", Dominique-Vivant Denon 1747-1825. Graveur, écrivain, diplomate et administrateur. Court roman, paru une première fois anonymement en 1777, puis en version remaniée, en 1812
Les premières aventures amoureuses d'un jeune homme qui ignore les subtilités du monde aristocratique. Manipulé par la comtesse de ..., il s'étonne de tout. Décor, ameublement érotiques, luxuriance, alcôve ombreuse, jardin à l'écart, pièce secrètes
Bientôt la Révolution... Jacques-Louis David 1748-1825 peintre et conventionnel. Le chef de file du mouvement néo-classique. Rupture avec le style galant et libertin de la peinture rococo du XVIIIe siècle. David revendique l'héritage du classicisme de Nicolas Poussin et des idéaux esthétiques grecs et romains
Il cherche à « régénérer les arts en développant une peinture que les classiques grecs et romains auraient sans hésiter pu prendre pour la leur ».
1784-1785. Le Serment des Horaces
1793. La Mort de Marat
1801. Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard
1805-1807. Le Sacre de Napoléon
*
1769. Fragonard (37 ans) épouse une peintre en miniature, originaire de Grasse, Marie-Anne Gérard 1745-1823. Sœur de Marguerite Gérard Grasse, 1761-Paris, 1837 peintre et aquafortiste
La même année naît Rosalie Fragonard, leur fille (1769-1788)
Octobre 1773. Voyage en Flandre pendant l'été. Le fermier général Pierre Jacques Onésyme Bergeret de Grancourt 1715-1785 amateur d'art, propose à Fragonard d'être son guide de voyage
Bergeret de Grandcourt est comte de Nègrepelisse, Tarn-et-Garonne. A l'aller, l'itinéraire du voyage passe par cette localité, où le groupe séjourne une quinzaine de jours. Fragonard dessine le château, propriété de Bergeret
Italie, puis en Europe centrale. Vienne, Prague, Dresde, Francfort, Strasbourg
Septembre 1774. Retour à Paris
1780. Naissance d'Alexandre-Évariste Fragonard 1780-1850. Peintre et sculpteur de style troubadour -atmosphère idéalisée du Moyen Âge et de la Renaissance
1769-1788. La fille du couple Fragonard, Rosalie (19 ans) meurt au château de Cassan à L'Isle-Adam, Val-d'Oise. Ce drame, la Révolution, le changement du goût, Fragonard (56 ans) s'éloigne de la peinture. Il grave encore
Durant la Révolution, il séjourne à Grasse (1790-1791), chez son cousin Alexandre Maubert 1743-1827. Riche négociant en parfumerie, parfait représentant du siècle des Lumières
1793. Fragonard devient membre de la Commune des Arts (1790), dissidente de l'Académie
A la suite de l'intervention de Jacques-Louis David, il est nommé conservateur du Muséum central des arts de la République (précurseur du Musée du Louvre), par l'Assemblée nationale,
1805. Les artistes résidents, dont Fragonard (73 ans), sont expulsés du Louvre par décret impérial -réorganisation de l'édifice en musée Napoléon
L'aristocratie est ruinée ou exilée. Fragonard s'installe chez son ami, Louis-Gabriel Véri-Raionard, au Palais-Royal. Nouveau logement, galeries du Palais-Royal
22 août 1806. Pauvreté. Décès (74 ans) -congestion cérébrale. Indifférence de ses contemporains
Les funérailles du peintre sont célébrées à l'église Saint-Roch, 296 rue Saint-Honoré (1er arrondissement). Il est inhumé à Paris, dans l'ancien cimetière de Montmartre (cimetière du Calvaire)
Sa tombe est reprise vers le milieu du XIXe siècle. Une plaque cénotaphe en marbre est apposée sur le mur, à l'emplacement où se trouvait sa sépulture
"Jean-Honoré Fragonard 1732-1806 fut inhumé dans ce cimetière"