Le volcan assoupi
My Martin
Amérique centrale. Salvador -petit pays de 21 000 km2 ; 6,3 millions d'habitants
L'Ilopango est l'un des volcans du Salvador, dans l'arc volcanique d'Amérique centrale, du Mexique au Panama ; résultat de la subduction des plaques de Cocos et de Nazca, sous les plaques de la Caraïbe et de Panama, au niveau de la fosse de l'Amérique centrale
La chaîne s'étend sur 1 500 km ; centaines de formations volcaniques
Le segment salvadorien est l'un des plus actifs
Lago de Ilopango. A quinze kilomètres de la capitale du pays, San Salvador (1,5 million d'habitants) ; à côté de l'aéroport
Le lac dans le cratère géant (caldeira effondrée) du volcan Ilopango
Altitude 440 mètres. Superficie 72 km2. Longueur 11 km. Largeur 8 km. Profondeur maximale 230 m
Trois millions de personnes vivent à moins de trente km de la caldeira de l'Ilopango
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Entre le Ve et le VIe siècle après J.-C. Violente éruption, la Tierra Blanca Joven (TBJ). Terre Blanche Jeune
Indice d'explosivité volcanique Volcanic Explosivity Index (VEI) 6 ; le plus élevé jamais atteint au Salvador
XIXe siècle. 31 décembre 1879 à fin mars 1880. Dernière éruption
Les séismes provoquent l'élévation du niveau du lac. Dômes de lave, les îles Quemadas
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Septembre 2019. Université nationale autonome du Mexique (UNAM), Mexico. En collaboration avec des institutions des États-Unis, Salvador, Espagne, Italie, Royaume-Uni
Ve et le VIe siècle après J.-C. Éruption massive. Les populations mayas migrent vers le nord, s'établissent au Guatemala et au Mexique, dans la péninsule du Yucatán
De nouveaux équilibres politiques se font jour, le flanc sud [côté Salvador] de la culture maya est affaibli
VIIe siècle. Honduras extrémité ouest, non loin du Guatemala. Le royaume maya de Copán se développe. Centre politique, civil et religieux de la vallée de Copán. L'Athènes des Mayas, apogée au cours du VIIIe siècle
La population actuelle des Amérindiens mayas est estimée à six / dix millions de personnes -Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras
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Octobre 2020. Royaume-Uni, Université d'Oxford. Pr Victoria C. Smith, archéologue. Revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). "Entre le Ve et le VIe siècle, la Tierra Blanca Joven (TBJ) du volcan Ilopango dépose une épaisse couche de cendres sur le Salvador, habité à l'époque par les Mayas [...]
La date et la magnitude sont inconnues, les impacts environnemental et climatique ne sont pas évalués"
Trois pistes géologiques
Des mesures, réalisées sur un arbre carbonisé identifié dans les dépôts de cendres
Des pics de sulfate, détectés dans des carottes glaciaires de l'Antarctique
Des échantillons volcaniques, dans des carottes glaciaires du Groenland
Les données sont intégrées, pour modéliser l'événement en trois dimensions
Le volcan éjecte entre 37 et 82 kilomètres cubes de magma dans les airs, jusqu'à une altitude de 45 kilomètres
Deux millions de kilomètres carrés sont recouverts d'une couche de 5 millimètres de cendres
Dans un rayon de 40 kilomètres, le volcan dévaste la région, les populations humaines
Victoria Smith, archéologue
Le flux pyroclastique de l'Ilopango atteint un volume dix fois supérieur à celui du Vésuve (baie de Naples, à l'est de la ville) ; dans la nuit du 24 au 25 août de l'an 79 après J.-C., l'éruption du Vésuve ensevelit la cité romaine de Pompéi sous les cendres. Indice d'explosivité volcanique Volcanic Explosivity Index (VEI) 5
L'éruption est 50 fois plus importante que celle du mont Saint Helens -États-Unis Nord-Ouest, État de Washington, comté de Skamania, le 18 mai 1980. Indice d'explosivité volcanique Volcanic Explosivity Index (VEI) 5
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Mexique à l'Amérique centrale. La civilisation maya, 2600 avant J.-C. à 1500 après J.-C. ; apogée 250 à 900 après J.-C.
Cités indépendantes, tantôt unies, tantôt rivales
La civilisation maya occupe en partie le Salvador
Entre 300 et 600 après J.-C. L'an 431 correspond à l'époque du Classique ancien ; les Mayas gagnent en influence, érigent de nombreux monuments
Dans un rayon de 40 kilomètres, les êtres vivants sont tués ; pendant de nombreuses années (voire décennies), aucun habitant dans les environs
Localement dévastatrice, la catastrophe n'a pas significativement impacté l'ensemble des communautés mayas
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L'une des causes de l'événement climatique des années 535-536 -changement climatique du début du Moyen Âge. Refroidissement de 0,5°C
"Selon la dispersion modélisée et les concentrations de sulfate détectées dans les carottes glaciaires antarctiques, le refroidissement a été plus accentué dans l'hémisphère Sud"
L'étude va à l'encontre de la théorie, selon laquelle la Tierra Blanca Joven aurait joué un rôle dans la décennie anormalement froide observée dans l'hémisphère Nord, en 540 après J.-C.
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Septembre 2021. Revue Antiquity. University of Colorado Boulder. Pr Akira Ichikawa
San Andrés, à 100 km vers l'est de la capitale San Salvador. Vallée de Zapotitán, site maya
Les tranchées pratiquées mettent au jour huit strates de matériaux de construction
Puis une couche de cinq mètres d'épaisseur de téphra blanc pur (ponce et cendre. Téphra, "cendre") -éclats de céramiques et autres matériaux
Avant de les utiliser, les bâtisseurs tamisent la cendre et la ponce
Canada Ouest, Alberta. University of Calgary. Pr Kathryn Reese-Taylor, archéologue, spécialiste de la formation des communautés dans la culture maya. "Les bâtisseurs ont vraisemblablement choisi le téphra, pour sa couleur blanche. [Cette couleur] était symbolique"
La structure Campana ("la cloche"). Hauteur treize mètres. La pyramide surplombe une plateforme de sept mètres de haut
Akira Ichikawa. Première construction publique monumentale. La structure Campana est édifiée entre 5 et 30 ans après l'éruption. 80 ans, au plus
Les Mayas mêlent de la terre et des éjectas volcaniques -des cendres blanches
Pour la première fois, un monument maya révèle ce matériau de construction
Pour la construction, les éjectas volcaniques possèdent d'excellentes propriétés physiques (compactage)
Le téphra est toujours utilisé en matériau de construction
"Les bâtisseurs connaissent ces propriétés. Un facteur important dans leur décision d'utiliser le matériau pour le monument à San Andrés"
La construction requiert un investissement considérable
Mille cinq cents ouvriers ; onze mois de travail
Ou cent ouvriers ; quatre mois par an, treize années de travail
Quelle organisation, pour nourrir la main d'œuvre ? la pyramide, tribut religieux ? Pour le compte de chefs locaux ?
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Akira Ichikawa. "L'éruption rend une vaste zone inhabitable. Mais les Mayas sont rapidement retournés dans la zone recouverte d'éjectas de la Tierra Blanca Joven. Construire, rénover l'architecture monumentale "
Dans les cultures méso-américaines, les volcans sont des lieux sacrés
Akira Ichikawa. "Pour les Mayas, dédier une structure monumentale au volcan est un moyen de conjurer l'éventualité de futures éruptions"
Rétablir l'ordre social ou politique dans la région. San Andrés, principal centre de la vallée de Zapotitán
"Les événements -les éruptions et sécheresses- sont souvent le facteur principal des effondrements, abandons ou déclins passés
Les anciennes populations sont résilientes, flexibles, innovantes"
Akira Ichikawa, né au Japon, pays depuis toujours soumis aux catastrophes naturelles. "L'édification de monuments est une œuvre collective. Moyen efficace de retrouver une vie normale. Faire face aux pires désastres, en mettant l'accent sur les liens sociaux, l'intégration, l'unité"
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États-Unis. Arizona State University (ASU), Tempe. Mark D. Elson, maître de conférence en anthropologie, spécialiste des réactions humaines aux éruptions volcaniques. Les Mayas n'étaient pas les seuls à vénérer les volcans
Arizona, environs du cratère Sunset -volcan entré en éruption vers l'an 1085. Dans le basalte noir, les empreintes d'épis de maïs
« Afin de contrôler le volcan, le maïs a été déposé en offrande dans la lave par les Amérindiens Hopis »
Dernière éruption vers 1120. Dans leur mythologie, le cratère Sunset est le lieu où réside le dieu du vent ; le public n'est plus autorisé à gravir le sommet