le voyage

Nestor Barth

Un homme sombre dans la mort suite aux coups subis par trois femmes qui l'obsèdent


Voici le texte de  Le voyage qui a remporté le coup de coeur du jury de la médiathèque de TRETS. et vous ... vous en pensez quoi  ?


                                                                                                 Le voyage




                                    Noir intense dans un profond silence !

Allongée dans le lit de sa chambre, Elma cherche le sommeil qui l'envahit par moment. Torpeur !

Soudain..

le frottement de mules sur le tapis, le couinement de la porte de la chambre qui se referme doucement sous la poussée d'un geste imprécis,

  l'affaissement du bord du matelas, le drap  écarté et soulevé délicatement,

  le glissement de membres qui se détendent un à un,

  la pression sur l'oreiller d'une tête se posant avec infinie précaution contre la sienne  ! 

  Le frémissement d'un corps ;

  Un parfum de fleurs fraiches

  Un souffle chaud caresse son cou en le frôlant. Sa langue  en distingue la saveur.

  Un corps doux et tiède se presse contre le sien.

Une main caresse ses cheveux et fait basculer sa tête en arrière. Elma tressaille car elle sent qu'un fruit tente de pénétrer sa bouche, ses lèvres s'ouvrent.  Le corps de cet inconnu est si serré contre elle qu'elle ne peut que s'abandonner sans pouvoir l'identifier.


Elle n'est qu'une proie !  Des mains fines glissent le long de son corps en palpant les parties sensibles qui la font vibrer puis se détachent progressivement pour se retirer.

Elma est engloutie par cette étreinte envoûtante sans savoir s'il s'agit d'une illusion  ou si le plaisir réel l'a conquise. La fascination est si puissante qu'elle ne peut s'en détacher.

Qui ? Serait-il ici,  venu comme à chaque fois qu'elle est désemparée par cette solitude qui l'étouffe.

Cette nuit, n'ayant pu qu'avec effort trouver le refuge d'une couche pour s'enliser dans cette léthargie et … écarter loin d'elle ce vertige qui  la colle.

Charles serait présent, près d'elle ?....  Mort !

Elle repense aux mots que son mari avait prononcés à plusieurs reprises , et qui avaient permis l'apaisement du trouble angoissant qui l'étreint. L'intonation  douce de sa voix  avait prise sur elle ; son souffle s'apaisait. Le sommeil l'envahissait.

Alors que maintenant son cœur bat la chamade, car ces mots, il ne les a pas prononcés, bien sûr, se dit-elle et pourtant.... je sens près de moi...

Qui ?

D'une main lovée dans le creux de son cou, ses doigts frémissent et avec infinie précaution les glisse sur sa cuisse lisse à la peau mate puis, sur le drap qu'elle déplisse,  écartés et relevés comme des antennes d'écrevisses,  retenant son souffle jusqu'à sentir un corps. Elle étire le bras pour que les doigts enfouissent les profondeurs.. mais rien, que le drap... froid  !.

Elle se rend à l'évidence, une présence s'échappe...laissant entre eux deux un vide toujours plus grand, fuyant la confrontation et redoublant sa solitude et son incompréhension.     . 

Elle aperçoit que du lit se dresse une vision blanche, évanescente, comme une lumière diffuse, ondoyante, s'éloignant vers la porte qui en se refermant couine...encore.

Elle ressent le martèlement de son cœur et dans sa tête, le battement de ses artères dans un bruit assourdissant.

Plus tard en regardant Elma dormir on aperçoit ses paupières  frétiller, signe que son sommeil est superficiel  et agité. Elle dort encore quand la noirceur qui règne dans la chambre s'estompe pour laisser place à une pénombre de clarté  laissant deviner les meubles et la porte légèrement entrebâillée par où la lumière pénètre ; elle écarquille les yeux, étonnée d'avoir laissé une lampe allumée. Elle se lève intriguée et qu'importe sa nudité, elle se dirige en tâtonnant hors de la chambre pour constater que la lumière provient du salon ; ce n'est pas son habitude d'oublier d'éteindre sachant son sommeil léger.


Un doigt sur ses lèvres épaisses, une main dans sa chevelure noire ébène pour relever les mèches qui tombent sur ses yeux vert émeraude qui contrastent de manière saisissante sur sa peau  métissée,

elle parvient dans le salon et aperçoit Jeanne assise sur le divan, les jambes croisées, nue sous sa robe de chambre de mousseline blanche  transparente et relevée pour dénuder une jambe oscillante, une longue cigarette fine entre les doigts d'une  main et un verre empli d'un liquide brun aux effluves énivrants dans l'autre, un rictus barrant ses lèvres ; ses longs cheveux blonds dorés  recouvrent ses épaules, et ramassés sur le coté laissent dénuder la gauche du visage  et une oreille fine. Cette coiffure de vamp confère à cette belle plante... une distinction aristocratique.

---  Un whisky ?

Elma se frotte les yeux tant pour être certaine d'avoir bien vu la scène que pour réaliser l'incongruité de la demande : farce ou hallucination. Cette scène lui rappelle  Charles qui  s'attardait ainsi dans ce même canapé, ingurgitant des verres jusqu'à l'anéantissement de son esprit et l'effondrement de son corps et laissant autour de lui des papiers froissés  jetés de rage de ne trouver l'inspiration.

En la regardant ainsi accoutrée et sûre d'elle même, Elma ressent  une angoisse croître en frayeur. Cette similitude de contenance avec celui de Charles l'intrigue et porte sa confusion intérieure au paroxysme.

---  Approche-toi ma chérie et assieds-toi près de moi, je vais te couvrir.

Elma, docile,  subjuguée, se colle sur elle sous la pression d'une main qui la presse.

Jeanne a passé son bras sur ses épaules en les enveloppant afin de laisser la mousseline recouvrir sa nudité tout en lui caressant les cheveux d'une main avec douceur et prendre ce ton suave qu'elle sait si bien moduler quand elle conquiert en extorquant ce qu'elle a convoité par désir :

--- Je savoure cet instant de profond silence, la solitude, conquête qui nous rend jouissance des choses,  seules toutes deux, l'une contre l'autre, comme des amants.

Chacun de ces mots résonne bizarrement dans la tête d'Elma, ce sont ceux-là mêmes que prononçait Charles chaque fois qu'il voulait lui faire découvrir un nouveau fantasme mais que par appréhension d'une punition elle n'avait jamais pu repousser.

La fumée bleuâtre de la cigarette s'élève en volutes évanescentes comme l'est le flot de pensées qui défilent inexorablement dans son esprit et elle attend dans une muette prostration, en même temps asservie et fascinée par le comportement de Jeanne qui lui fait revivre  ceux de son feu mari, comme si celui-ci ressuscitait dans la peau de cette femme.

--- Voyons ma chérie, il faut te remettre de tes émotions, l'heure de la résurrection a sonné et nous devons partir en voyage. T'en souviens-tu ?

---  Oui certes mais ..

---  Il n'y a pas de mais,  je t'ai déjà dit tout ce que tu dois faire, bon sang !.

Elma a perdu toute volonté. Son destin lui échappe car cette maitresse femme de Jeanne, très assurée et autoritaire, comme l'était son mari, la tétanise.

---  Regarde-moi !

     Mais Elma reste accablée. Jeanne prend alors sa tête à deux mains pour la tourner vers elle, devinant le doute profond qui étreint son amie :

---  Regarde-moi ! répète Jeanne, en contenant sa rage.

Elma tremblote de tous ses membres et par crainte qu'elle ne vacille, Jeanne hausse le ton :

---  Il n'y a pas autre chose à faire. Tu dois te rendre à l'évidence nous devons partir, pour toujours. Tu sais que j'ai tout préparé pour cela.

Ses yeux d'Elma sont révulsés et d'un geste raide et maladroit elle repousse les mains de Jeanne avec violence, la faisant soudainement basculer de coté pour éviter le coup sur son visage. Elma se redresse, ouvre la bouche mais rien ne sort, seul le regard laisse transparaitre un effroi. Elle voulait dire « ne me touche pas » mais ses lèvres n'ont pas fonctionné.

D'une main droite agile Jeanne lui assène une gifle, plus pour la réveiller que pour lui faire mal mais elle a claqué quand même fortement au point de la déstabiliser.

Un tel affront éveille par sa violence subite une souffrance pénétrante,  mais ce coup l'a dégrisée. Elle se sent un courage de délivrance qu'un sursaut de volonté extirpé de ses entrailles a fait naitre.

---  Mais oui, Elma, continue Jeanne pour conserver l'avantage avec ce ton très sûre et cette mine satisfaite qu'elle arbore toujours pour impressionner, si tu refuses de venir, le Commissaire sera au courant de ton petit manège. Je lui offrirai un mobile sur un plateau d'argent. Mais évitons cela. Tu as été satisfaite jusqu'à présent à l'idée de vivre ensemble, nous deux.

---  J'étais abrutie, crétinisée mais aussi abasourdie à l'idée que Charles ait pu être assassiné comme la police le confirme. Comment as-tu pu?

---   Mais c'est toi, ma chérie, c'est la raison pour laquelle je veux te sauver, car ton acte n'était pas prémédité.  Accès de folie, sursaut brutal de révolte, châtiment de l'oppresseur. Tu as frappé sans apprécier la puissance de ton geste incontrôlé.

Elma ressent l'accusation comme un coup au plexus. Le soleil levant fait jaillir dans son esprit un éclair de lucidité :

---  Ce que tu veux, c'est mon fric et un objet, moi, que tu manipules, prête à l'innommable pour satisfaire tes caprices, que dis-je, ton ardeur sexuelle,  je suis une poupée gonflable, un pantin pour toi.

---  Un pantin. Voilà le mot juste lorsque il y a huit jours, un matin à huit heures vingt exactement, toi le pantin, avec Charles étiez ici même à cette place. J'ai entendu les cris qu'il te crachait à la figure puis le choc de sa chute. Et le calme impressionnant qui  a suivi. Tu étais le pantin qui inconsciemment a effectué ce geste irréparable.

---  Non ce n'est pas moi et tu le sais !

Elma se dirige brutalement vers la porte extérieure de l'appartement, l'ouvre en grand et d'un geste du doigt intime l'ordre à Jeanne de déguerpir.

Celle-ci, d'une attitude altière navigue son regard de la tête au pied d'Elma :

---   Charles était mon amant.

Elma retient d'une main le cri d'effroi qui envahit sa gorge. D'outragée, elle ressent maintenant une trahison l'ensevelir. Humiliée et maintenant trahie par son mari, mais ne pouvant s'abandonner dans   une solitude engendrant une dépression qui la ferait sombrer, elle s'abandonne aux mains solides de cette femme qui malgré sa pudeur pour une relation féminine reste son seul refuge. Tous ces sentiments sont passés dans son esprit l'espace d'une seconde .

Bafouée, elle capitule et Jeanne a gagné, telle une mante religieuse en utilisant tous les subtiles subterfuges  pour accaparer cette créature sublime.

Sur la joue rougie de sa compagne, elle glisse délicatement son index pour marquer la fin de cet échange douloureux de crachats. Avec l'attouchement de ses lèvres sur sa joue elle ajoute :

---  Prépare-toi, on part dans une heure ma chérie.

                                                                                                               Fin









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