L'échoué
Jo
Il est là! Le bistrot est plein, la gaieté se disperse. Et pourtant, il est là! Eclaboussant de tristesse. Le regard vague, seul un verre de vin lui porte compagnie. On sent le visage burriné par la vie. Cet homme a eu une vie dure, pas de doute possible! Qu'est ce qu'il recherche? Dans un bar, le samedi soir, il sait le déroulement de la soirée. Les ados s'agiteront lourd de leurs prétentieuses jeunesses. Ils le taquineront, toujours prêt à se moquer du désarroi d'autrui. On dirait qu'ils veulent le faire fuir, comme pour éviter cette matérialisation vivante de la déchéance humaine. Bon joueur, il sourira, il connaît les règles, il les accepte. L'alcool le dévore déjà. Pas question d'ivresse, il est déchiré entre nostalgie et mélancolie. Comme chacun il est happé par le néant, seulement lui, pas de fioritures, ni d'artifices il a le nez en face prêt a basculer. Le monde quotidien va finir par l'achever, il sait que celà ne va pas durer trés longtemps. Alors il boit avec ces jeunes idiots qui savent déjà ce qui peut arriver lorsque la vie n'est pas de votre côté. Soudain, il me regarde! Je souris timidement. Il se lève, s'assoit prêt de moi. Il me fixe. Il tente de lire mon âme. De quel bois suis-je fait? Il pense que je suis un moqueur de plus. Histoire de se défendre, il m'attaque. "Tu créveras peut-être avant moi!". Il attend la répartie, il attend que je l'écrabouille, que je le ramène à sa médiocrité. Calme, je lui répond simplement "C'est possible". Pas question de le rassurer, il est de toute façon inconsolable. Je veux juste lui faire comprendre que je suis de son côté; celui des paumés de la vie. Son regard change, une lueur semble s'animer "Tu es gentil". Non tu n'es pas une merde, non je ne te chicanerai pas pensais-je. Il l'a compris. Aprés des heures dans ce troquet, il peut péniblement marcher, il a du mal à parler, mais ça il l'a compris! On nous dérange "Excuse le, il est bourré!". On est tous bourré, en quoi faut-il l'excuser? Pour être devenu ce qu'il est? Il me bredouille "Je suis une loque". Je répond "Tu es une belle personne". Des larmes glissent le long de son visage. "J'ai tout perdu il y a cinq ans avec la mort de ma femme". Je lui souris avec compassion, mes amis me récupére. Il est emporté dans la foule. Cette foule elle me dégoûte, bien plus que lui. C'est ainsi. Depuis combien d'années se débat-il dans cet immense bordel? Mes amis me charient "On peut pas te laisser cinq minutes". Je soupire et fait semblant de ne plus y penser. Mais je sais que se fût la rencontre du soir. Cet homme finira a genoux, il en crevera bientôt. Paix à son âme d'échouée...