L'Edito 2011 d'Alain Rey, président d'honneur du festival!

le-festival-du-mot

POUR UNE « CITE » DU MOT

          Les mots sont merveilleux, c’est entendu. Mais ils sont aussi dangereux, manipulables, trompeurs. Rien d’étonnant : les mots sont ce que nous en faisons. Les poètes traquent leur vérité et, l’ayant trouvée, l’exaltent. Les politiques ont tendance à les dévoyer en s’en servant pour arriver à leur seule fin : le pouvoir. L’économie et la publicité les monnayent. Les savants travaillent à les réconcilier avec ce qu’ils découvrent du réel. Certains en créent, en empruntent ; la plupart acceptent ceux de tous, les voix du passé, ces voix précieuses, comme est précieux le patrimoine musical, artistique, littéraire de toute civilisation.

         Tout précieux qu’il est, le patrimoine des mots s’effrite, et perd de sa richesse. Un exemple parmi des milliers : les mots « digne » et « dignité », si courants au XIXème siècle, aujourd’hui démodés. La négation est un moyen habile de leur redonner vie : « indigne » est moins usé,  « s’indigner » très vivant, et lorsque Stéphane Hessel dit à nos contemporains : « Indignez-vous ! », outre le message social et politique, il redonne vie et force à l’expression de cette valeur essentielle, la dignité.

          Sauver les mots, c’est un peu sauver le monde. Les soigner, leur rendre leurs pouvoirs perdus ou dévoyés, c’est faire acte de thérapeutique et, on peut le dire, d’écologie globale.

         Depuis sa création en 2005, le Festival de La Charité sur Loire, en convoquant toutes les formes artistiques, démontre combien les mots peuvent être source de plaisir et de réflexion.

           Il justifie pleinement la création d’une « Cité du Mot », formatrice d’une citoyenneté de la parole, gardienne d’une vérité des signes, des pouvoirs de la poésie et de l’imaginaire, dont le rôle serait immense.

          La placer au bord d’un fleuve qui réunit les deux visages de la France, qui symbolise par son courant le cours de l’histoire, c’est l’empêcher d’être ce non-lieu, cette u-topie, qui menace tout projet rénovateur.

          Les mots sont les fenêtres par lesquelles une langue, le Français, accède à l’universel humain ; ils méritent une attention constante et un lieu qui leur soit consacré.

 

Alain REY

Président d’honneur du FESTIVAL du MOT

Signaler ce texte