L'ENFANT DE VERRE le chapitre 25

Eric Chesneau

LE LIVRE

Ottavia, ado débrouillarde, vit dans le Thymerais, non loin de Chartres et de sa célèbre cathédrale. Une vie paisible qui va être bouleversée le jour où sa mère, maître verrier, est chargée de restaurer de mystérieux vitraux.

La découverte d’une crypte oubliée, les vestiges d’une église fantôme, un squelette portant au doigt un anneau d’une étrange facture, quelques bâtons d’encens... Grâce à une magie ancestrale mais difficile à maîtriser, Ottavia va se retrouver plongée au cœur du moyen-âge, de sa violence mais aussi de ses beautés.

Elle devra mener l’enquête de nos jours, mais également à l’époque médiévale, pour déjouer un complot visant à faire condamner un maître verrier accusé de sorcellerie. Mais peut-on impunément changer le passé ? Une aventure riche en péripéties au détour de laquelle les secrets des maîtres verriers vous seront révélés ! Nathalie Chesneau, artiste verrier a supervisé les détails « techniques » du roman et a conçu l’appendice se trouvant en fin de volume intitulé « les gestes du vitrail ». Le lecteur, quel que soit son âge, découvrira ainsi une partie de l’univers fascinant des maîtres verriers. Leur fille Ottavia, 14 ans et un joli coup de crayon a réalisé la couverture et les illustrations du  livre.

« Ce n'est pas si souvent qu'un livre jeunesse est aussi instructif ! En plus d'être amusant et mené à un rythme d'enfer. C'est l'histoire d'Ottavia, qui pourrait être ma fille de 15 ans, jeune ado très normale, aimant hard rock et fringues bizarres. Se blessant avec un morceau de très ancien vitrail, elle découvre qu'un maitre verrier a été injustement mis à mort par le "jugement de Dieu", au moyen-âge, un supplice très particulier. On apprendra dans ce livre ce qu'est la grisaille, ou un lapin, et plein de choses durant ces aventures entre époques. C'est un livre que j'adore, frais et plein de charme. Vraiment je le recommande ! J'oserai même ajouter qu'un deuxième volet ne serait pas pour déplaire à ma propre fille... » Critique d’une lectrice anonyme sur Amazon.fr

Chapitre vingt-cinq : où nos héros traversent le royaume des gnomes pour parvenir à leurs fins

   Sur le chantier de la future église, celle là même dont on perdra toute trace au cours des siècles futurs, le travail se poursuit.

   Les porteurs d’eau vont et viennent entre les petits groupes d’hommes qui commentent l’événement.

   - Maître Clément a été mené dans les geôles du château ! Il est accusé de sorcellerie !

   A ces mots, prononcés par un gros bonhomme aux joues rouges, ses compères se signent !

   - Maître Clément, sorcier ? Menterie !

   C’est un homme aux cheveux blancs qui parle.

   - Je connais maître Clément depuis très longtemps ! J’ai travaillé sur un chantier à Notre-Dame, à Chartres, avec lui. Il est homme de grand talent, bon avec ses ouvriers, courtois avec les plommiers, ce qui n’est pas le cas de tous !

   Aymeric serre les poings. Nous sommes assis à l’ombre d’une pyramide de grosses pierres arrivées tout droit de Berchères, à cinquante kilomètres de là. Je suis adossée à la besace de cuir empruntée à papa, un gros truc râpé très médiéval que papa appelle d’ailleurs sa « besace préhistorique » avec laquelle il court les foires à tout et les salons du livre en quête de raretés. J’espère qu’on ne m’obligera pas à en vider le contenu sinon je risque d’être soumise à mon tour au jugement de Dieu.

   - Les plommiers ? Qu’est-ce que c’est que les plommiers ?

   Aymeric se tourne vers moi. Il a une larme au coin des yeux.

   - Ce sont les hommes chargés de fabriquer et travailler le plomb utilisé pour les vitraux.

   Juché sur une petite plate-forme, à mi hauteur de l’édifice, un homme taille une pierre jaune. Sur l’un des clochers inachevés, une grue tournante tout en bois, guidée par deux hommes, grince dans le vent. Fascinée, j’observe la tenaille qui pend au bout d’un câble gros comme mon bras et que les grutiers guident jusqu’au bloc de pierre qui se trouve au pied du mur. Les mâchoires de l’engin s’écartent pour se refermer sur l’énorme bloc. Solidement coincé entre ses mors, le cube de pierre s’élève gracieusement dans les airs.

   Maman m’a expliqué un jour qu’entre l’an mil et la fin du XIVème siècle, on avait extrait et travaillé plus de pierres en France que ne l’avait fait l’ancienne Egypte pour ses pyramides !

En cinq siècles, on aurait bâti près de cent cathédrales, cinq cents grandes églises, sans compter des milliers d’églises paroissiales !

Visiblement, le monument en cours de construction appartient à la seconde catégorie. Une vraie cathédrale miniature entre les piliers de laquelle se déploient des centaines de manœuvres, d’ouvriers qualifiés et compagnons dont très peu ont été recrutés sur place. A l’époque, les maîtres d’œuvre se déplaçaient la plupart du temps d’un chantier à l’autre avec leurs équipes. On retrouve leurs traces, leurs « remarques » comme on dit, cachées dans des monuments. C’est à ces signatures secrètes que l’on pouvait savoir que tel ou tel compagnon était passé par tel ou tel chantier.

   De loin en loin, des hommes attelés à de lourds tombereaux, des sortes de charrettes à deux ou quatre roues, tirent pierre, bois et chaux.

   Un grand éclat de rire secoue soudain un autre groupe d’hommes, massé auprès d’un tout jeune homme maniant un ciseau à pierre ! Il doit avoir douze ans, pas plus et paraît rouge de confusion !

   - En voilà un lapin qui doit courir plus vite qu’il ne taille ! lance un bonhomme au rire édenté.

   - Un lapin ?

   Aymeric répond à ma question en souriant.

   - C’est le surnom qu’on donne aux apprentis. Moi-même, je suis le lapin de mon père ! Tu vois là-bas, cette sorte de carapace de terre et de brique ? C’est le four de mon père. C’est là qu’il cuit ses pièces. Il lui faut des heures et des heures pour le conduire à bonne température. Et sous ce tertre, là, sont désormais à l’abri les vitraux voués à cette église.

   - C’est bien,  je dis.

   Deux hommes, les bras ballants, visiblement désoeuvrés, discutent au pied du four désormais inutile.

   A mi-hauteur du bâtiment, les étroites fenêtres ogivales paraissent nous observer de leur regard aveugle que n’éclaireront peut-être jamais les vitraux de Clément.

   - Je dois aller délivrer mon père quoi qu’il puisse m’en coûter ! Je ne laisserai pas messire d’Orval me priver de lui comme il m’a privé de Thibaude !

- Ecoute, je connais le moyen de pénétrer dans le château sans nous faire remarquer. Si tu veux, nous y allons ensemble.

   - Comment ?

A cet instant, Aymeric a de très beaux yeux verts. Il est craquant. Vraiment très mignon, même !

   - Je connais l’entrée d’un des souterrains qui y mène.

   - Quoi ? C’est impossible ! Il s’agit là de savoirs secrets ! Par quel prodige ?

   - Ne t’inquiète pas pour ça ! Il n’y a rien de sorcier, je l’ai trouvée par hasard.

   Aymeric hoche la tête d’un air entendu.

   - Tu te doutes que je ne te crois pas ?

   - Je me doute ! Allez viens, nous n’avons pas beaucoup de temps.

   Nous quittons le chantier, nous dirigeant vers le bois, vers la vallée où je sais pouvoir trouver l’entrée du souterrain. Durant tout le trajet, Aymeric et moi restons silencieux. Les bois n’ont pas grand-chose à voir avec ceux que je connais. Les arbres sont immenses, noueux, torturés, il n’y a pas un seul sapin contrairement à aujourd’hui. Il n’y a là que des chênes, des charmes, des châtaigniers, des bouleaux pareils aux piliers d’une église. Leur voûte bruissante empêche la lumière de pénétrer jusqu’à nous et malgré un soleil haut dans le ciel, nous marchons dans la pénombre, évitant à grand-peine les ronces tortueuses pareilles à de menaçants barbelés.

   Les oiseaux paraissent avoir déserté l’endroit. De loin en loin, d’énormes blocs de silex surgissent du sol, semblables à des mufles de monstres préhistoriques tentant de déchirer la terre pour venir nous happer. Il règne en ces lieux une telle ambiance de mystère et d’angoisse que je ne m’étonne plus des superstitions de nos ancêtres.

   J’en suis là de mes réflexions quand Aymeric me saisit le bras. Je pousse un petit cri de frayeur.

   - Nous ne pouvons aller plus loin. Tu vois ces grosses pierres ? C’est ici le royaume des gnomes. On raconte qu’il y a longtemps, des villageois venus couper du bois ont disparu sans laisser de traces. Ils ont sans doute été dévorés par les esprits vilains qui hantent ces lieux. Simon Briquède assure qu’il a entendu leurs gémissements, un soir qu’il passait par là ; il était à la recherche d’une de ses chèvres qui s’était ensauvée et a dû filer sans se retourner pour échapper aux petits monstres. Il n’a jamais retrouvé sa bête, qui a dû servir de dîner aux malfaisants.

   Comment expliquer à Aymeric que les gnomes n’existent pas et qu’il s’agit sans doute de légendes que font courir les gens du château afin d’éviter à quelque rôdeur de découvrir l’une des entrées secrètes? Ces blocs de pierre ne sont rien d’autre que des pierres levées ou des tables de pierre, des dolmens quoi !

   Dans cet endroit sinistre, tout est susceptible d’enflammer les imaginations, d’aiguillonner les peurs. Aymeric vit avec depuis tout petit. Pour lui, les gnomes, les elfes et les fantômes sont une réalité qui se construit au fil des veillées, des récits de ceux qui ont vu ou entendu, ou cru voir et entendre, ou entendu dire !

   Je lui prends la main. Elle est moite.

   - Je t’assure que nous ne rencontrerons pas de gnomes aujourd’hui. Le danger vient plutôt des gens du château. Nous allons devoir avancer sans bruit. L’entrée du souterrain n’est plus très loin. Allez, viens, je t’assure ! Rappelle-toi : nous sommes ici pour sauver ton père !

L’ENFANT DE VERRE, le secret du vitrail brisé, éditions Books On Demand. Distribution SODIS. Ouvrage broché, format in-8, 248 pages, couverture illustrée en couleur, illustrations en noir et blanc, prix : 20 euros.  N° ISBN : 978-2-8106-1600-8. Ouvrage disponible en librairie ou sur commande en librairie. Egalement disponible sur le site www.bod.fr. 

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